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5. La schizophrénie, une maladie associée à un système de récompense

5.3 Les mécanismes d’action pharmacologiques des médicaments antipsychotiques

5.3.1 Localisation des récepteurs 5-HT2a et leur interaction avec la

La famille des récepteurs 5-HT2 comprend trois sous-types, soit les récepteurs 5-HT2a, 5-HT2b et 5-HT2c. Ces récepteurs sont des métabotropes, constitués de sept passages transmembranaires couplés aux protéines G. Les récepteurs 5-HT2 sont couplés aux protéines Gq/11 et leur activation induit une augmentation d’inositol

triphosphate et de diglycérole ce qui produit, respectivement, une augmentation de la concentration intracellulaire de calcium et l’activation de la protéine kinase C (voir Hoyer et coll., 1994). La technique de microscopie électronique a permis de montrer que les récepteurs 5-HT2a sont localisés sur les corps cellulaires, les dendrites et les axones myélinisés, mais pas au niveau des terminaisons nerveuses (Cornea-Hébert et coll., 1999; Doherty et Pickel, 2000). Les aires corticales (par exemple le CPF), le striatum dorsal (caudé/putamen) et ventral (NAc) qui reçoivent une innervation dopaminergique contiennent une densité élevée de récepteurs 5-HT2a. La densité est un peu plus faible dans le mésencéphale ventral (ATV, SN), là où l’on retrouve les corps cellulaires des neurones dopaminergiques (Cornea-Hébert et coll., 1999, Jakab et Goldman-Rakic, 1998). Au niveau de l’ATV, des récepteurs 5-HT2a sont présents sur les dendrites et dans le cytoplasme des neurones à DA et non-dopaminergiques (Doherty et Pickel, 2000; Ikemoto et coll., 2000; Nocjar et coll., 2002). Au niveau du CPF et du NAc, les récepteurs 5-HT2a sont principalement exprimés sur les corps cellulaires et dendrites des cellules pyramidales et des neurones GABAergiques épinés de moyenne taille (Cornea-Hébert et coll., 1999), respectivement; dans ces régions la modulation de la neurotransmission dopaminergique se fait donc de manière indirecte.

5.3.1.1 Effets des antagonistes des récepteurs 5-HT2a sur la neurotransmission dopaminergique

L’administration systémique de 1-[2,5-dimethoxy-4-iodophenyl-2- aminopropane] (DOI), un agoniste des récepteurs 5-HT2a/2c, augmente la concentration extracellulaire de DA dans le CPF médian, le striatum ventral et dorsal ainsi que dans le mésencéphale ventral (Bortolozzi et coll., 2005; Lucas et Spampinato, 2000; Pehek et coll., 2001, 2006) et augmente l’activité des neurones à DA de l’ATV (Bortolozzi et coll., 2005; Olijslagers et coll., 2004). Les effets du DOI sur la neurotransmission dopaminergique sont bloqués par l’administration d’un antagoniste sélectif pour les récepteurs 5-HT2a tel que le M100907 et le SR4634B (Bortolozzi et coll., 2005; Lucas et Spampinato 2000; Pehek et coll., 2001, 2006); ces antagonistes n’altèrent pas la libération de DA au niveau du CPF, du NAc et de l’ATV (Bonaccorso et coll., 2002; Bortolozzi et coll., 2005; Gobert et coll., 2000; Ichikawa et coll., 2001a, 2001b; Liégeois et coll., 2002; Pehek et coll., 2006; Porras et coll., 2002; Sorensen et coll., 1993) ni l’activité électrique des cellules à DA de l’ATV et de la SNc (Olijslagers et coll., 2004; Sorensen et coll., 1993). Cependant, certaines études ont montré que lorsque le M100907 est directement infusé dans le CPF médian, il y induit une atténuation de la libération de DA (Bortolozzi et coll., 2005; Pehek et coll., 2001, 2006), suggérant un effet facilitateur des récepteurs 5- HT2a sur la neurotransmission dopaminergique au niveau du CPF. De plus, d’autres études ont montré que l’administration systémique du M100907 augmente la concentration extracellulaire de DA dans le NAc (Marcus et coll., 2000) ainsi que le nombre de cellules à DA spontanément actives dans l’ATV (Minabe et coll., 2001),

