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Les travaux que j’ai pu mener durant cette thèse m’ont amenée à étudier en détail l’in-fluence de la contrainte sur les excitations magnétiques de la ferrite de bismuth BiFeO3.

Dans les couches minces, contraintes épitaxialement grâce au désaccord de maille avec le sustrat, la contrainte modifie fortement la structure magnétique. En effet, à basse contrainte compressive, un ordre cycloïdal antiferromagnétique similaire à celui qui est présent dans le composé massif, se propageant dans la direction [1-10] est observé. Lorsque la contrainte (compressive) augmente et dépasse le seuil de -1.7% de désaccord de maille, la cycloïde disparaît et laisse place à un ordre antiferromagnétique homogène canté dans lequel les spins portés par les ions Fe3+ sont parallèles à l’axe [110] du pseudo-cube. Pour des contraintes épitaxiales en extension (c’est à dire pour des films synthétisés sur des substrats ayant un paramètre de maille plus important), un ordre cycloïdal est également observé à basse contrainte. Cet ordre n’est pas tout à fait similaire à celui du bulk puisque la longueur d’onde de cette cycloïde, qui se propage dans la direction [110], est augmentée d’un facteur 1.22. Lorsqu’on augmente encore le paramètre de maille du substrat, et quand le désaccord dépasse la valeur seuil de 0.9%, cet ordre cycloïdal disparait et un ordre antiferromagnétique canté apparaît. Dans cet ordre antiferromagnétique, les moments magnétiques des atomes de fer tendent à être parallèles à la direction [011] lorsque la contrainte augmente. Ces résultats découlent d’une collaboration entre plusieurs équipes d’expérimentateurs et de théoriciens et tant les différentes mesures expérimentales que les deux approches théoriques sont en excellent accord entre elles et convergent pour construire un diagramme de phase magnétique des couches minces de BiFeO3 en fonction des contraintes épitaxiales.

L’application d’un champ magnétique sur ces films minces détruit également l’ordre cy-cloïdal lorsque l’intensité du champ appliqué dépasse une valeur critique dépendant du sub-strat. Nous avons pu vérifier que les cycloïdes présentes dans les trois échantillons faiblement

22. Une étude des modes de phonons dans les films minces et leur comparaison avec ceux observés dans le composé massif sous pression hydrostatique aurait été intéressante, mais il serait nécessaire pour cela de s’affranchir complètement du signal des substrats (présentant également des modes de phonons), travail que je n’ai pas eu l’occasion d’effectuer durant cette thèse.

contraints sont de moins en moins robustes à mesure que la contrainte épitaxiale augmente : l’intensité du champ magnétique critique nécessaire à la destruction de la cycloïde diminue lorsque le désaccord de maille du film avec le substrat augmente. Des calculs théoriques d’énergie libre sont en cours pour reproduire nos mesures et prédire le diagramme de phase des films minces sous champ magnétique et sous contrainte épitaxiale.

Dans le composé massif, la pression hydrostatique, appliquée de façon isotrope, impacte fortement la structure et la magnétisme. En effet, cinq phases structurales successives sont observées expérimentalement lorsque la pression augmente : la phase rhomboédrique (R3c) bien connue subsiste jusqu’à 3.5 GPa, la phase orthorhombique centrosymmétrique (Pnma) décrite dans la littérature est observée à partir de 10 GPa et trois phases orthorhombiques intermédiaires apparaissent à 3.5, 5.5 et 7 GPa. Des calculs de hamiltonien effectif repro-duisent ces phases, à l’exception de l’une des phases orthorhombiques intermédiaires, nous donnant des informations précieuses sur les orientations des octaèdres des oxygènes. Notre dispositif expérimental nous permettant d’accéder à des excitations de très basses énergies (< 0.5 meV), nous avons pu observer de nouveaux modes de phonons (Bi-O) nous permet-tant de mieux déterminer les pressions de ces transitions structurales. Nous avons également été capables d’accéder aux excitations magnoniques et de suivre simultanément, pour la pre-mière fois, l’évolution de l’ordre magnétique et de la structure sous pression. La cycloïde de spins existe dans toute la phase R3c et nous avons suivi la dispersion sous pression des modes d’excitations de l’onde de spin dans cette phase. Au delà de la première transition structurale, à 3.5 GPa, la cycloïde est détruite et un ordre antiferromagnétique homogène apparait. La combinaison de nos mesures avec des calculs de type Ginzburh-Landau et avec les information sur la structure extraites des calculs de hamiltonien effectif nous ont permis de reproduire théoriquement, avec un bon accord, l’évolution des modes magnétiques sous pression. Des calculs ab-initio pour prédire précisément l’évolution des modes de phonons de basse énergie sous pression est en cours et devrait nous permettre clarifier les phases structurales orthorhombiques intermédiaires.

