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Localisation des activités et politiques publiques en économie géographique ; quels

2. Bilan des activités de recherche

2.3. Localisation des activités et politiques publiques en économie géographique ; quels

justifications ?

Une large partie de mes recherches s’inscrit dans une réflexion sur les objectifs des politiques d’aménagement du territoire et sur les modes comparés d’intervention pour atteindre ces objectifs. Dès ma thèse, j’ai en effet analysé les effets de certaines politiques sur les équilibres de localisation et abordé les aspects normatifs dans le modèle de Krugman (1991). On peut tirer des implications d’économie politique de la plupart des modèles d'économie géographique mais lorsque j’ai engagé cette recherche, très peu introduisaient explicitement les politiques publiques (Martin et Rogers, 1995 ; Trionffeti, 1998) et encore plus rares étaient ceux qui y introduisaient des éléments d’analyse normative (aucun à ma connaissance). Outre les travaux originaux présentés dans cette section, cet ensemble de réflexions sur les implications politiques de l’économie géographique a donné lieu à une synthèse [9]. L'économie géographique offre en effet un cadre théorique pertinent puisqu'elle permet de déterminer et d'expliquer la localisation simultanée des entreprises et des ménages au sein d'un espace constitué de plusieurs entités (régions ou villes), en l'absence d'avantage comparatif. Elle rompt ainsi avec l'économie régionale traditionnelle et permet de déterminer un équilibre plus général (le caractère général des équilibres dans les modèles d'économie géographique peut être discuté).

Dans la continuité de cette démarche théorique, j’ai également testé l’efficacité des politiques d’investissements en infrastructures publiques, en termes de croissance, et leur capacité à influencer les trajectoires de croissance des régions françaises et réduire les disparités entre ces régions.

2.3.1. Présentation rapide des modèles séminaux d’économie

géographique de Krugman (1991) et Krugman et Venables (1995)

Nous présentons ici les mécanismes principaux à l’œuvre dans les deux modèles considérés comme séminaux, mais l’économie géographique a connu des développements importants dont on peut trouver une synthèse presque exhaustive dans Baldwin et al. (2003) sur les différentes structures de base (type de technologie de production, de fonction d’utilité, hypothèse de mobilité des facteurs….) et différentes analyses politiques. Combes, Mayer et Thisse (2006) font une présentation plus détaillée

et approfondie des variations de structure et de leurs conséquences en termes de mécanismes de localisation.

Initialement, les principales hypothèses des modèles d’économie géographique à deux régions sont les suivantes. Le secteur industriel représente le secteur d’activité dominant et est en concurrence monopolistique à la Dixit-Stiglitz. La préférence pour la variété exprimée par les agents fait ainsi face à une offre de biens industriels diversifiés. Les rendements sont croissants dans le secteur industriel et chaque entreprise se trouve en situation de monopole sur le marché du bien qu’elle produit. Parallèlement au secteur industriel, il existe un secteur agricole dans lequel les rendements sont constants. Les ménages consomment des biens industriels produits sur place mais aussi des biens industriels produits à l’extérieur sur lesquels il existe un coût de transport « iceberg », c’est-à-dire qu’une partie du bien transporté fond au cours du transport entre les deux régions.

Les facteurs de production peuvent être spécifiques à chaque secteur (Krugman, 1991) ou mobiles entre les secteurs (Krugman et Venables, 1995). Krugman (1991) considère, dans un premier temps, que les salariés peuvent migrer entre les deux régions sans coût. Les liens qui unissent les salariés et les entreprises, en amont sur le marché du travail et en aval sur le marché des biens, vont permettre de déterminer les équilibres de localisation de long terme. Outre ces liens, Krugman et Venables (1995) introduisent des liens verticaux (« vertical linkages ») en supposant que certains biens industriels sont utilisés comme biens intermédiaires pour produire les biens finaux. Venables (1996) introduit plus explicitement un secteur intermédiaire.

