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du dommage corporel d’origine accidentelle*

II- 2/ Les logiques de l’assurance privée au sein de l’ACC

Les ressources de l’ACC alimentent différents comptes venant indemniser les victimes en fonction de leur statut (travailleur ou non) et de la cause de leur accident36. Mais la temporalité de ce financement a varié : l’ACC doit-elle prélever les sommes nécessaires pour couvrir ses dépenses annuelles ? Ou bien doit-elle prélever les sommes nécessaires pour couvrir toutes les dépenses nées des accidents survenus dans l’année ? Le premier modèle (pay-as-you-go) a été appliqué entre 1982 et 1999 ; chaque année, les prélèvements doivent correspondre aux dépenses de l’année en cours, peu importe l’année de la survenance de l’accident. Dans ce cas, l’ACC ne possède pas de réserves financières et les cotisations actuelles paient pour les conséquences des accidents passés. Le second modèle (fully funded) a été appliqué entre 1974 et 1982 et l’est de nouveau depuis 1999 ; chaque année, les prélèvements doivent correspondre aux dépenses engendrées par les accidents survenus au cours de l’année, y compris les dépenses futures. Ainsi, l’ACC opère une capitalisation collec-tive de l’indemnisation des préjudices futurs et consécutifs à un accident survenu dans l’année. Elle doit donc effectuer des réserves et des placements financiers. Et aujourd’hui, ses revenus financiers constituent en réalité sa première source de revenus ! La logique demeure solidaire sur une base annuelle, les coûts de la répara-tion sont partagés entre tous les membres de la société, mais elle n’est pas solidaire d’une manière générationnelle : les cotisants ne doivent pas payer pour les accidents survenus il y a cinq ans. L’un des arguments pour appuyer cette réforme résidait dans le fait qu’une meilleure prévention des accidents aurait des conséquences immédiates sur le montant des cotisations.

Le système néo-zélandais n’a longtemps pas pris en compte de l’expérience ou le comportement plus ou moins risqué du cotisant. Le montant des cotisations ne dépen-dait pas de la conduite personnelle du conducteur automobile ou de la fréquence des accidents du travail au sein d’une entreprise donnée. Peu importe que le conducteur ait causé quinze accidents de la circulation durant la dernière année, ou n’en ait causé aucun au cours des trois dernières décennies : il cotise de la même façon. En réaction à certaines catastrophes industrielles et minières, et de manière à prévenir davantage

les accidents du travail, une prise en compte de l’expérience du cotisant a été intro-duite pour déterminer le montant de ses cotisations (experience rating). Cette modu-lation a été introduite en 2011 pour les employeurs. Les cotisations patronales au

work account varient désormais selon un système de bonus-malus en fonction de la

fréquence des accidents du travail dans l’entreprise par comparaison avec les autres entreprises du même secteur37. Dans les autres domaines, les cotisations demeurent calculées sur des bases objectives : type de véhicule, kilométrage parcouru (à travers les cotisations sur le carburant), etc.

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Les arguments présents dans le débat actuel n’envisagent plus la privatisation, même partielle, de l’ACC. Le montant des indemnisations versées par l’ACC n’appa-raît pas véritablement en débat : une augmentation impliquerait nécessairement une hausse de cotisations. La question d’une indemnisation complémentaire par l’auteur du dommage est régulièrement soulevée, en particulier en présence d’une infraction pénale. Depuis 1987, le délinquant peut être tenu à verser à la victime une indemnisa-tion supplémentaire, au titre de l’emoindemnisa-tional harm soufferte par cette dernière38. Depuis 2014, et renversant la jurisprudence de la Cour suprême, le législateur a prévu que le délinquant pouvait devoir compléter l’indemnisation de la victime, en particulier pour la part de la perte de revenus non prise en charge par l’ACC (top-up payements)39. L’ab-sence ou la limitation de l’indemnisation versée par les auteurs de dommage a conduit à une extension de la responsabilité pénale, notamment s’agissant des accidents du travail40.

Les premières critiques que l’on peut identifier portent sur la définition des personal

injuries. Celles-ci ont principalement été pensées comme des blessures physiques : les

atteintes psychiques (mental injuries) n’étaient traditionnellement couvertes que lors-qu’elles découlaient d’atteintes physiques. Cependant, certaines atteintes psychiques sans atteinte physique ont peu à peu été intégrées, notamment lorsqu’elles sont la conséquence de certaines infractions pénales, en particulier d’infractions sexuelles41, ou, dans des conditions particulièrement restrictives, d’un événement unique survenu dans le cadre du travail de la victime42. Mais la protection des salariés contre les risques psycho-sociaux apparaît faible43.

Les secondes critiques portent sur l’accès au droit et à la justice face à la puissante institution que constitue l’ACC. Une appréciation très sévère est quelquefois portée sur la causalité entre l’accident et la situation de la victime, en particulier à l’égard des situations les plus coûteuses. Le processus de résolution des conflits entre l’ACC et

37 Le calcul est effectué sur les trois années précédentes. Les variations, à la hausse comme à la baisse, peuvent aller jusqu’à 50 % pour les grandes entreprises, et jusqu’à 10 % pour les petites entreprises.

