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ÉTUDE COMPARÉE DES COURANTS COMMERCIAU

BILAN : UNE PROMESSE D’AVENIR

II. ÉTUDE COMPARÉE DES COURANTS COMMERCIAU

Des courants ensemble

Les courants commerciaux de Méditerranée orientale et occidentale pratiquent l’emporía, une activité maritime qui consiste à transporter les matières premières recueillies dans les régions du pourtour méditerranéen et à les ramener aux pays d’origine pour « les transformer en biens de prestige » (Gras et al. 2010, 106-107).

L’emporía est multiple et disparate : « les courants sont innombrables et morcelés, animés par d’innombrables intermédiaires. Ce sont des va-et-vient, des redistributions …» (Gras 1995, 135). Les cargaisons homogènes (750-700) des épaves du Tanit et d’Élissa à plus de trente miles de la côte israélienne actuelle (Étienne 2010, 97) témoignent d’une navigation hauturière ancienne et d’un commerce « en droiture » (Arnaud 2014, 185) effectué par des navires de gros tonnage. Le bataclan des bateaux de faible tonnage des épaves du Giglio en Italie et du Bajo de la Campana en Espagne vers 600 (Étienne ibid.), illustre le fourre-tout du commerce de cabotage (Gras et al., 2010, 108-109).

L’emporía recouvre deux types de commerce : un premier lié aux activités lucratives des riches armateurs ou des puissantes Ligues des cités hellènes, un second lié au petit commerce livré à la pagaille de la libre entreprise où s’engouffrent tous les « aventuriers prêts à se mettre à l’eau » (Gras, 1995, 137). À ce propos, les cargaisons étrusques convoyées dans des bateaux cousus (Giglio) faisant affirmer « l’absence de construction navale étrusque » et suggérant un transport exclusivement réservé aux Grecs (Pomey 2006, 423-424) pourraient aussi bien révéler l’existence d’un marché frauduleux de bateaux mis au rebut par les Grecs et utilisés par des trafiquants?

La réglementation de l’emporía qui commence à se mettre en place à partir des années 530 tend à marginaliser les petits trafics pour laisser la voie libre au riche commerce. Ces accords qui partagent le Bassin occidental méditerranéen entre les grandes puissances maritimes visent à délimiter précocement des zones commerciales entre Étrusques, Grecs, Massaliètes, Carthaginois et Romains, dont il ressortira une compétition accrue.

Le phénomène de « méditerranéisation » est un processus d’intégration dynamique dans l’espace méditerranéen où il y a des gagnants et des perdants : « ceux qui profitent du progrès et ceux qui n’en profitent pas » (I. Morris, dans Malkin 2005, 30-55, cité par Etienne 2010, 5), processus qui renvoie directement aux formes de « guerre commerciale » des courants entre

eux, comme l’effacement du commerce étrusque devant le commerce massaliète en Languedoc. La méditerranéisation génère aussi des effets contradictoires sur les populations indigènes, elle accentue leur dépendance au standard économique et idéologique méditerranéen, tout en leur ouvrant une fenêtre sur un monde plus vaste et l’accès à des idées nouvelles (Garcia, Sourisseau 2010, 240).

Ces contradictions, toutes proportions gardées, pourraient évoquer des effets similaires à ceux de la mondialisation actuelle dans les pays « émergents », sur lesquels nous reviendrons.

Des courants en succession (fig.16)

On observe que pour une période d’environ cinq siècles, l’intervention en commun des courants se limite à soixante-cinq ans (540-475). Les courants commerciaux se succèdent, se chassent les uns les autres, renvoyant l’image d’une compétition économique assez sauvage. Le passage d’un partenaire commercial à l’autre se traduit généralement par un fléchissement des échanges sur les sites, vite suivi d’une reprise dès l’installation du nouveau courant. Ce prompt rétablissement s’explique sans doute par l’existence de surplus (nourriture, contreparties) en réserve permettant aux populations de faire la jonction entre deux changements, répondant donc à un niveau économique assez développé.

Cela pourrait déjà poser la question d’un début d’accumulation des richesses dans les sociétés du Languedoc de l’âge du Fer ?

Des courants en concurrence

Les commerçants massaliètes et ibériques se sont partagé la zone du commerce étrusque de part et d’autre du fleuve Hérault. Mais chaque courant essaie de grignoter sur l’espace de

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l’autre, ainsi les commerçants ibériques réussissent-ils une percée à Bessan de 500 à 475 (Nickels 1989, 113) et les Massaliètes ravissent-ils la vallée de l’Hérault (doc.11).

À défaut de pouvoir étendre davantage sa zone chaque courant renforce ses positions en procédant à des implantations communautaires, à Clermont-l’Hérault, Durban, Lattes, Nissan- lez-Ensérune ou Peyriac-de-Mer, pour les Grecs. Néanmoins, la mobilité étonnante dont font preuve les commerçants méditerranéens ne laisse d’interroger : est-ce le besoin de rester au plus près des marchés, de vérifier le bon acheminement des marchandises possiblement compromis par des actes de brigandage, ou une prévention « innée » contre les indigènes ?

Des courants en convergence

L’utilisation du transport maritime est le point commun à tous les courants commerciaux : les Étrusques sont sur les bords des étangs de Mauguio et de Thau, les Ibériques sur le littoral roussillonnais, les Massaliètes tiennent les gros ports d’Agde et de Lattes.

Tous les courants ont eu recours aux convoyeurs locaux pour acheminer leurs livraisons jusqu’à l’intérieur des terres et ils ont tous, à des degrés divers, collaboré au maillage du territoire par le développement des voies terrestres.

Ils ont tous participé à l’intensification de l’activité commerciale dont les effets se sont cumulés : cinq siècles d’échanges économiques et culturels avec les Massaliètes ont préparé les populations du Languedoc à la future gestion romaine.

CONCLUSION

La présence importante d’amphores en habitat est révélatrice d’un commerce de grande ampleur qui a sorti le Languedoc de son isolement de l’âge du Bonze et l’a propulsé dans une ère nouvelle : cela parce que son économie avait franchi le seuil de l’autosubsistance et produisait des surplus au moment de l’arrivée des marchands méditerranéens à la fin du VIIe siècle.

Les sociétés à l’âge du Fer, à l’instar de celles d’Espagne un siècle plus tôt, réalisent alors leur « révolution urbaine » et atteignent une maturité suffisante pour que le développement du commerce agisse sur elles comme un aiguillon.

On pourrait dire, en parodiant le titre d’un ouvrage connu (Peyrefitte 1973), qu’on assiste à « l’éveil » du Languedoc et à son cortège de transformations économiques et sociales.

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PARTIE II

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