D’une manière générale et lorsque les travailleurs de l’industrie sont supposés parfaitement mobiles, la présence de rendements croissants incite les producteurs à se localiser près des consommateurs afin de satisfaire une large demande. La préférence pour la variété incite également les consommateurs à se localiser dans la région disposant du plus grand nombre de biens industriels lorsqu’ils supportent les coûts de transport portant sur les biens consommés. La production à prix plus faible de produits diversifiés, du fait de la concurrence entre firmes fortement concentrées dans une région, entraîne également un effet de revenu réel pour les consommateurs. Il existe donc un processus cumulatif de développement régional que les coûts de transport vont affecter à travers les effets de demande et de coûts. Parallèlement à ces forces d’agglomération, il existe une force de dispersion, liée à la concurrence entre entreprises localisées dans la même région. Dans ce cadre, les équilibres sont fonction des valeurs prises par les paramètres décrivant l’économie, en particulier du coût de transport. Dans le modèle initial de Krugman (1991), lorsque le coût de transport est élevé, il existe un équilibre d’équi-répartition spatiale des activités industrielles. En revanche, lorsque le coût de transport devient suffisamment faible, les forces d’agglomération sont renforcées et les activités industrielles se concentrent dans une seule région. Il s’agit d’équilibres de type « centre-périphérie ». Cependant, s’il existe une force de dispersion supplémentaire, comme l’existence d’un coût de transport positif sur le bien agricole (Calmette et Le Pottier, 1995) ou des effets de congestion (Brakman et alii, 1996 ), la

spécialisation des régions en activité industrielle peut être limitée ou l’équilibre symétrique redevenir stable lorsque l’intégration est vraiment forte.

Le modèle de Krugman et Venables (1995), en levant l’hypothèse de parfaite mobilité inter-régionale des salariés, élargit également le nombre de configurations spatiales possibles et crée la possibilité un processus de localisation en trois étapes : dispersion, agglomération, dispersion. L’immobilité géographique, conjuguée à la parfaite mobilité sectorielle des salariés, pousse en effet les entreprises à comparer les bénéfices associés à l’exploitation des rendements d’échelle et les coûts élevés engendrés par une offre de travail rigide. Ainsi, pour certaines valeurs des autres paramètres, lorsque les coûts de transport sont faibles et n’apparaissent plus comme une barrière à l’échange, la région périphérique offrant des salaires plus bas que la région spécialisée dans l’industrie, certaines entreprises sont incitées à se délocaliser pour réduire leurs coûts salariaux. Ce processus de localisation inter-régionale en U est également observé si l’on introduit une distinction explicite entre industrie amont et industrie aval (Venables, 1996). La réversibilité du processus de concentration spatiale est donc conditionnelle à une forte baisse des coûts de transport, s’il existe des coûts de congestion sur la main-d’œuvre.

2.3.2. Justifications de l'intervention publique dans un contexte spatial :

un dilemme efficacité – équité territoriale ?

En amont de la mise en œuvre des politiques publiques, j’ai engagé, en collaboration avec C. Gaigné (INRA, Rennes), F. Robert-Nicoud (Département de Géographie, LSE) et J.F. Thisse (Core, CERAS), des travaux sur l’efficacité économique et l’équité spatiale des configurations d’équilibre, malgré la difficulté à transposer ces notions d'économie publique dans le cadre d'une économie spatialisée Dans le modèle de Krugman (1991), où les salariés du secteur industriel sont parfaitement mobiles géographiquement et ceux du secteur agricole immobiles, nous avons mené une analyse du bien-être social, aux équilibres de localisation, agglomération et dispersion, à l’aide d’outils d’économie publique tels que les critères de compensation et différentes fonctions de bien-être [4]. Nous montrons d’abord qu’aucun équilibre de Pareto domine l’autre : de manière non surprenante, lorsqu’il y a agglomération des activités industrielles dans une région, les salariés immobiles vivant dans la périphérie préfèrent toujours la dispersion alors que ceux qui vivent dans l’agglomération préfèrent toujours cette situation.

Nous mobilisons ensuite les critères de compensation développés par Kaldor (1939) et Hicks (1940), afin d’évaluer la désirabilité sociale d’un changement de situation consécutif à une compensation payée par ceux qui perdent (Hicks) ou ceux qui gagnent à ce changement (Kaldor). Nous vérifions également que ces changements de situation sont compatibles avec un équilibre de localisation. Nous montrons ainsi que lorsque les coûts de transport sont suffisamment faibles, l’agglomération est préférable à la dispersion : les salariés dans la région «cœur » peuvent compenser ceux qui sont restés dans la périphérie, alors qu’en situation de dispersion, ces derniers ne peuvent compenser les salariés qui seraient allés dans l’agglomération. Lorsque les coûts de transport sont élevés, il existe une

indétermination au sens de Scitovsky (1941) : les deux critères de Kaldor et Hicks ne peuvent être remplis simultanément.

