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LES LUTTES DE POUVOIR EN MÉDITERRANÉE

LES ÉVOLUTIONS SOCIALES ET POLITIQUES

II. LES FACTEURS EXTERNES

3. LES LUTTES DE POUVOIR EN MÉDITERRANÉE

Dans le jeu de balance de l’économie-monde de Braudel, les événements qui se déroulent au centre se répercutent dans la périphérie : ainsi les « systèmes princiers » du nord et les chefferies simples du sud ont enregistré les séismes en Méditerranée dont l’onde de choc s’est propagée à l’ensemble des zones (Brun, Ruby 2008, 78).

Parallèlement, l’intensification du trafic maritime tisse une toile de plus en plus serrée sur laquelle circulent les marchandises et les informations. La fréquence évaluée de quatre bateaux mensuels à Lattes au IVe siècle (Py 1999, 654), laisse entendre que les informations parviennent assez rapidement et que le Languedoc de l’âge du Fer n’est pas isolé des nouvelles du monde.

Son entrée dans le système méditerranéen, fenêtre ouverte sur le vaste univers, l’expose aux différents bouleversements qui s’y produisent.

Les conflits

Les puissants États méditerranéens de cette moitié du dernier millénaire se livrent une bataille acharnée pour avoir le contrôle du commerce et pour affirmer leur hégémonie. La seule participation attestée du Languedoc dans ces conflits entre « grands » concerne l’initiative malheureuse des Élysiques de Narbo dans la coalition étrusco-carthaginoise perdante à la bataille d’Himère en 480 avant notre ère.

Les guerres ont pour objectif d’imposer un nouveau rapport de force : les retombées de la bataille d’Alalia (535) procure aux Massaliètes l’accès au Bassin occidental méditerranéen, les victoires d’Himère et Cumes qui en chassent la flotte étrusque confortent la présence grecque. Le conflit gréco-punique à partir du IVe siècle entame le long épisode des guerres contre Carthage, que les Romains poursuivent et achèvent avec la destruction de la ville en 146 avant notre ère. Dans le bassin oriental, la guerre du Péloponnèse et la victoire de Sparte (401) clôt définitivement le cycle de la domination athénienne en Méditerranée.

Dans cette conjoncture, il est important de rappeler « qu’Athènes a réussi à maintenir le niveau des importations de blé au IVe siècle » (Finley 1984, 84), malgré le contrôle de la route du blé de la Thrace par Sparte (387-386), malgré l’alliance des rois lacédémoniens et des tyrans grecs de Sicile pour couper l’autre route du blé, et malgré le blocus d’Athènes

(376). Il paraît probable dans ces conditions d’encerclement, que les Athéniens aient fait appel à des alliés sûrs disposant d’une route maritime et que Marseille ait pourvu à l’approvisionnement d’Athènes. Cela fournirait une autre réponse possible au questionnement qu’on se pose à propos des impressionnantes quantités de stocks céréaliers dans la périphérie proche de Marseille. Cela pourrait encore expliquer les fluctuations d’échanges relevées au Marduel (notice 32) et Villetelle (notice 38) proches de Marseille, ainsi que celles de Perpignan (doc.115) où le blé pour Athènes aurait pu être convoyé via la diaspora grecque d’Emporion, Ampurias en Espagne.

La crise généralisée du IVe siècle

Cette crise se traduit par la fin de l’emprise séculaire du monde égéen en Méditerranée orientale qui provoque une série de crises et de réajustements.

En Grèce continentale, les conflits incessants pour l’hégémonie entre Athènes, Sparte et Thèbes, affaiblissent suffisamment le pays pour faciliter la conquête de Philippe II de Macédoine (338).

En Europe centrale, la disparition des systèmes princiers à la fin Ve siècle interrompant les échanges avec la Grèce et la Grande-Grèce, assèche une partie des activités commerciales de Marseille et entraîne l’appauvrissement des populations du Rhône et du littoral provençal. Cet effondrement des systèmes princiers entraîne encore une crise démographique en Gaule centrale (en Champagne) et provoque des mouvements de populations qui migrent en Italie septentrionale ou encore plus à l’Est, bouleversant les itinéraires des routes commerciales (Brun, Ruby 2008, 93 et 95).

