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Table-ronde : La confrontation

des modèles de prise en charge

du dommage corporel à travers

le mécanisme des recours

Le premier problème des organismes de sécurité sociale est qu’ils sont extrême-ment variés. On tombe sur un panorama de la protection sociale qui est balkanisé, fragmenté, explosé. Il existe plusieurs dizaines de régimes pour la retraite, mais ce n’est pas forcément là où l’on rencontre le plus de difficultés en matière de recours contre tiers. Or, s’agissant de l’assurance maladie, il existe un nombre important de régimes. Aux côtés du régime général qui couvre une grande partie des assurés sociaux, on trouve le régime agricole, l’ancien régime des indépendants, le régime des fonctionnaires et les quelques régimes spéciaux, par exemple celui des clercs et employés de notaires. Pour ces derniers, je ne sais pas s’il existe un texte spécifique prévoyant un recours pour ce régime. À mon sens, la caisse de ce régime dispose bien d’un recours parce qu’elle est bien mentionnée dans la loi Badinter. Par contre, dans toute la litanie de textes spécifiques, ce n’est pas certain. Chacun de ces régimes obéit à une réglementation différente. Par exemple, le régime agricole est un régime intégré qui couvre la totalité des branches. C’est important parce qu’il existe certaines pres-tations qui sont servies par la branche famille. La Cour de cassation a décidé que les caisses d’allocations familiales ne sont pas des caisses d’assurance maladie au sens de la loi Badinter de sorte qu’il ne leur est pas possible d’exercer un recours contre tiers. La question se pose cependant de savoir si la même prestation servie par une caisse MSA dont personne ne nie le caractère de régime gérant un régime obligatoire de sécurité sociale, peut ouvrir droit à un recours.

Le deuxième problème concerne la fonction publique. Il serait excessif de dire qu’il n’existe pas de recours contre tiers, mais ce n’est pas très loin de la réalité. Concrète-ment, pour le Ministère des affaires sociales qui emploie plusieurs dizaines de milliers d’agents, on parle d’une centaine de recours contre tiers par année. C’est extrêmement peu par rapport aux enjeux. De manière générale, certains établissements publics sont trop petits pour avoir une structure leur permettant d’exercer des recours. Je pense aux ARS, aux CROUS et aux universités. Ces organismes externalisent de plus en plus leurs recours contre tiers parce qu’ils sont des assureurs sociaux de leurs agents, notamment pour les prestations en espèce. Les prestations en nature sont déléguées au régime général. Ces éléments expliquent pourquoi il leur est extrêmement difficile de mettre en œuvre les règles techniques régissant les recours contre tiers. Inverse-ment, il est fréquent que l’assureur ou la victime ne notifient pas à ce tiers payeur le fait qu’il y a eu dommage dont il était responsable. Cela pose un problème à l’assureur et à la victime, car ils ne savent pas que cet agent a causé le dommage.

Le troisième problème est celui du fonctionnement interne des caisses. Cela concerne avant tout le chiffrage des créances qui soulève trois difficultés.

Les deux principales concernent les très vieilles créances et les créances futures. S’agissant des créances anciennes, on ne peut pas les retrouver, car on impose aux caisses d’assurance maladie d’effacer de leurs bases de données des éléments datant de plus de dix ans. C’est particulièrement problématique pour les aggravations de dommage, par exemple celles touchant les transfusés de l’hépatite C des années 1990. Ce n’est pas de la mauvaise gestion, mais de l’application pure et simple de règles légales.

Pour ce qui est des créances plus récentes, il est parfois difficile de distinguer les créances en lien avec le sinistre de celles qui ne présentent aucun rapport avec celui-ci. Par exemple, les caisses présentent toutes les dépenses effectuées sur une période donnée et partent du principe que l’assureur « triera », ce que celui-ci

fera effectivement. Ce procédé alourdit le règlement du sinistre en raison des allers-retours entre caisses d’assurance maladie et assureurs, ces derniers contes-tant parfois le remboursement de certains médicaments dont le lien avec le sinistre n’a pas été établi.

En ce qui concerne les créances futures, le règlement est particulièrement difficile pour les caisses d’assurance maladie. Par exemple, on va installer une prothèse dont on pourra se demander s’il faut la remplacer tous les cinq ans ou tous les deux ans. Si on la change tous les deux ans, il faudra intégrer une opération tous les deux ans avec un coût déterminé, alors que si on la change tous les cinq ans, les opérations seront moins fréquentes, mais la prothèse sera plus coûteuse. Pour évaluer ce préju-dice futur, il est indispensable de disposer d’une véritable expertise médicale.

