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Chapitre 2 : Les activités des acteurs collectifs au sein des logiques institutionnelles

2.1 Les éléments conceptuels de cadrage

2.1.1 Les logiques institutionnelles

Les logiques institutionnelles sont une forme de bifurcation théorique de la rationalité limitée de March et Olsen (1984, 1989). Au lieu de penser que les individus se comportent différemment face à une décision rationnelle et/ou irrationnelle, Friedland et Alford (1991) proposent de regarder d’abord le lieu dans lequel ils se trouvent, d’étudier l’ordre institutionnel qui les entoure, les conflits qui les opposent et l’impact de leurs choix sur leurs pratiques, les matériaux et les symboles utilisés.

2.1.1.1 Principes fondateurs

Les fondements de la perspective résident principalement dans l’analyse des confrontations de deux ou plusieurs logiques - autrement appelées « mondes » (cf. Boltanski et Thevenot cités dans Cloutier & Langley, 2013) - contradictoires.

Le principe innovateur des logiques institutionnelles est la compréhension de la société comme un système interinstitutionnel (Friedland & Alford, 1991) constitué « d’ordres » répartissant les individus selon différents contextes incluant les marchés, les industries, et les populations. Alford et Friedland (1985) décrivent la société moderne occidentale comme répartie selon trois ordres distincts : le capitalisme, l’Etat bureaucratique et la démocratie politique. Les pratiques et les croyances des trois ordres entrent en contradiction, et c’est la description étendue des confrontations entre acteurs qui permet d’expliquer les difficultés qu’ont les individus à s’engager politiquement. La perspective des logiques institutionnelles fournit plus tard par Friedland et Alford (1991) n’est plus uniquement applicable à un niveau sociétal. Il s’agit d’un modèle métathéorique permettant aux chercheurs d’analyser les schémas cognitifs, les attentes normatives et les activités enracinées dans des pratiques matérielles et les systèmes symboliques des acteurs, les organisations ou les sociétés au sein de différents ordres (Friedland et Alford, 1991, p. 232 ; Thornton et Ocasio, 2008).

2.1.1.2 Conséquences des logiques sur les institutions

En s’intéressant de très près à la théorie de l’agence (cf. Giddens, 1984), les auteurs des logiques institutionnelles expliquent que le contexte culturel, politique et social guide l’intention des acteurs, leurs objectifs et leurs identités. Chaque ordre institutionnel va potentiellement influencer les acteurs à disposer des ressources (cf. section suivante) et des

rationalités distinctes. En d’autres mots, les individus ont à disposition plusieurs ressources, typiquement, des normes sociales, saisies pour occasionner un changement à un niveau supérieur. Les acteurs sont intégrés dans des systèmes complexes où la structure, les normes et les symboles sont complémentaires et non indépendants. Cela présuppose une autonomie des individus et des organisations dans la société, comme un ensemble organisé en plusieurs niveaux qui se chevauchent : les individus négocient entre eux, les organisations sont en conflit ou se coordonnent, et les institutions entrent en contradiction et interdépendance (Thornton & Ocasio, 2008, p. 104).

Ainsi, le regroupement des acteurs en logiques a des conséquences à différents niveaux.

D’abord, au niveau des acteurs, les logiques institutionnelles fournissent un guide de comportements à adopter lorsqu’ils souhaitent surmonter un problème (Thornton, Ocasio, & Lounsbury, 2012). Les logiques institutionnelles contraignent les acteurs à concentrer leur attention et leurs préférences selon les catégories et répertoires d’actions définies par la logique à laquelle ils appartiennent. C’est le principe d’agencement (Greenwood & Suddaby, 2006; Seo & Creed, 2002; Thornton & Ocasio, 2008, p. 103). Une fois encore, les auteurs soutiennent qu’à l’inverse de la théorie néo-institutionnelle percevant principalement la cognition comme une contrainte institutionnelle (ex : DiMaggio & Powell, 1983; Tolbert & Zucker, 1983), les logiques institutionnelles fournissent les fondements à la fois symboliques, cognitifs et substantifs (Misangyi et al., 2008) pour comprendre comment les interactions sociales entre les acteurs transforment et reproduisent les structures sociales et culturelles (Thornton et al., 2012).

