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4.2 La contrainte épitaxiale comme moyen de contrôle du magnétisme dans les

4.2.4 Description théorique

Afin d’éclairer nos mesures Raman et Mössbauer et déterminer les paramètres respon-sables de l’influence de la contrainte épitaxiale sur l’ordre magnétique des films minces de BiFeO3, nous avons travaillé en collaboration avec deux équipes théoriciennes : l’équipe de Laurent Bellaiche du Computational Condensed Matter Physics group de l’Université d’Ar-kansas pour les calculs de Hamiltonien effectif et celle d’Anatoly K. Zvezdin pour les calculs de type Ginzburg-Landau. Je vais donc détailler brièvement ces deux approches théoriques

et la compréhension qu’elles apportent à l’étude du magnétisme sous contrainte dans nos films minces de BiFeO3 dans les paragraphes qui suivent.

Calculs de Ginsburg-Landau

Dans les travaux d’Anatoly K. Zvezdin et de ses collègues, la composante magnétique de l’énergie libre des films s’exprime comme la somme des termes suivants :

F = Fexch+ FM E + Fan+ FMelast (4.7)

Fexch= A X

i=x,y,z

(∇Li)2 = A((∇θ)2+ sin2θ(∇φ)2) (4.8)

correspond à l’énergie d’échange antiferromagnétique inhomogène, A étant la constante d’échange ou constante de raideur de spin. Les angles (θ, φ) correspondent à l’angle polaire et l’angle azimutal du vecteur antiferromagnétique L = (sinθcosφ, sinθsinφ, cosθ) exprimé dans un système de coordonnées sphériques dont l’axe polaire z0 est aligné avec l’axe de symétrie principal de la structure monocristalline : l’axe [111] du pseudo-cube. Dans ce système de coordonnées, l’axe azimutal est aligné sur la direction [-1-12] du pseudo-cube. Le second terme de l’énergie libre est le terme magnétoélectrique inhomogène (ou terme d’interaction flexomagnétoélectrique), qui est le même que décrit en équation (4.4) pour le composé massif13 :

FM E = −γP · [L (∇ · L) + (L∇)L)]

= −γ(∇xθcosφ + ∇yθsinφ − cosθsinθ (sinφ∇xφ − cosφ∇yφ)) (4.9)

Ce terme est proportionnel aux dérivées spatiales14 du paramètre d’ordre magnétique L responsable de l’ordre cycloïdal des spins.

Le troisième terme est le terme d’anisotropie magnétique correspondant aux monocristaux et d’axe principal [111] :

Fan = −Kef fcos2θ

(4.10)

13. Pour faciliter la navigation du lecteur entre cette thèse et notre article [Sando, 2013], j’ai repris les mêmes notations que dans l’article pour les développements théoriques. Les notations des coefficients diffèrent donc de ceux donnés plus haut en section 4.1.1.

où Kef f est la constante d’anisotropie effective qui inclut les contributions provenant de l’anisotropie uniaxiale et de l’interaction de Dzyaloshinskii-Moriya.

Le dernier terme, enfin, est un terme magnétoélastique prenant en compte l’effet de la contrainte épitaxiale sur le magnétisme :

FM Eelast = −U. (L.n)2 = −U. (sinθn.sinθcosφ + cosθn.cosθ)2

(4.11)

où U correspond à l’énergie magnétoélastique, θncorrespond à l’angle formé par l’axe po-laire [111] et la normale au film [001] (en notations pseudo-cubiques), soit n = (sinθn, 0, cosθn) dans les coordonnées sphériques choisies plus haut.

La minimisation de l’énergie libre par les méthodes d’Euler-Lagrange donne deux équa-tions différentielles magnétiques, qui sont données dans les Supplementary Materials de notre article [Sando, 2013] et que je ne détaillerai pas ici. Deux types de cycloïdes de spin sont solutions :

— La première, appelée cycloïde de "type 1", correspond à une cycloïde harmonique de même longueur d’onde que celle présente dans BiFeO3 massif (λ=62 nm) qui se propage dans la direction [1-10]. Pour cette cycloïde l’orientation du paramètre d’ordre antiferromagnétique est donnée par θ = q0.y (avec y selon l’axe [010] du pseudo-cube) et φ = π2. Pour obenir cette solution, seulement les deux premiers termes de l’énergie libre Fexch et FM E sont nécessaires.

— La seconde, appelée cycloïde de ’type 2", correspond à une cycloïde dont la période est augmentée de

3

2 ' 1.22, soit λ2 = 1.22 λ, et se propageant selon la direction [110] du pseudo-cube. L’orientation du vecteur de Néel L est ici décrite par θ = √

3.q0.x

2 + y

2



(dans les axes pseudocubiques) et φ = 0. Cette solution est obtenue en ajoutant les deux termes d’anistropie des équations (4.10) et (4.11) aux termes précédents.

Dans les monocristaux, la seconde cycloïde est également solution mais est énergétique-ment défavorable, tandis qu’elle peut être stabilisée dans les films, comme nous l’avons vu avec les ajustements des données Mössbauer sur l’échantillon SSO.

Les équations d’Euler-Lagrange produisent également des solutions correspondant à des ordres antiferromagnétiques homogènes (dans ces cas là, les deux premiers termes de l’énergie libre, Fexch et FM E sont annulés) :

— Les contraintes compressives induisent un plan d’aimantation facile : θ = π2, φ = π2, ce qui correspond à un vecteur de Néel antiferromagnétique le long de l’axe [110] du pseudo-cube.

