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Politiques publiques et disparités spatiales : quels outils pour quels objectifs ?

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Academic year: 2021

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Submitted on 6 Jun 2020

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Politiques publiques et disparités spatiales : quels outils

pour quels objectifs ?

Sylvie Charlot

To cite this version:

Sylvie Charlot. Politiques publiques et disparités spatiales : quels outils pour quels objectifs ?. Sciences de l’Homme et Société. Université de la Méditerranée (Aix Marseille 2), 2008. �tel-02819241�

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Université Aix-Marseille II

Rapport en vue de l’obtention de

l’Habilitation à Diriger les Recherches

DISCIPLINE : ECONOMIE

P

OLITIQUES PUBLIQUES ET DISPARITES

SPATIALES

:

QUELS OUTILS

POUR QUELS OBJECTIFS

?

Sylvie CHARLOT

INRA, CESAER – DIJON

Jury

Marius B

RÜLHART

Professeur, Université de Lausanne. Rapporteur

Pierre-Philippe C

OMBES

Directeur de Recherche CNRS, GREQAM.

Conseiller

Gilles D

URANTON

Professeur, Université de Toronto. Rapporteur

Florence G

OFFETTE

-N

AGOT

Chargée de Recherche CNRS, GATE. Rapporteur

Bertrand S

CHMITT

Directeur de Recherche INRA, CESAER

Alain T

RANNOY

Directeur d'Etudes, EHESS, GREQAM

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Sommaire

Remerciements……….………p 2

Note de synthèse ………...…...p 3

Bibliographie………p 48

Table des matières de la note de synthèse ………...p 52

Curriculum Vitae………...…...p 54

Liste des publications………...…p 57

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Remerciements

Les travaux de recherche présentés ont été réalisés pendant ces dix dernières années de

présence au CESAER. Je tiens donc, en premier lieu, à remercier l’ensemble de mes collègues

et du personnel administratif de mon laboratoire.

Virginie Piguet et Bertrand Schmitt ont travaillé avec moi depuis le début de ma thèse et

bénéficient donc d’une mention très spéciale. Ils ont fortement contribué à ma formation

d’économiste appliquée.

Jacques Thisse a été un collègue temporaire du CESAER qui a marqué mon parcours ; son

apport remonte bien évidemment à avant ce passage.

Les collaborations avec Francis Aubert et Yves Schaeffer, ces deux dernières années, ont

aussi largement contribué à l’enrichissement de mes réflexions.

Je remercie Gilles Duranton de m’avoir fait confiance, de m’avoir ouvert de nouveaux

horizons et de m’avoir donné l’occasion de tant apprendre lors de nos échanges. Je le

remercie également de sa délicatesse pendant mon absence prolongée.

Pierre-Philippe Combes me conseille depuis bien avant le début de la rédaction de ce rapport.

Je le remercie de m’avoir ouvert les portes de l’Economie Géographique et d’avoir accepté de

suivre cette HDR.

Je remercie également Frédéric Robert-Nicoud pour sa disponibilité à me guider sur les

pentes, parfois vertigineuses, de la théorie.

Ma très grande reconnaissance va à Sonia Paty, qui a fortement contribué à mon retour à la

recherche, contribution scientifique et bien plus large.

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Note de synthèse

1. Introduction

L’analyse des objectifs, moyens et effets de l’intervention publique sur le développement local et les disparités spatiales nécessite non seulement de mobiliser des cadres théoriques au croisement de l’économie spatiale et de l’économie publique, en particulier locale mais pas exclusivement, mais aussi d’être en mesure de quantifier ces disparités spatiales ex-ante et ex-post. Ainsi, en amont des effets des politiques publiques sur les disparités spatiales, il est nécessaire de maîtriser les mécanismes de localisation à l’œuvre, tant pour les entreprises que pour les ménages. La mobilité est alors au cœur de la problématique reliant politiques publiques et disparités spatiales : les justifications, les effets attendus et l’évaluation des premières peuvent fortement diverger selon le degré de mobilité des ménages et/ou des entreprises.