Objectifs : les individus membres d’une logique ont des objectifs communs. Dans une perspective institutionnelle, ils affectent la cognition et l’action des individus (Thornton et al., 2012, p. 88). Les objectifs sont distincts si individu appartient à une logique de marché, de communauté ou professionnelle. L’un sera à la recherche de profit, l’autre optimisera l’égalité et le dernier le service.

Schémas : Les logiques institutionnelles aident les acteurs à générer des schémas pour analyser l’information ou guider les décisions. Le concept de schéma souligne la façon dont les acteurs comprennent l’information et la mémorisent, sinon la manière dont ils aident les individus à résoudre une ambigüité (Thornton et al., 2012, p. 89). Les schémas peuvent être de nature pragmatique ou cognitive.

Les logiques deviennent une ressource décisionnelle et une contrainte, car elles limitent les possibilités d’agir différemment à un moment donné. Par exemple, un père de famille

mobilise chez lui une logique de famille et au travail une logique de marché. Le même acteur peut choisir d’utiliser des logiques distinctes à différents intervalles selon les besoins qu’il perçoit utiles à une situation donnée (McPherson & Sauder, 2013).

En revanche, ce que soutiennent les chercheurs, c’est l’irrationalité de certaines décisions. A la maison, le père de famille doit laisser de côté son travail pour s’occuper du parcours scolaire des enfants.

Attention : Les individus limitent leur attention sur un ensemble de problèmes prédéfinis par la logique institutionnelle (Thornton et al., 2012, p. 90). Ce point diffère des théories néo-institutionnelles prônant l’idée que les décisions des acteurs sont prises pour acquises, et donc automatiques.

Au niveau des acteurs collectifs, comme les organisations, des travaux récents expliquent que lorsque plusieurs logiques institutionnelles ont des prescriptions incompatibles, cela aboutit à une complexité institutionnelle (Greenwood et al., 2011; Jarzabkowski et al., 2013). Il convient à ce propos de mettre à part les logiques, les membres et les pratiques afin d’éviter l’affectation sur les opérations des organisations. L’organisation peut, par exemple, séparer les logiques au sein d’unités géographiques distinctes ou de différents départements (ex : Dunn & Jones, 2010; Lounsbury, 2007). Si en revanche, les deux logiques coopèrent, on parle d’ambidextrie institutionnelle. Cela s’applique quand les relations entre des logiques multiples au sein d’un champ ou d’une organisation peuvent avoir des conséquences fructueuses (Jarzabkowski et al., 2013). Les logiques sont interdépendantes et peuvent apporter des actions complémentaires.

Enfin, au niveau du champ, les logiques contraignent (Seo et Creed, 2002 ; Battilana, 2006 ; Greenwood et Suddaby, 2006) et influencent les activités et les stratégies des acteurs au sein d’un champ organisationnel (ex : Scott et al., 2000 ; Thornton, 2004 ; Murray, 2010). Les processus de légitimation de logiques aboutissent à la matérialisation des logiques. De leur propre construction, elles prennent un aspect tangible quand elles sont exprimées par les acteurs à travers des vocabulaires, des scripts et des schémas (Thornton & Ocasio, 1999). Beaucoup de travaux, jusqu’à présent, se concentrent sur les activités des acteurs collectifs et des processus au niveau du champ (McPherson & Sauder, 2013). A ce niveau, ce qu’il faut retenir c’est l’idée suivante :

Les logiques sont constituées de relations entre les systèmes symboliques (identité collective et sens) et des pratiques matérielles (actions substantives), relations médiatisées elles même par des modèles cognitifs (schémas) et des rôles

comportementaux qui forment la base dans laquelle les acteurs interagissent dans le monde (Misangyi et al., 2008, p. 755).

Pour synthétiser cette dernière idée, Misangyi et ses collègues (2008) proposent d’articuler le passage d'une logique existante à une nouvelle logique autour des pratiques et des actions des membres (Figure 3).

Figure 3 : Les éléments conceptuels des logiques institutionnelles au niveau du champ organisationnel

Source : Misangyi et al. (2008: 756)