Enfin, la troisième difficulté concerne la mutualisation qui est indispensable en raison des difficultés médicales et juridiques. Elle est pratiquée de manière plus ou moins généralisée dans le cadre du régime général. En matière d’assurance maladie se pose alors la question des données personnelles et de la personne à laquelle elles appartiennent. Dans le domaine du régime général, c’est la caisse nationale qui détient les données que les caisses primaires ne font qu’exploiter, tout comme les médecins conseils sont salariés de la caisse nationale et non pas des caisses primaires. Ce n’est pas le cas dans le régime agricole, d’où la question du secret médical. Si j’accède au secret médical d’une personne non-ressortissant de ma caisse, il faut que je justifie de cet accès. Or, j’en suis incapable parce que l’exercice d’un recours contre tiers ne fait pas partie des motifs légitimes d’un tel accès. Il est beaucoup plus simple pour un médecin conseil d’accéder à ses propres données qui sont sous sa propre respon-sabilité. Or, pour une caisse MSA de confier la gestion de ses données de santé à un autre médecin alors qu’il n’est pas en mesure de justifier un accès, c’est beaucoup plus difficile.

Il existe également des problèmes d’articulation entre les notions de consolida-tion du droit social, d’une part, et du droit civil et du droit des assurances, de l’autre. Souvent, les dates ne sont pas les mêmes de sorte que les créances des caisses sont forcloses. Il faudrait aligner le droit social et le droit commun pour rendre les recours contre tiers plus efficaces.

Les solutions ne sont pas évidentes. Nous avions proposé de créer un guichet unique permettant d’identifier les différentes caisses. La victime n’aurait alors qu’à indiquer son numéro NIR et elle obtiendra la liste de l’ensemble des tiers payeurs. Par ailleurs, j’ai proposé qu’une caisse MSA exerce des recours sur des prestations famille de sorte qu’il existe une jurisprudence sur ce point, dans un sens ou dans un autre. Pour ma part, il s’agit là d’une question pouvant faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité en raison de l’inégalité manifeste devant les charges publiques. Je me posais également la question à propos des prestations de l’assurance-chômage qui seront désormais forfaitaires, ce qui suscite une vraie interrogation par rapport au principe de réparation intégrale.

D

ans le cadre de mon exposé1, je vous propose de changer de perspective. Pour l’instant, nous nous sommes intéressés au cadre normatif ainsi qu’aux organismes sociaux. Pour ma part, je vais me pencher sur les rapports entre les organismes sociaux et les victimes. En la matière, nous nous apercevrons que l’on peut sans doute mieux faire…

I. LA THÉORIE

Les champs d’action de l’avocat de victimes sont multiples. Nous intervenons dans le domaine des accidents de la vie, dans celui des accidents de la route où s’applique un régime spécial applicable aux rapports avec la Sécurité sociale, dans celui des acci-dents du travail où le régime particulier de la réparation forfaitaire peut être dépassé par la notion de faute inexcusable pour atteindre le « Grâal » de la réparation quasi- intégrale des préjudices, et dans celui des accidents médicaux qui sont aujourd’hui la terre d’élection de la « perte de chance », laquelle soulève l’épineuse question du « droit de préférence ».

De manière générale, nous expliquons à nos clients que nous pourrons obtenir la réparation de leurs « souffrances endurées », de leurs « pertes de gains profession-nels actuels », de leurs « dépenses de santé », de leur « incidence professionnelle », de leurs « frais divers », d’un « déficit fonctionnel permanent », d’un « déficit esthétique permanent », pour reprendre les termes de la Nomenclature Dintilhac. Mais nous leur expliquons aussi que si l’ensemble de ces postes peut constituer le préjudice de la victime, cela ne dit pas qui va le compenser.

À cet égard, nous devons rappeler à nos clients que le régime d’indemnisation en vigueur dans notre pays leur est globalement très favorable, mais aussi qu’il dépend d’une multitude de payeurs : l’assureur du tiers responsable, parfois le Fonds de Garantie, les organismes sociaux, l’État, l’employeur…

1 Le style oral de la présentation a été conservé.

Exposé de