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5. La schizophrénie, une maladie associée à un système de récompense

5.2 L’hypothèse dopaminergique de la schizophrénie

L’hypothèse dopaminergique de la schizophrénie origine de plusieurs observations. D’abord, la consommation de drogues qui stimulent la neurotransmission dopaminergique centrale, particulièrement les drogues psychostimulantes telles que l’amphétamine et la cocaïne, induit un état psychotique caractérisé par des symptômes similaires à ceux observés chez les patients atteints de schizophrénie. Aussi, ces substances peuvent exacerber l’état psychotique chez les patients schizophrènes et précipiter l’apparition de l’état psychotique chez les patients en rémission (Snyder, 1973). On a également montré que les médicaments qui réduisent les symptômes positifs, les médicaments antipsychotiques, altèrent la neurotransmission dopaminergique centrale. Les médicaments antipsychotiques ont comme dénominateur commun une activité antagoniste aux récepteurs à DA et en particulier aux récepteurs D2 (Carlsson, 1978b; Farde et coll., 1988). Il est possible d’avancer qu’à ce jour il n’existe aucun médicament cliniquement efficace qui n’atténue pas minimalement la neurotransmission dopaminergique. Les antipsychotiques classiques (i.e. chlorpromazine, halopéridole, pimozide) dont le prototype est la chlorpromazine sont aussi appelés « neuroleptiques » puisqu’ils induisent un état « d’hibernation artificielle » tel qu’énoncé par Laborit et Huguenard (1951). L’efficacité clinique de ces médicaments est fortement corrélée avec leur degré d’affinité pour les récepteurs de type D2. Des études ont montré pour un grand nombre de médicaments qu’il existe une corrélation élevée entre la dose clinique

requise pour atténuer les symptômes et leur affinité pour les récepteurs D2 (Creese et coll., 1976; Seeman et coll., 1976). L’ensemble de ces observations appuie l’hypothèse dopaminergique, c'est-à-dire que les symptômes de la schizophrénie sont causés par une hyperactivité fonctionnelle des voies dopaminergiques centrales.

Des travaux subséquents ont permis de mettre en évidence un dysfonctionnement de la neurotransmission dopaminergique mésocorticolimbique. L’hyperactivité de la voie mésolimbique serait à l’origine des symptômes positifs alors que l’hypoactivité de la voie mésocorticale serait à l’origine des symptômes négatifs et cognitifs (Carlsson, 1978a; Grace, 1991). Au niveau du fonctionnement intrinsèque des cellules à DA, des études d’imagerie qui ont utilisées de la L-DOPA radiomarquée montrent que chez les patients en état de psychose il y a une augmentation de la synthèse de DA et de son emmagasinage dans les vésicules en comparaison aux sujets sains (Hietala et coll., 1995; Lindstrom et coll., 1999; McGowan et coll., 2004; Reith et coll., 1994). D’autres études montrent que suite à un traitement à l’aide d’AMPT, le nombre de récepteurs à DA libres est supérieur chez les patients psychotiques que chez les sujets sains (Abi-Dargham et coll., 2000, 2009), donc que la synthèse et la libération de DA sont plus élevées chez les patients atteints de ce trouble mental. Au niveau de l’augmentation de la libération de DA induite par un psychostimulant, les schizophrènes présentent une plus grande sensibilité que les cas témoins (Abi-Dargham et coll., 2009; Breier et coll., 1997; Laruelle et coll., 1996).