Manganites de Terres Rares

hexagonales : h-RMnO

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5.1 Introduction : présentation des manganites de Terre

Rares hexagonales

Les manganites de terre rares, RMnO3, sont l’une des familles de matériaux multifer-roïques les plus étudiées. Il existe en effet de nombreux composés RMnO3dont les propriétés, structurales et multiferroïques, diffèrent en fonction de la terre rare qui les compose.

Structure cristallographique

Les manganites de terre rares cristallisent dans des structures qui sont soit de type pé-rovskites orthorhombiques (de groupe d’espace Pbnm), pour les ions terre rare de large rayon comme La, Ce, Pr, Nd, Sm, Eu, Gd et Tb, soit dans des structures hexagonales (de groupe d’espace P63cm), pour des espèces chimiques de terre rares de plus faible rayon ionique, comme c’est le cas pour Er, Tm, Yb, Lu, In et Sc. Les terre rares Dy, Y et Ho ont pour particularité de pouvoir donner des manganites dont la structure peut être hexagonale ou or-thorhombique en fonction des conditions de cristallisation [Fiebig, 2005, Cheong, 2007, Park, 2003].

ionic radius Sc In Lu Yb Er Tm Ho Y Dy Tb Gd Eu Sm Pm Nd Pr Ce La

Hexagonal (P63cm) Orthorhombic (Pbnm)

Figure 5.1 – Evolution de la structure stabilisée par les composés RMnO3 en fonction du rayon de la terre rare. La structure des composés intermédiaires (DyMnO3, HoMnO3 et YMnO3) est dépendante des conditions de synthèse.

La structure des manganites hexagonales, comme le sont YbMnO3 et h-YMnO3, a été caractérisée dans les annés 1960 par Bertaut qui en a déterminé le groupe d’espace (P63cm) par diffraction de neutrons [Bertaut, 1963,Bertaut, 1964]. Des plans contenant les terre rares (plans R-O) sont empilés le long de l’axe d’ordre 3 de la structure hexagonale et intercalés entre les plans qui contiennent les manganèses (plans Mn-O). L’empilement de ces plan Mn-O et R-O le long de l’axe c est montré en Figure 5.2.a.

Les manganèses sont organisés en un réseau triangulaire dans les plans Mn-O (Fig. 5.2.b) et les oxygènes forment une bipyramide à base tiangulaire autour de chacun d’eux, trois oxygènes (O3, O4 et O5) de la base de cette bipyramide appartiennent au plan Mn-O tandis que les oxygènes apicaux (O1 et O2) sont situés dans les plans contenant les terre rares. Les ions terre rare occupent quant à eux, au sein des plans R-O, deux sites cristallographiques distincts R(4b) et R(2a) (aux positions de Wyckoff respectives 4b et 2a) [Muñoz, 2000].

a b c a bc a) b) c a b O Mn R z0 plane z0 + plane12 O1 O3 O4 O5 O2

Figure 5.2 – Structure générale des manganites de terre rares hexagonales : (a) vue de l’empilement des plans Mn-O et R-O le long de l’axe c et (b) vue perpendiculaire de l’ar-rangement triangulaire des plans Mn-O.

Ferroélectricté

Les manganites hexagonales possèdent un ordre ferroélectrique qui apparaît à hautes températures, pour des températures de transition en général supérieures 800 K [Lorenz, 2013] sous l’effet d’une transition structurale.

Au dessus de la transition (T>800K), ces composés cristallisent dans le groupe d’espace P63/mmc [Van Aken, 2004] dans lequel les oxygènes O3, O4 et O5 sont dans le même plan que les manganèses. A la transition, les bypiramides MnO5 s’inclinent légèrement, ce qui fait sortir les oxygènes des plans Mn-O, et les ions de terre rares se déplacent le long de l’axe c. La combinaison de ces déplacements permet aux oxygènes des plans Mn-O et aux ions terre-rares de former des dipôles électriques responsables de l’apparition de la ferroélectricité [Alonso, 2000, Jeong, 2012].

T

C

R

Mn

O

Figure 5.3 – Exemple de ferroélectricité d’origine géométrique dans h-RMnO3 : le bascule-ment de la bipyramide tétraédrique MnO5 génère une polarisation électrique provenant de l’apparition de dipôles R-O (flèches vertes).

Les composés h-RMnO3 sont donc des ferroélectriques impropres pour lesquels la ferro-électricité est induite par une modification de la structure cristalline. Aucune autre transition structurale n’a été observée en dessous de TC ' 800 K dans ces composés.

Structure magnétique

Les manganites hexagonales peuvent posséder plusieurs ordres antiferromagnétiques qui apparaissent à plus basses température. Deux réseaux sont susceptibles de s’orienter magné-tiquement dans ces composés. Le réseau triangulaire formé par les manganèses s’ordonne avec une température de transition en général inférieure à 100 K [Lorenz, 2013], et, dans les composés où la terre rare est une espère magnétique, le réseau formé par les ions terre-rares peut s’ordonner à des températures très basses généralement inférieures à 5 K, comme c’est le cas dans h-HoMnO3, ErMnO3 et YbMnO3 [Yen, 2007].