L’(a nouvelle) économie géographique, s’attachant à décrire les mécanismes joints de localisation des ménages et des entreprises dans un cadre d’équilibre général, est donc le cadre de référence le plus approprié pour analyser les effets des politiques publiques sur les équilibres de localisation et les disparités sociales - entre différentes classes d’individus – et/ou spatiales – entre différentes régions. Cependant, la complexité, due au caractère très général de ce cadre, nécessite de mobiliser des approches qui permettent de focaliser sur certains mécanismes ou certaines politiques. L’économie urbaine introduit effectivement deux mécanismes non présents dans les modèles d’économie géographiques : d’une part, la présence d’externalités technologiques dont peuvent bénéficier les entreprises lorsqu’elles se concentrent va fortement influencer leur choix de localisation sur le territoire, d’autre part, du côté des ménages, les mécanismes de ségrégation et de tris socio spatiaux sont étudiés dans ce cadre théorique depuis de longues décennies.

L’analyse des effets des politiques publiques sur les disparités spatiales ne peut donc se restreindre à la mobilisation de la seule économie géographique. Outre l’économie urbaine classique, il est également nécessaire d’appréhender cette problématique en tirant les enseignements de l’économie publique (locale) et en effectuant des croisements des différentes approches.

D’un point de vue théorique, les travaux présentés ici se situent donc au croisement de l’économie urbaine et de l’économie publique locale et du fédéralisme financier avec, pour carrefour principal, l’économie géographique.

Ils s’inscrivent dans une démarche visant à mieux intégrer à terme les apports de l’économie publique dans, en amont, l’analyse des justifications de la mise en œuvre de politiques de correction des inégalités spatiales et, en aval, de l’étude des effets des politiques publiques, spatiales ou non, sur ces inégalités spatiales. Dans le cadre d’une démarche appliquée, il est également nécessaire de maîtriser les différentes techniques de mesure des inégalités, dans un contexte spatial, et d’apprécier non

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seulement les effets des politiques dédiées à la correction des inégalités spatiales mais aussi des politiques à visées plus générales qui ont des effets sur les disparités spatiales. L’objet de mon projet de recherche est donc fortement orienté vers le développement de compétences dans le champ de l’économie publique mais aussi de la compréhension et de la mesure des inégalités spatiales.

Avant d’aborder plus profondément la justification et les effets de différentes politiques publiques dans l’espace, il est nécessaire de maîtriser les mécanismes de localisation et d’en évaluer l’ampleur pour les ménages et les entreprises. Si l’économie géographique permet de prendre en compte les mécanismes à l’œuvre dans la localisation simultanée des ménages et des entreprises, elle exclut certains facteurs de localisation fondamentaux comme les tensions sur le marché foncier et les externalités d’agglomération.

Les inégalités sont d’abord entendues comme des inégalités sociales. C’est pourquoi nous traitons d’abord de la localisation des ménages, considérant les entreprises et emplois comme fixes. Ces derniers étant fortement concentrés dans les agglomérations, nous nous sommes focalisés sur la localisation résidentielle des ménages et leur tri social dans l’espace autour de ces agglomérations, avant d’analyser une partie des causes de la concentration des entreprises et des emplois. En France, force est de constater que peu d’études sont menées sur les liens entre périrubanisation, ségrégation et services publics. Le phénomène de ségrégation est sans doute ancien et antérieur au mouvement de périurbanisation, mais ce n’est qu’à partir des années 1980 qu’il a donné lieu à un débat public. Si la ségrégation dans les « banlieues » est assez bien décrite (Tabard, 1993), ses causes sont moins analysées, l’idée la plus répandue étant qu’elle résulte des programmes sociaux de « grands ensembles », bâtis dans les années 1960 et 1970 et concentrés dans l’espace. Du point de vue théorique, Durlauf et Fafchamps (2004) insistent également sur le rôle des interactions sociales dans la ségrégation. Cette explication est sans doute fondée, mais occulte certaines causes économiques que permet de comprendre le modèle standard de l’économie urbaine. En effet, en passant par les mécanismes à l’œuvre sur le marché foncier, les modèles standards d’économie urbaine, dans lesquels les ménages effectuent l’arbitrage principal entre lieu de résidence central et coût de transport domicile-travail, permettent de rendre compte à la fois des phénomènes de périurbanisation et de ségrégation urbaine (voir Fujita 1989, pour une présentation détaillée). Cet arbitrage est bien entendu fonction des préférences, de la taille des ménages et du revenu conduisant à les trier dans l’espace en fonction de ces caractéristiques. Il existe donc un phénomène concomitant de ségrégation et de périurbanisation. Ce dernier est d’autant plus marqué dans un contexte d’augmentation globale des revenus, puisque cette augmentation, en induisant une demande de consommation plus importante de logement, tend à déplacer la frontière de la ville et à éloigner les ménages vers la périphérie où le prix de la terre est plus faible (Anas et al. 1998 ; Brueckner 2000). En France, Cavailhès (2004) estime ainsi qu’une augmentation de 1% du revenu conduit généralement à une hausse de la consommation de la surface de logement de 0,7 à 0,8%. On observe donc une périurbanisation continue des