38 Actuellement Sentencing Act, 2002, section 32 (1), reprenant des dispositions législatives antérieures. Sur tous ces éléments, v. S. Connell, Justice for Victims of Injury: The Influence of ACC on the Civil and Criminal Law in New Zealand, LLM Thesis, University of Otago, 2011, spéc. p. 56-57.

39 Sentencing Act, 2002, section 32 (5), tel que résultant du Sentencing Amendment Act, 2014. Les frontières de cette extension demeurent encore assez floues, et la manière de calculer la perte de revenus pourrait être discutée : pour déterminer cette perte l’ACC se fonde presque exclusivement sur les revenus antérieurs de la victime, il pourrait en aller autrement s’agissant du complément d’indemnisation versé par le délinquant.

40 V. par exemple, Health and Safety at Work Act, 2015. 41 Accident Insurance Act, 1998.

42 ACA 2001, section 21B, insérée par un amendement de 2008.

43 D. Duncan, « ACC and worker health: Expanding to get a better scheme, not just a bigger one », Conférence The “private” law’s

response to accident, illness and disability, University of Otago et City University of Hong Kong, février 2019, à paraître à la Otago Law Review.

les victimes a été fortement critiqué, notamment pour son manque d’indépendance44. La problématique a notamment été soulevée comme une question de l’accès au droit et à la justice45.

Ces critiques confirment en réalité le succès de l’ACC. Son principe n’est pas remis en cause : l’impossibilité d’agir contre l’auteur du dommage46 ou le niveau de l’indem-nisation ne sont généralement pas critiqués. Les critiques portent sur l’ampleur des situations couvertes par l’ACC, et l’exclusion de nombreux cas à travers la définition et l’appréciation de l’accident, des personal injuries ou de la causalité. Fondamentale-ment, c’est l’extension de l’ACC à la maladie qui est en question.

44 W. Forster et al., Understanding the Problem: An analysis of ACC appeals processes to identify barriers to access to justice for

injured New Zealanders, Acclaim Otago, The Law Foundation, Legal Issues Centre, 2015 ; W. Forster et al., Solving the Problem : Causation, transparency and access to justice in New Zealand’s personal injury system, Acclaim Otago, The Law Foundation, Legal

Issues Centre, 2017. Disponible en ligne : https://www.otago.ac.nz/legal-issues/research/otago643051.html [consulté le 14 avril 2019].

45 T. Mijatov, T. Barraclough et W. Forster, « The idea of access to justice: reflections on New Zealand’s accident compensation (or personal injury) system », Windsor Yearbook of Access to Justice 2016 (vol. 33), p. 197 et s.

46 L’un des meilleurs connaisseurs de l’ACC affirmait en 2008 : « there is no support in New Zealand for a return of the tort law system, and that is unlikely to happen in the futur » (G. Palmer, « Accident compensation in New Zealand: Looking back and looking forward », New Zealand Law Review 2008, p. 81 et s.).

L

es règles qui président au recours des tiers payeurs sont complexes. Malgré leur réécriture il y a aujourd’hui plus de 12 ans1, leur intelligibilité et leur accessibilité continuent parfois de faire défaut2. Comment ces règles, ultra-techniques, s’articulent-elles avec celles du droit de la responsabilité civile dont la finalité est l’indemnisation des dommages ? Ou, autrement dit, le logiciel des recours des tiers payeurs et celui du droit de la responsabilité sont-ils compa-tibles ? Telle est la question qui se pose dans le cadre de la présente contribution.

Avant d’y répondre, il importe de noter que, parallèlement, le droit du dommage corporel s’est lui aussi complexifié ces dernières années au point de devenir, selon certain, une discipline à part entière au sein du droit de la responsabilité civile3. Le particularisme de l’indemnisation de ce type de dommage a en effet conduit à l’éla-boration de règles spécifiques et en particulier à la volonté de mettre en place une véritable méthodologie de l’indemnisation. La matière s’est ainsi rationnalisée à la fois pour tendre à une meilleure égalité de traitement entre les victimes mais aussi pour permettre une plus grande transparence dans les modalités de fixation des indemni-sations. L’harmonisation des pratiques liée à la diversité des acteurs de l’indemnisa-tion, qu’il s’agisse des juges, judiciaire ou administratif, des caisses de sécurité sociale, des fonds d’indemnisation, des assureurs, sans compter les médecins experts ou les avocats, impose l’usage d’outils communs.

Cette logique de rationalisation de la discipline n’est toutefois pas encore arrivée à son aboutissement, ne serait-ce que parce qu’il ne paraît pas sérieusement envi-sageable aujourd’hui de défendre l’idée que le recours des tiers payeurs s’intègre harmonieusement avec les principes guidant la réparation du dommage corporel dans le cadre d’une action en responsabilité.

1 Loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007.

2 V. également sur la question, J. Bourdoiseau, « La situation de la victime après le recours des tiers payeurs », Dr. social 2017, p. 949.

3 Sur la question, v. S. Porchy-Simon, « Réflexions sur l’autonomie du droit du dommage corporel », in C. Quézel-Ambrunaz, Ph. Brun et L. Clerc-Renaud (dir.), Des spécificités de l’indemnisation du dommage corporel, Bruylant, coll. du GRERCA, 2017, p. 9 et s.

Exposé de