Le réseau formé par les ions manganèses est un réseau triangulaire, siège d’une frustration magnétique, qui s’ordonne antiferromagnétiquement dans une structure à 120 dans les plans (a,b) en dessous d’une température de Néel magnétique (TN (M n) . 100 K). Cette mise en ordre est tridimensionnelle, ce qui traduit l’existence de couplages planaires, au sein des plans Mn-O, mais également interplanaires, entre plans Mn-O adjacents. Six structures magnétiques associées aux ions maganèses sont compatibles avec le groupe d’espace P63cm [Brown, 2006]. Ces configurations sont montrées en Figure 5.4.

Le réseau des terre rares peut également s’ordonner magnétiquement comme c’est par exemple le cas dans HoMnO3 et YbMnO3 où le site R(4b) de la terre rare s’ordonne à très basses températures (<5 K) [Muñoz, 2001, Fabrèges, 2008].

Cependant, la nature des interactions contrôlant la structure magnétique dans les man-ganites hexagonales h-RMnO3 est encore mal connue et on observe de grandes variations de configuration magnétique d’un composé à l’autre. Par exemple, les moments magnétiques

P63'cm' P63'c'm P63' P63cm P63c'm' P63 a) c) e) b) d) f) ψ

α

β

Figure 5.4 – Schéma des configurations magnétiques à 120 accessibles aux ions Mn3+ dans les manganites RMnO3 hexagonales.

des atomes de Manganèse sont perpendiculaires aux axes cristallographiques a et b et leur organisation dans les plans est antiparallèle dans h-HoMnO3 [Muñoz, 2001, Fiebig, 2002] et parallèle dans h-YbMnO3 [Fabrèges, 2008]. La stabilité d’une configuration plutôt qu’une autre et la nature des ondes de spin sont donc encore à comprendre.

5.1.1 Couplages multiferroïques

Dans certains composés h-RMnO3 (comme YMnO3 ou LuMnO3), la constante diélec-trique et la susceptibilité élecdiélec-trique subissent un saut à la température de Néel magné-tique [Lorenz, 2004,Iwata, 1998,Katsufuji, 2001]. On peut supposer que ces sauts sont couplés à une anomalie dans la polarisation ferroélectrique et à un déplacement des ions à TN. De tels déplacements ont été observé dans LuMnO3 [Lee, 2008]. Il a été montré que ces déplace-ments ont lieu sans changement de groupe d’espace et qu’il ne s’agit donc pas à proprement parler d’une transition de phase cristallographique puisqu’aucune symétrie n’est brisée, mais d’une transition dite isostructurale.

La magnétostriction qui couple les phonons aux spins permet également d’induire des dé-placements atomiques susceptibles de rendre compte des couplages entre l’ordre magnétique et le réseau [Kawasaki, 1963]. Le couplage magnétostrictif ne couple pas les spins voisins entre eux comme le fait l’interaction de Dzyaloshinskii-Moriya mais couple uniquement la position et le spin d’un ion donné. La magnétostriction peut donc induire les déplacements atomiques observés lors de l’ordonnancement des spins à TN. Cependant, aucune évidence expérimen-tale n’a permis d’attribuer ces déplacements à un couplage spin-phonon et la question de l’origine microscopique de cette transition isostructurale à TN reste encore ouverte.

Afin de comprendre les mécanismes à l’origine du couplage entre les spins et le réseau dans les manganites hexagonales, plusieurs études par diffusion inélastique de neutrons ont été

effectuées. En effet, dans un modèle simple, la magnétostriction donne lieu à une interaction résonante, se traduisant par une hybridation des excitations de spin et de réseau d’énergies équivalentes pouvant être mesurées par diffusion inélastique de neutrons.

Dans ces systèmes une hybridation est rendue possible entre une onde de spin et un mode de phonon acoustique. L’évolution de la dispersion d’un tel phonon en fonction de la température a été mesurée par Petit et al. [Petit, 2007]. Ces mesures montrent l’ouverture d’un gap au passage de la température de Néel dans la dispersion du phonon acoustique. Cette observation est en accord avec une interprétation dans le cadre la de la magnétostriction.

L’étude plus détaillée de cette dispersion montre cependant que le gap observé ne s’ouvre pas au point de croisement avec les ondes de spin. De plus les ondes de spin ne présentent pas de gap bien qu’il soit prévu par le calcul. Cette étude montre qu’il existe également dans les composés hexagonaux une réponse du réseau à TN qui reste encore à caractériser et dont l’interprétation est encore à effectuer afin de déterminer précisément l’origine du couplage multiferroïque dans cette classe de composés.