En raison de cette indétermination, le bien-être social est ensuite évalué à l’aide d’une fonction de type CES (Atkinson et Stiglitz, 1980) qui permet de faire varier le degré d’aversion pour les inégalités et qui couvre un spectre de fonction de bien-être allant de l’utilitarisme à la fonction min-max de Rawls. On montre ainsi que, s’il n’y a pas une forte aversion pour les inégalités individuelles, l’agglomération (resp. la dispersion) est préférée lorsque le coût de transport est en dessous (resp. au dessus) d’un seuil, dépendant des paramètres de l’économie. Lorsque l’aversion pour les inégalités augmente, les valeurs de coût de transport pour lesquelles l’agglomération est préférée à la dispersion diminuent fortement et disparaissent lorsque la fonction d’utilité sociale est de type rawlsienne. Le planificateur doit donc choisir parmi les différentes fonctions sociales de bien-être favorisant plus ou moins l’efficacité de l’organisation territoriale ou l’équité entre agents.

2.3.3. Instruments de politiques publiques

Le double objectif de l’Union Européenne d’améliorer le bien-être de l’ensemble des agents tout en minimisant les écarts de richesse entre les régions, en termes de PIB par tête (Objectif 1 de la politique régionale) est le reflet d’un tel choix social. La politique européenne est essentiellement basée sur des investissements en infrastructures productives : transport et capital humain. Dans ces conditions, en mobilisant un modèle à la Krugman et Venables, nous montrons que le choix optimal en matière de contribution de chaque Etat (forme d’imposition directe) et de répartition spatiale des investissements publics, permettant d’atteindre cet objectif, est fonction de la productivité marginale des équipements publics [7]. Si celle-ci est décroissante (respectivement croissante), l’imposition doit être relativement faible (respectivement élevée), afin de ne pas amputer le bien-être total, et la répartition spatiale des dépenses publiques doit être fortement (respectivement faiblement) en faveur des régions les plus pauvres, afin de réduire les écarts interrégionaux de développement. Nous montrons également que la politique européenne peut se justifier en termes d’efficacité lorsque les forces de marché conduisent à un équilibre de concentration spatiale des activités. Enfin, cette politique n’est pas équitable entre régions, en termes de bien-être atteint par les individus localisés dans chacune d’elles, en particulier au regard du critère de Rawls.

Toujours dans le même cadre analytique, lorsque les autorités publiques centrales se fixent pour seul objectif de favoriser la délocalisation d’activités industrielles dans la région la plus défavorisée [D4], une politique locale d'aide fiscale s'avère moins efficace, quant à sa capacité à réduire les inégalités, qu'une politique locale d'aide à l'amélioration de la productivité des firmes. Toutefois, cette dernière politique permet d'empêcher l'agglomération excessive des firmes si elle est ciblée sur les secteurs concurrentiels et intensifs en travail.

Je me suis également intéressée aux politiques publiques permettant la délocalisation d’activités dans les espaces ruraux autonomes. Dans un article [8], j’ai introduit différents modes d’intervention

publique dans un modèle à la Krugman (1991), avec deux régions dont l’une, la région urbaine, concentre l’ensemble des activités non agricoles. On considère que les ressources fiscales sont prélevées sur les revenus de la région urbaine et sont redistribuées dans la région rurale, par une instance supra-régionale, l’Etat. Nous envisageons deux types de politiques publiques de développement rural. D’une part, nous considérons que les dépenses publiques font l’objet d’une redistribution de revenus aux ménages localisés dans les zones rurales. Ce sont des politiques de subvention du revenu des ménages telles qu’elles ont été pratiquées jusqu’à maintenant, en particulier pour les ménages agricoles. Dans un second temps, nous supposons que les dépenses publiques sont effectuées en aides à l’installation d’entreprises directes ou en services publics, améliorant ainsi la productivité de ces entreprises. Il s’agit d’une politique d’incitation au maintien ou à la délocalisation d’entreprises non-agricoles. Ce type de politique de développement rural correspond plus aux prérogatives actuelles, en particulier aux prérogatives européennes. En effet, même si, entre 1994 et 1999, le secteur agricole recevait encore 22 % des fonds prévus dans les programmes de l’objectif 5b, les entreprises industrielles en recevaient 17 %, la formation 13 %, les services 8 % et les infrastructures 7 % (Berriet-Solliec et Daucé, 2001).

