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Localisation

Dans le document algèbre 2 (Page 88-90)

II. Modules

6. Localisation

Nous allons avoir maintenant besoin de parler de localisation, une opération fondamentale en algèbre commutative (que nous avons réussi à éviter jusqu’alors !).

Soit A un anneau et S une partie multiplicative de A, c’est-à-dire telle que 1 ∈ S et S · S ⊆ S. Le but est d’inverser les éléments de S dans un anneau AS. La procédure est analogue à celle de la construction du corps des fractions d’un anneau intègre (où l’on prend pour S l’ensemble de tous les éléments non nuls). Plus précisément, on définit sur S × A une relation d’équivalence en posant

(s, a) ∼ (s0, a0) ⇐⇒ ∃t ∈ S (as0− a0s)t = 0.

On note a/s la classe d’équivalence de (s, a) et S−1A l’ensemble des classes d’équivalence. On munit ce dernier d’une structure d’anneau en posant

a s+ a0 s0 = as0+ a0s ss0 et a s· a0 s0 = aa0 ss0.

(Il faut bien sûr vérifier que ces définitions sont compatibles avec la relation d’équivalence.) Les éléments de S deviennent ainsi inversibles dans S−1A.

Le noyau de l’application canonique A → S−1A qui envoie a sur a/1 est l’idéal {a | ∃s ∈ S as = 0} ; elle est donc injective si A est intègre et que S ne contient pas 0. L’anneau S−1A est nul si et seulement si S contient 0.

Soit J ⊆ S−1A un idéal ; il est courant (même si c’est un abus de notation) de noter J ∩ A l’idéal image inverse de J par l’application canonique A → S−1A (on fait comme si c’était une inclusion !). On vérifie que l’on a

(J ∩ A)S−1A = J.

(De nouveau, on a fait un abus de notation : (J ∩ A)S−1A désigne l’idéal de S−1A engendré par J ∩ A.) L’application Spec(S−1A) → Spec(A) définie par p 7→ p ∩ A est donc injective ; son image est l’ensemble des idéaux premiers de A qui ne rencontrent pas S : si p est un tel idéal, c’est l’image de pS−1A. On a donc en particulier dim(S−1A) ≤ dim(A) (l’inégalité peut bien sûr être stricte !).

Exemple 6.1. — Soit A un anneau, soit f un élément de A et soit S ⊆ A la partie multiplicative {fn| n ∈ N}. L’anneau S−1A est souvent noté Af, ou même A[f−1] ; on peut aussi le voir comme A[X]/(f X − 1), et il est nul si et seulement si f est nilpotent. L’image de l’application Spec(Af) → Spec(A) est l’ouvert

D(f ) := {p ∈ Spec(A) | f /∈ p} = Spec(A) V ((f )) introduit dans (7).

Par exemple, l’anneau A[X]X(noté aussi A[X, X−1]) est l’anneau des polynômes de Laurent X

k∈Z akXk,

où les coefficients ak ∈ A sont presque tous nuls.

Si p ⊆ A est un idéal premier, la partie A p est multiplicative et on note Ap := (A p)−1A.

C’est un anneau local appelé localisé de A en p : son unique idéal maximal est pAp et son corps résiduel Ap/pApest le corps des fractions de l’anneau intègre A/p (en particulier, si m est un idéal maximal de A, le corps résiduel de l’anneau local Amest simplement A/m).

6. LOCALISATION 81

Exercice 6.2. — NotonsC l’anneau (non intègre !) des fonctions continues de [0, 2] dans R et soit m1 ⊆C l’idéal maximal des fonctions nulles en 1 (exerc. I.1.6). Montrer que le localiséCm1s’identifie à l’anneau local

des germes de fonctions continues en 1 (cf. exerc. II.3.9). En particulier, l’applicationC → Cm1est loin d’être

injective.

L’application Spec(Ap) → Spec(A) envoie l’idéal maximal pApsur p et son image est l’ensemble des idéaux premiers de A contenus dans p. C’est aussi l’ensemble des points de Spec(A) auquel p est adhérent (cf. (9)), ou encore l’intersection de tous les voisinages de p ; il n’est en général ni fermé, ni ouvert.