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agglomérations. Alors qu’en 1990, les communes périurbaines regroupaient 9 millions d’habitants (17% de la population totale des aires urbaines) sur 22% du territoire national, les communes périurbaines regroupaient, en 1999, 12,3 millions d’habitants (21% de la population urbaine) sur un tiers du territoire.

L’introduction des biens publics locaux dans ce type d’analyse peut aussi influencer le tri socio spatial puisque conduisant au « vote par les pieds » (Tiebout 1956) entre différentes collectivités locales au sein d’une aire d’influence mais aussi à la capitalisation foncière de ces biens publics locaux (Yinger, 1982 ; Starret 1981). Ainsi, les politiques publiques, nationales d’implantation des services déconcentrés et locales, jouent un rôle dans le processus liant localisation résidentielle et tri socio spatial dans le phénomène d’étalement urbain. Dans le cadre d’un rapport de recherche dont j’ai été responsable scientifique, la ségrégation urbaine, le rôle que la périurbanisation y joue et la capitalisation foncière des services sanitaires et sociaux et d’éducation ont été analysés.

Si dans l’espace les inégalités s’observent en termes de localisation des différentes catégories sociales, elles s’observent également en termes d’activités productives : 77 % des emplois et 81 % de la masse salariale se concentrent dans les pôles urbains en France (Basso, 2006). La littérature économique traditionnelle propose un ensemble de facteurs explicatifs à cette forte concentration des activités productives. Depuis Marshall (1890), on décline classiquement les externalités d’agglomération, c’est-à-dire les avantages à la concentration spatiale pour les entreprises, en trois catégories principales : l’ampleur et la diversité du marché du travail, les relations amont-aval entre les entreprises et l’échange d’informations et de connaissances. Alors qu’en France les liens amont aval et les effets des coûts de transaction ont déjà été analysés (Combes et Lafourcade, 2007) ainsi que le rôle du marché du travail local (Combes, Duranton et Gobillon, 2008), les externalités d’agglomération liées à l’échange de connaissances par la communication n’ont pas fait l’objet d’étude quantitative poussée. Ces dernières reposent sur deux hypothèses principales. D’une part, les échanges d’information sur le lieu de travail sont productifs, dans le sens où la communication entre salariés entraîne un surplus de productivité de ces salariés. D’autre part, la communication et les échanges d’information nécessitent une co-localisation des salariés pour être productifs. L’hypothèse sous jacente est donc qu’il existe une communication de face-à-face qui serait plus efficace qu’une communication par différents médias (écrit, téléphone, e-mail..) en raison de la complexité des informations, liée à leur nature « tacite », qu’elle permettrait de transmettre (Leamer et Storper, 2004 ; Storper et Venables, 2004). Il existe des études qualitatives (voir Graham et Marvin, 1996, pour une revue de la littérature) ainsi que différents types de travaux traitant de problématiques connexes fournissant des résultats indirects permettant de déduire des conclusions sur le rôle des interactions directes. Ainsi, des articles traitent des citations de brevets et de leur diffusion dans l’espace (Rosenthal et Strange, 2004) et de la différenciation dans l’espace de l’adoption de nouvelles technologies (Gaspard et Glaeser, 1998). En France, l’Enquête Changements Organisationnels et Informatisation (COI), auprès de salariés de l’industrie, comporte un