suggérant un effet inhibiteur des récepteurs 5-HT2a. Bien que certaines études aient montré que le M100907 altère par lui-même la libération de DA et l’activité des cellules à DA dans l’ATV et la SNc, les résultats d’un plus grand nombre d’études excluent une activité intrinsèque de ces récepteurs 5-HT2a sur la neurotransmission dopaminergique.

Les antipsychotiques atypiques, bien qu’ils présentent une forte affinité pour les récepteurs 5-HT2a, agissent également comme antagonistes aux récepteurs D2. De plus, les antipsychotiques atypiques semblent présenter une plus grande efficacité sur les symptômes négatifs, une observation soutenue par le fait les antipsychotiques atypiques induisent une augmentation de la concentration extracellulaire de DA dans le CPF médian de plus grande amplitude que les antipsychotiques classiques (Kuroki et coll., 1999). Afin de mieux comprendre l’interaction entre les récepteurs 5-HT2a et D2, des études ont évalué l’effet d’une activité antagoniste aux récepteurs 5-HT2a lorsque la neurotransmission dopaminergique est altérée. Ainsi, au niveau du CPF médian, l’administration de M100907 potentialise l’augmentation de la libération de DA induite par le sulpiride ou l’halopéridol (Ichikawa et coll., 2001b; Liégeois et coll., 2002) tandis qu’au niveau du striatum ventral, l’administration d’un antagoniste des récepteurs 5-HT2a l’atténue (Bonaccorso et coll., 2002; Liégeois et coll., 2002; Lucas et Spampinato, 2000). Le blocage des récepteurs 5-HT2a à l’aide de SR4634B renverse aussi l’augmentation synaptique de DA induite par l’administration de d- amphétamine (Porras et coll., 2002) au niveau du NAc.

Ce qui ressort principalement des études mentionnées ci-haut c’est que l’effet du blocage des récepteurs 5-HT2a sur l’augmentation de la libération de DA induite par un antagoniste des récepteurs D2 est différent selon la région étudiée. Au niveau

du CPF, les antagonistes des récepteurs 5-HT2a et D2 agissent en synergie tandis qu’au niveau sous-cortical, l’ajout d’une activité antagoniste aux récepteurs 5-HT2a atténue l’effet du blocage des récepteurs D2.

5.3.1.2 Effets des antagonistes des récepteurs 5-HT2a sur les comportements dopamino-dépendants

Un des signes comportementaux observés chez les schizophrènes est un défaut dans le filtrage de l’information sensorielle-motrice, c’est-à-dire qu’ils ont de la difficulté à traiter les informations sensorielles et à faire abstraction de celles qui ne sont pas pertinentes. Par exemple, les schizophrènes présentent une difficulté à s’accoutumer à des stimuli sonores externes de sorte de leur réponse physiologique (par exemple sursauter) ne diminue pas même si les stimuli sont présentés à répétition. Un des moyens de mesurer ce déficit dans la régulation de l’information sensorielle est d’effectuer un test de l’inhibition du sursaut dans lequel l’amplitude de la réponse de sursaut suite à la présentation d’un stimulus sonore de forte intensité est mesurée. La réponse de sursaut est ensuite comparée à celle observée lorsque ce même stimulus sonore est étroitement précédé (millisecondes) d’un stimulus sonore de plus faible intensité (prépulsion). Les schizophrènes, à l’opposé des sujets sains, ne présentent pas d’inhibition du réflexe de sursaut. Ce même test comportemental peut être adapté pour les animaux de laboratoire. Les agonistes dopaminergiques (apomorphine, amphétamine) et les antagonistes des récepteurs NMDA (PCP, kétamine) préviennent l’inhibition du sursaut induite par la prépulsion, un déficit comportemental renversé par les antipsychotiques classiques et par les atypiques (Bakshi et coll., 1994; Bakshi et Geyer, 1995; Swerdlow et Geyer, 1993; Swerdlow et