5.2.1 La psychose : un état associé à une neurotransmission dopaminergique aberrante

Tel qu’il en a été discuté au chapitre 3, la DA joue un rôle essentiel dans le phénomène de renforcement positif, dans les processus d’attention, et dans l’apprentissage de l’association entre un stimulus, un comportement et sa conséquence. Les travaux de Schultz (1998, 2001) ont montré que si l’on présente à plusieurs reprises un stimulus neutre (lumière) en même temps qu’un stimulus renforçant (jus de fruits), le stimulus neutre perd sa neutralité et stimule l’activité des neurones dopaminergiques lors qu’il est présenté sans le stimulus renforçant. Ce stimulus devient saillant par rapport aux autres stimuli présents (non-pairés avec le stimulus renforçant) et par conséquent suscite l’attention. Selon Schultz, la DA signale à l’organisme les stimuli pertinents ce qui a pour conséquence que ce dernier accorde peu ou pas d’attention aux stimuli qui constituent en quelque sorte le bruit de fond. Kapur (2003) a émis l’hypothèse que la « psychose résulte d’une aberration de la neurotransmission dopaminergique » (Figure 13). Par le terme psychose, Kapur désigne les délires (i.e. de fausses croyances cristallisées), les hallucinations (i.e. des perceptions aberrantes) et les comportements aberrants qui résultent de ces deux phénomènes. Dans son article de 2003, il écrit:

“It is proposed that in psychosis there is a dysregulated dopamine neurotransmission that leads to stimulus-independent release of dopamine. This neurochemical aberration usurps the normal process of contextually driven salience attribution and leads to aberrant assignment of salience to external objects and internal representations. Thus, dopamine, which under normal conditions is a mediator of contextually relevant saliences, in the psychotic state becomes a creator of saliences, albeit aberrant ones.”

Figure 13. Théorie d’une neurotransmission dopaminergique aberrante à l’origine de la psychose. Adaptée de Kapur 2004.

Prédispositions environnementales et génétiques Neurotransmission DAergique dysfonctionnelle Attribution erronée d’un sens significatif à

un stimulus neutre

Développement de fausses croyances afin d’expliquer la

pertinence attribuée au stimulus normalement neutre

Les délires de la personne la mènent à produire des comportements socialement inadéquats et la personne est

traitée Les antipsychotiques

bloquent la DA et atténuent le caractère significatif du

stimulus Le stimulus n’est plus pertinent, ré-apprentissage et formation de nouvelles croyances possibles. Arrêt de la médication ou prise de drogue Les antipsychotiques atténuent aussi la signification des stimuli

Ainsi, selon Kapur la neurotransmission dopaminergique s’activerait de manière désordonnée chez une personne qui est prédisposée à développer une psychose; puisque cette activation est indépendante de la pertinence des stimuli externes et/ou internes la personne attribue une signification erronée aux stimuli neutres. Cette hypothèse est appuyée par les résultats d’une étude effectuée au moyen de la technique d’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle qui montrent que la présentation de stimuli neutres provoque une plus grande activation des régions limbiques tel que le striatum ventral chez les patients schizophrènes en comparaison aux sujets sains (Jensen et coll., 2008). L’attribution d’une pertinence erronée aux stimuli qui devraient être considérés comme impertinents génère de fausses croyances qui progressivement se cristallisent; cela induit un état de détresse, et engendre des comportements inappropriés. En atténuant la neurotransmission dopaminergique, les médicaments antipsychotiques réduisent l’aberration perceptuelle et facilitent l’extinction du caractère inadéquat de la pertinence des stimuli entraînant ainsi une diminution progressive des symptômes psychotiques.

Le circuit neuronal du système de récompense est essentiel pour l’apprentissage tel que nous l’avons vu précédemment et les neurones dopaminergiques constituent des éléments importants de ce circuit. Il n’est donc pas étonnant de constater que les drogues qui sont les plus efficaces pour atténuer la récompense induite par la stimulation électrique intracérébrale sont les médicaments antipsychotiques. Une meilleure compréhension des mécanismes d’action de ces médicaments sur ce circuit neuronal permettrait de mieux comprendre les mécanismes par lesquels ces médicaments produisent leur effet clinique; ceci repose

sur le postulat que l’effet clinique résulte d’une restauration fonctionnelle normale de la neurotransmission dopaminergique et du circuit de récompense.

5.3 Les mécanismes d’action pharmacologiques des médicaments