— Pour les contraintes épitaxiales en extension, l’état antiferromagnétique homogène résultant provient de la compétition entre les deux termes d’énergie libre d’anisotropie Fan et FMelast. Le vecteur de Néel est déterminé par φ = 0 et θ = θ0, ce qui correspond à des spins formant un angle β = θn− θ0 avec la normale (ie l’axe [001]). A très hautes

contraintes cet angle β tend vers 0 et les spins tendent à être parallèles à l’axe [001] du pseudo-cube.

Les énergies associées à ces différents états (cycloïde de type 1, cycloïde de type 2, états antiferromagnétiques homogènes avec les spin orientés selon les directions [110] ou [011] respectivement) ont été calculées et sont tracées en Figure 4.20. Les expression théoriques de ces énergies et le détail de ces calculs est présenté dans les Supplementary Materials de notre article [Sando, 2013].

Simulations numériques à partir d’un hamiltonien effectif

Une autre approche théorique du problème a été menée en parallèle en utilisant des caluls basés sur un Hamiltonien effectif récemment développé par le groupe de Laurent Bellaiche de l’Université d’Arkansas. Cet outil atomistique est capable de reproduire la cycloïde ma-gnétique de BiFeO3 massif ainsi que certaines de ses caractéristiques les plus subtiles comme le plan de rotation des spins ou les ondes de densité de spin résultant du canting des dipôles magnétiques hors du plan cycloïdal. L’originalité du Hamiltonien effectif utilisé et dont le détail est donné dans la référence [Rahmedov, 2012] réside dans l’emploi d’un terme d’inter-action basé sur les super-courants de spins (notion développée en référence [Katsura, 2005]) correspondant à un terme d’interaction de type Dzyaloshinskii-Moriya.

Nos films minces de BiFeO3 ont été modélisés par des matrices de 18×18×18 mailles élémentaires (comme effectué précedemment dans la référence [Daumont, 2012]). L’énergie interne associée à ce Hamiltonien effectif est utilisée dans des simulations de type Monte-Carlo pour prédire leurs propriétés magnétiques à température finie. Ces simulations ont permis de retrouver les différentes phases magnétiques en fonction de la contrainte que j’ai présentées précédemment et de déterminer leurs régions de stabilité (en ajustant les para-mètres du Hamiltonien effectif) :

— Pour de faibles contraintes compressives, cette approche prédit comme état fondamen-tal magnétique une cycloïde similaire à celle du composé massif, se propageant selon la direction [1-10], avec une polarisation ferroélectrique proche de la direction [111]. La zone de stabilité d’une telle cycloïde est prédite entre -0.1% et -0.5% de désaccord de paramètre de maille entre le substrat et le film. Ce résultat est en accord avec nos résultats expérimentaux : les échantillons GSO et DSO sont en effet dans cette plage de contraintes.

— Pour une contrainte extensive comprise entre 0.28% et 0.37% de désaccord, les simu-lations prédisent que cette cycloïde devient énergétiquement défavorable par rapport à un second type de cycloïde. Cette nouvelle cycloïde se propage dans le plan (001) du film, parallèlement à la direction [110], comme déduit des résultats expérimentaux (sur l’échantillon SSO) développés plus haut et comme prédit par les calculs d’énergie libre.

— Toujours en accord avec les calculs de Ginzburg-Landau, les simulations donnent comme état fondamental un état antiferromagnétique (lègèrement canté) pour un désaccord de paramètre de maille en dessous de -1.6% en compression et au dessus de 0.4% en extension.

misfit strain (%)

Canted homogeneous AF state along [110] Canted homogeneous AF state along [011] Type-1 spin cycloid along [110] Type-2 spin cycloid along [110]

LSAT STO DSO GSO SSO NSO PSO

a b c β -150 -100 -50 0 50 100 150 200 250

W-W

L= [1 -1 0]

(

kJ/m

3 )

-3.0 -2.5 -2.0 -1.5 -1.0 -0.5 0.0 0.5 1.0 1.5 2.0

Figure 4.20 – Diagramme de phase magnétique des films minces de BFO sous contrainte épi-taxiale. Les énergies, calculées théoriquement, des quatre états fondamentaux magnétiques possibles sont reportées en fonction du désaccord de paramètre de maille par rapport au bulk (en pourcentage). Les domaines de stabilité des trois états magnétiques sont indiqués par leur couleur : en vert, les ordres antiferromagnétiques homogènes stables à hautes contraintes, en bleu, la cycloïde de type 1, stable à faibles contraintes en extension, en violet, la cycloïde de type 2 qui est stable pour les faibles contraintes compressives. Les différents échantillons, repérés à l’aide du nom du susbtrat associé, sont indiqués en haut du diagramme. Les sché-mas des ordres magnétiques ainsi que l’orientation du vecteur antiferromagnétique à hautes contraintes et des direction de propagation des cycloïdes sont insérés en arrière plan.

Notons que l’ajustement choisi pour les paramètres du Hamiltonien effectif permet de reproduire nos mesures avec un excellent accord ainsi que les zones d’existence des phases magnétiques prédites par les calculs d’énergie libre. Comme on le voit en Figure 4.20, les zone de couleur, qui correspondent aux régions d’existence des différentes phases prédites par les simulations de Hamiltonien effectif, correspondent au zones du diagramme où les différentes énergies libres sont minimales.

Ces deux approches théoriques permettent de prédire le diagramme de phase magnétique des films minces de ferrite de bismuth sous contrainte épitaxiale (Fig. 4.20) en parfait accord avec les résultats expérimentaux issus de nos mesures Raman et des mesures Mössbauer.