coll., 1996, 1998). Les antipsychotiques atypiques présentent toutefois une plus grande efficacité à rétablir l’inhibition du sursaut et leur efficacité serait, entre autres, expliquée par leur activité antagoniste aux récepteurs 5-HT2a. L’administration de M100907 bloque l’atténuation de l’inhibition du sursaut observée chez les souris qui n’expriment pas le DAT (Barr et coll., 2004) ou induite par l’acide lysergique diéthylamine (Ouagazzal et coll., 2001).

Le rôle des récepteurs 5-HT2a dans l’efficacité des antipsychotiques atypiques a également été étudié à l’aide du paradigme de réponse conditionnée d’évitement. Les antipsychotiques classiques atténuent la réponse conditionnée d’évitement et Wadenberg et collaborateurs (1998, 2001) ont montré que le M100907, qui n’a pas d’effet par lui-même, augmente la capacité de l’halopéridole et du raclopride, lorsqu’administrés à dose sous-liminale, à supprimer la réponse comportementale.

Le test de locomotion induite par la nouveauté ou par les drogues d’abus est un autre modèle animal utilisé pour étudier le mécanisme d’action des antipsychotiques. Sa validité est basée sur le fait que les schizophrènes présentent une neurotransmission dopaminergique accrue durant un épisode psychotique et une plus grande sensibilité aux psychostimulants que les sujets sains (voir section 5.2). L’halopéridol et la clozapine atténuent l’activité locomotrice induite par les agonistes dopaminergiques indirectes et les antagonistes des récepteurs NMDA (Carlsson et coll., 1999; Moser et coll., 1996). Les études ayant utilisé ce modèle d’hyperactivité motrice montrent que l’administration systémique de M100907 n’altère pas la locomotion spontanée mais atténue l’augmentation de la locomotion induite par la cocaïne (Fletcher et coll., 2002), la d-amphétamine (Carlsson et coll., 1999; Moser et

coll., 1996) ainsi que par les antagonistes des récepteurs NMDA MK-801 et D- CPPene (Carlsson et coll., 1999). Carlsson et collaborateurs (1999) ont montré que le M1009007 est plus efficace à bloquer l’augmentation de l’activité locomotrice induite par les antagonistes des récepteurs NMDA que celle induite par les agonistes dopaminergiques puisque de faibles doses de M100907 diminuent les effets du MK- 801 et du D-CPPene mais pas ceux de la d-amphétamine ou du GBR12909. Afin de déterminer dans quelle(s) région(s) cérébrale(s) l’antagoniste des récepteurs 5-HT2a agit, McMahon et collaborateurs (2001) ont évalué l’effet de l’infusion intra-ATV et intra-NAc de M100907 sur l’augmentation de l’activité motrice induite par la cocaïne. Cette étude montre qu’au niveau de l’ATV, mais pas au niveau du NAc, le M100907 diminue l’hyperlocomotion; la locomotion spontanée n’est altérée ni par l’infusion de M100907 dans l’ATV ni par celle dans le NAc.

En résumé, les études mentionnées ci-haut montrent que bien qu’une activité antagoniste aux récepteurs 5-HT2a n’altère pas, par elle-mêne, les comportements dopamino-dépendants, elle potentialise l’efficacité de faibles doses d’antipsychotiques classiques. De manière générale, ces observations suggèrent que le blocage des récepteurs 5-HT2a agit en synergie avec une activité antagoniste aux récepteurs D2 et que cette interaction 5-HT2a/D2 pourrait expliquer l’efficacité des antipsychotiques atypiques.

5.4 Effets de l’interaction entre les récepteurs 5-HT2a et D2 sur le modèle