Des crises écologiques viennent s’ajouter aux autres, dont l’épisode le plus connu est la péjoration climatique en Europe entre 430 et 250 (ibid., 113). Des crises pandémiques se propagent, dont la peste qui emporte Périclès (429) ou celle qui fait reculer les Carthaginois en Sicile pendant la guerre gréco-punique (397).

Cette accumulation de crises ébranle le système et comme les autres crises structurelles, celle-ci trouve une issue dans des restructurations. Mais dans le cas du IVe siècle en Méditerranée, c’est une restructuration politique d’envergure qui offre un débouché rapide.

Le débouché par la recomposition politique

Au Ve siècle déjà, les États de Méditerranée orientale sont à la recherche d’une forme politique dont les structures correspondent mieux à la dimension de l’économie-monde

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archaïque et qui soit plus adaptée à la gestion du flux croissant du capital marchand : cette transcroissance prend alors la forme politique de l’empire.

Cette première expérience en revient aux Grecs qui instaurent l’empire athénien de 478 à 431. La création de la Ligue de Délos en 478 (Finley 1984, 62) répond au constat que le cadre institutionnel de la cité-État ne suffit plus pour faire face à la situation et que la question de son dépassement se pose donc : Athènes seule, malgré sa richesse et sa puissance navale, n’a pas les moyens de construire et d’entretenir les deux cents trières nécessaires à l’éviction des Perses de la mer Égée. Le maintien de la Ligue de Délos après la victoire à l’Eurymédon (vers 466) montre que les cités réunies, ayant expérimenté la puissance d’une coalition, éprouvent la nécessité de rester unies et de passer à une échelle supérieure pour gouverner un monde devenu plus grand et plus riche.

Il faut remarquer, qu’au cours de ces recherches en quête d’un outil plus fort adapté aux exigences du moment, Marseille se tient à l’écart de ce mouvement et se maintient jusqu’à sa fin sous la forme d’une cité-État. En continuant à échanger avec sa périphérie, la Cité a sans doute fait écran entre les populations locales et les bouleversements du monde extérieur, réduisant peut-être la crise indigène des IVe-IIIe siècles à une réplique atténuée de la secousse générale qui a secoué la Méditerranée au IVe siècle.

Mais l’empire trouvera sa forme la plus achevée avec l’empire romain. Après la défaite de la dernière ville étrusque Volsinies (264) et la prise de Syracuse (212), Rome assure au IIIe siècle sa domination sur toute l’Italie et l’ancienne Grande-Grèce.

Au IIe siècle, Rome conquiert le bassin oriental : déclare Délos port franc (166), détruit Corinthe et la Ligue achéenne (146), hérite du royaume de Pergame légué par Attale III (133), et transforme l’Asie mineure en une province romaine (127). Rome s’impose dans le bassin occidental en sortant victorieuse des deuxièmes et troisièmes guerres puniques. Au Ier siècle, la défaite d’Alexandrie et la conquête de la Gaule en 52 placent Rome à la tête d’un immense empire administré selon les lois de l’état romain.

CONCLUSION

Le Languedoc protohistorique, en voie d’intégration dans l’économie-monde archaïque qu’il ne maîtrise pas et pris dans un contexte politique qu’il subit, a été maintenu dans un état de soumission. De plus, sa lente progression vers des formes d’organisation propres qui auraient pu émerger à partir du développement du commerce régional a été interrompue par l’installation de la Province et la colonisation romaine.

Si on permet une extrapolation anachronique, l’inachèvement de ce processus évoque à beaucoup d’égards l’état inachevé de pays ayant subi la colonisation. Cette situation fait penser à celle des pays que nous nommons de nos jours les « pays émergents ».

Il paraît alors intéressant en finissant ce travail de l’ouvrir brièvement à quelques situations issues de ces pays, pour donner vie à une vision trop désincarnéee de l’histoire, pour insister sur un moment charnière générateur d’un modernisme des rapports économiques et sociaux, et aussi rappeler que dans la longue chaîne de l’histoire chaque période conserve l’écho des orientations antérieures.

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