Afin d’évaluer l’impact et le coût, en termes d’imposition des ménages urbains des deux grands types de politique, nous supposons une situation dans laquelle toutes les activités économiques non liées à l’utilisation du sol sont concentrées en zone urbaine. Les facteurs de production du secteur non lié au sol étant supposés parfaitement mobiles, nous supposons qu’ils sont a priori concentrés dans la région urbaine et nous étudions les conditions nécessaires, en particulier en termes de politiques publiques, pour que les activités de ce secteur se délocalisent en zone rurale. Il s’agit donc de partir d’une situation d’équilibre avec agglomération, puisque les villes sont des zones de concentration de l’activité économique, et d’analyser les effets de deux types de politiques publiques sur cet équilibre. Cet équilibre d’agglomération n’étant pas toujours unique, dans le cadre théorique choisi, les effets de ces politiques sur les autres équilibres de localisation sont également discutés.

Une politique publique d’investissement en infrastructures productives, jouant sur les conditions d’offre des biens non agricoles, apparaît comme étant plus efficace pour attirer les entreprises en zone rurale qu’une distribution de revenu aux ménages ruraux : elle crée un avantage comparatif en zone rurale et réduit l’importance des effets de demande, permettant ainsi le plus souvent de compenser les économies d’agglomération. On constate cependant que, dans le cas d’une économie industrialisée, dans le sens où les ménages consomment en plus grande part des biens non agricoles, une telle politique de développement des espaces ruraux peut nécessiter la mise en place d’un taux d’imposition urbain relativement élevé, en particulier si le coût de transport prend des valeurs intermédiaires. La dernière section de cet article discute les équilibres de localisation et leur pertinence et montre que la formalisation choisie possède des limites quant à son application au développement rural.

2.3.4. Mesure des effets du capital public sur la croissance et les

disparités interrégionales en France

Les travaux précédemment décrits sont théoriques. J’ai mené, parallèlement à ceux-ci et dès la thèse, des analyses statistiques sur les effets du capital public sur la croissance et les disparités interrégionales en France en collaboration avec B. Schmitt puis V. Piguet. Dans ma thèse, j’estimais des fonctions de production, en données de panel sur la période 1982-93, à trois facteurs : travail, capital privé et capital public. Pour ce faire, nous avons dû constituer des données de stocks de capital privé et de capital public, non disponibles à l’échelle des régions françaises. Je mettais ainsi en évidence que si le capital public semble avoir un effet positif sur la croissance, il n’est pas en mesure de réduire les disparités régionales. Dans un article [6], dans lequel les séries construites ont été élargies à la période 1978-93, les effets du capital public sur la croissance des régions françaises ainsi que sur la réduction des disparités interrégionales ont été approfondis, en testant des fonctions de production régionales à l’aide de méthodes s’inscrivant dans l’économétrie des données de panel. Nous mettons ainsi en lumière l’hétérogénéité interrégionale des élasticités de la productivité régionale au stock de capital public, grâce à la mise en œuvre d'estimateurs à rétrécisseur ou bayesiens

empiriques. Le capital public paraît avoir un impact positif sur la croissance des régions françaises. La

constitution de groupes de régions à partir de leur productivité en début de période et la mise en œuvre des mêmes méthodes sur ceux-ci montrent que le capital public ne permet pas de réduire les disparités interrégionales : il semble en effet permettre une réduction de l’écart entre les 4 régions les plus riches et l’ensemble des autres régions françaises mais sa plus grande efficacité productive dans les régions modérément riches n’induit pas une réduction de l’écart entre les régions les plus pauvres et ces dernières.

Ainsi, si l’on peut considérer que le capital public régional à un rôle productif positif, dont l’ampleur dépend des caractéristiques des régions, on ne peut conclure qu’il contribue à réduire les inégalités interrégionales, au contraire.

Ces travaux montrent que, même dans des modèles d’apparence simple, les questions d’efficacité et d’équité de l’organisation spatiale sont complexes à appréhender dès lors que l’on se situe dans un cadre d’équilibre général, alors que les enjeux sociaux en sont fondamentaux en termes de choix politiques. LA complexité dans les liens entre concentration-dispersion des activités, politiques publiques et efficacité-équité de l’organisation territoriale est forte.

2.4. choix publics locaux endogènes : fédéralisme financier