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ensemble de questions sur la communication sur le lieu de travail et les médias utilisés. Grâce à la mobilisation de cette enquête et la localisation des entreprises dans lesquels leurs salariés travaillent, nous avons pu non seulement étudier l’intensité et les modes de communication dans l’espace mais aussi identifier précisément l’externalité de communication sur le lieu de travail en France.

Après avoir considérés les ménages mobiles et les emplois fixes puis les choix de localisation des entreprises en supposant l’offre de travail relativement inélastique, l’économie spatiale a connu une révolution avec l’(a nouvelle) économie géographique : « Paul Krugman a réussi la gageure de réunir

les différents effets provoqués par la mobilité des firmes et des travailleurs au sein d’un modèle ou marché du travail et des produits sont interdépendants et d’avoir, ensuite, identifié les conditions relatives au degré d’intégration économique conduisant ou non à la formation d’une boule de neige à la Myrdal » (Combes, Mayer et Thisse, 2006, p. 145). Ainsi, on sort des externalités technologiques et

des avantages comparatifs pour expliquer la concentration spatiale des activités. C’est essentiellement la combinaison de l’existence de rendements d’échelle croissants, de préférence pour la diversité des biens consommés et de coûts de transferts sur ces biens, qui engendre une concentration des activités et des travailleurs. L’échelle d’analyse considérée pertinente par les auteurs cités n’est plus celle de villes mais plutôt l’échelle régionale. Les développements théoriques depuis 1991 ont été larges et diversifiés. Certains auteurs se sont attachés à introduire des forces de dispersions comme l’introduction d’un coût de transport sur les biens agricoles (Calmette et Le Pottier, 1995), d’un coût de congestion urbaine (Krugman et Livas Elizendo, 1996 ; Helpman 1998). La question politique s’est cependant invitée plus tardivement dans les problématiques d’économie géographique. Ceci est d’autant plus vrai pour ce qui concerne les analyses normatives ; s’intéressant au bien-être global. Ottaviano et Thisse (2002) sont en effet les premiers à mener une analyse de bien-être dans les configurations spatiales d’équilibre auxquelles leur modèle (avec préférences linéaires et non CES, comme dans le modèle de Krugman), conduit. Nous avons donc analysé le bien-être dans les différents équilibres du modèle de Krugman et étudié dans quelles mesures les disparités de bien-être pouvait être compensées.

Du côté des effets des politiques publiques centrales sur les équilibres de localisation, ayant pour but d’atteindre une répartition des activités moins concentrée, Martin et Rogers (1995) s’étaient intéressés aux effets des infrastructures de transport et Trionffeti (1997) aux dépenses publiques en biens produits localement par le secteur privé. Nous avons, pour notre part, développé des modèles afin d’étudier les effets de politiques d’aménagement du territoire visant à déconcentrer l’activité, par différents outils d’aide à l’installation, de défiscalisation ou d’investissements publics affectant la productivité des entreprises, comme l’ont fait par la suite Martin et Dupont (2006), dans un modèle sans effet revenu.

En parallèle de ces travaux théoriques j’ai mené des recherches appliquées, dès la thèse. Dans cette dernière, je testais des fonctions de production régionales introduisant le stock de capital public, sur

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les 22 régions de France, en panel. Ceci a été poursuivi et affiné d’un point de vue méthodologique, après avoir reconstitué des séries plus longues. Il s’agissait de mesurer non seulement les effets du capital public sur la production régionale, mais aussi et surtout d’appréhender dans quelle mesure ses effets réduisent ou accroissent les inégalités entre régions.