Les idéaux premiers de l’anneau Ap sont ainsi en correspondance bijective (et croissante) avec les idéaux premiers de A contenus dans p, et la dimension de Krull de l’anneau Apest donc le supremum des longueurs n des chaînes d’idéaux premiers de A terminant en p, c’est-à-dire du type p = pn ) · · · ) p1 ) p0. On l’appelle aussi la hauteur de p, notée ht(p). Nous montrerons plus loin (th. 7.2) que si A est noethérien, la hauteur de tout idéal premier p est finie, majorée par le cardinal d’un ensemble quelconque de générateurs de p.

On a (cf. ex. 5.24)

dim(Ap) + dim(A/p) ≤ dim(A)

(le membre de gauche est la longueur maximale des chaînes d’idéaux premiers de A dont l’un des maillons est p). On n’a pas toujours égalité, même si A est noethérien (des contre-exemples très compliqués ont été construits par Nagata en 1956). En revanche, pour la plupart des anneaux intervenant dans les applications (en particulier en géométrie algébrique et en théorie des nombres), on a bien égalité pour tout p (c’est vrai en particulier pour toute algèbre A de type fini sur un corps ; cf. cor. 14.2). Il faut alors penser à la hauteur de p comme à la codimension de p dans A (elle est égale à dim(A) − dim(A/p) c’est-à-dire, en termes topologiques, à dim(Spec(A)) − dim({p})).

Exercice 6.3. — Soit A un anneau et soient p ⊆ q des idéaux premiers de A. Exhiber un anneau dont la dimension de Krull est le supremum des longueurs n des chaînes d’idéaux premiers de A commençant en p et terminant en q, c’est-à-dire du type q = pn) · · · ) p1) p0= p.

Lorsque A est intègre, l’idéal (0) est premier et le localisé de A en cet idéal est le corps des fractions KAde A. Tous les localisés S−1A, où S ⊆ A est une partie multiplicative ne contenant pas 0, sont alors des sous-anneaux de KA; ce sont en particulier des anneaux intègres.

Remarque 6.4. — Si A est un anneau et B une A-algèbre de type fini, les localisations S−1B sont des A-algèbres qui ne sont pas en général de type fini (penser à K[X](0) = K(X)). Cette famille d’algèbres est cependant suffisamment importante pour avoir reçu un nom : on dit que ce sont les A-algèbres essen- tiellement de type fini.

Exercice 6.5. — Soit A un anneau intègre. Montrer

A = \ p⊆A premier Ap= \ m⊆A maximal Am, où les intersections sont prises dans le corps des fractions de A.

Exercice 6.6. — Soit A un anneau et soit S ⊆ A une partie multiplicative.

a) Si A est principal et que S ne contient pas 0, montrer que l’anneau S−1A est principal. b) Si A est factoriel et que S ne contient pas 0, montrer que l’anneau S−1A est factoriel. c) Si A est noethérien, montrer que l’anneau S−1A est noethérien.

Exercice 6.7 (Un anneau noethérien de dimension infinie (Nagata)). — Soit K un corps et soit A l’anneau de polynômes K[(Xn)n∈N] en une infinité de variables. Soit (un)n∈N une suite tendant vers l’infini, avec u1= 0. On note pnl’idéal premier (Xun+ 1, . . . , Xun+1), puis S le complémentaire de la réunion des pn, et

B = S−1A.

b) Calculer la dimension de Krull de B et montrer qu’elle peut être infinie si la suite (un) est bien choisie. c) Soit R un anneau dont les localisés en tout idéal maximal sont noethériens et tel que pour tout x ∈ R, il

existe un nombre fini d’idéaux maximaux contenant x. Montrer que R est noethérien. d) Montrer que l’anneau B construit ci-dessus est noethérien.

Nous aurons aussi besoin plus tard du petit lemme suivant.

Lemme 6.8. — Soit A ,→ B une extension d’anneaux, soit S une partie multiplicative de A (donc de B) et soitJ un idéal de B. On a

(J ∩ A)S−1A = J S−1B ∩ S−1A.

Nous avons fait dans cet énoncé les abus de notation habituels signalés plus haut.

Démonstration. — Il est clair que (J ∩ A)S−1A est contenu dans J S−1B ∩ S−1A. Les éléments de J S−1B sont les x/s, avec x ∈ J et s ∈ S. Si cet élément est dans S−1A, il existe s0, t ∈ S et a ∈ A tels que (xs0− as)t = 0. On a alors ast = xs0t ∈ J ∩ A et x/s = (xs0t)/(ss0t) ∈ (J ∩ A)S−1A, ce qui montre le lemme.

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