L’analyse des politiques publiques, dans le cadre de l’économie géographique, s’est par la suite vite tournée vers des politiques décentralisées, comme classiquement analysées par le fédéralisme financier (Ludema et Wooton, 2000 ; Andersson et Forslid, 2003, pour les premiers). Ces modèles prédisent pour l’essentiel l’existence d’une rente d’agglomération imposable qui va rendre la fiscalité plus importante dans les agglomérations. Ils prédisent également, pour certains, une intensification de la concurrence entre les agglomérations. La littérature théorique étant largement développée, nous nous sommes attachés à développer des tests de tels modèles sur le cas français.

Mon projet de recherche se situe dans la lignée de ma démarche passée, en particulier pour ce qui concerne les effets de la décentralisation. Un premier volet de mes travaux s’organise, en effet, autour des questions liées à la mise en place de l’intercommunalité et de la capitalisation foncière de la fiscalité locale. On cherche, d’une part, à identifier clairement les interactions fiscales concernant la taxe professionnelle, entre les communes n’appartenant pas à un Etablissement Public de Coopération Intercommunale et les EPCI, et entre communes appartenant à ces EPCI, tout en tenant compte du régime fiscal de ces derniers. Pour aller plus loin dans l’analyse des effets de l’intercommunalité, les budgets des communes et des EPCI seront étudiés et mis en relation. L’objectif est d’essayer d’identifier les raisons pour lesquelles la fiscalité locale croît, en termes de taux, lorsque les communes appartiennent à un EPCI, et ce d’autant plus s’il s’agit d’un EPCI fortement intégré fiscalement. On cherchera à savoir s’il s’agit d’une conséquence d’un gaspillage (comme c’est souvent trop rapidement supposé), d’un accroissement de la qualité des services publics locaux, ou un simple effet mécanique lié à la structure juridique de tels EPCI. Cette analyse fine des budgets communaux et intercommunaux permettra également d’aborder la péréquation au sein de ces EPCI. L’objectif plus précis concerne les conséquences de l’intercommunalité sur la péréquation entre communes de types différents, entre communes urbaines et rurales. Concernant la fiscalité locale, on aborde, également, plus spécifiquement la fiscalité concernant les ménages, à travers le test de capitalisation foncière de la taxe sur le foncier bâti dans les prix du logement. L’originalité de l’article est cours est liée à sa méthodologie. Bénéficiant de données sur les transactions foncières géo référencées, nous pouvons effectivement mettre en œuvre une méthode d’appariement spatial. Ce type de méthode permettra également de revenir sur la mesure de la capitalisation de la qualité des collèges, à Dijon et Besançon.

Un deuxième grand volet de mes travaux en cours se situe dans le cadre plus spécifique du croisement entre inégalités individuelles et des inégalités territoriales. Les effets de la décentralisation d’une politique de redistribution sont analysés dans le cadre d’un modèle d’économie géographique avec

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redistribution. Les analyses successives d’une redistribution centrale puis décentralisée, dans un modèle d’économie géographique, permettent de renouveler la littérature classique sur les conséquences de la décentralisation de la fonction de redistribution. Enfin, deux projets de recherche auxquels je participe sont en cours d’élaboration. Le premier concerne les inégalités régionales en Chine, sur longue période. Dans le second projet, nous cherchons à étudier les liens entre inégalités sociales, mesurées à l’échelle de la nation, les politiques de logements sociaux et les inégalités spatiales, en particulier en termes de ségrégation urbaine.

2.

Bilan des activités de recherche

La synthèse présentée dans ce rapport porte sur des recherches orientées vers les politiques, qu’il s’agisse de leurs justifications, de leurs objectifs affichés ou non, de leurs instruments et de leurs effets. L’entrée théorique est celle de l’économie spatiale élargie à l’économie publique et au fédéralisme financier. Elles se situent dans une perspective d’évaluation (des objectifs, des effets,..) des politiques à caractère zoné ou non, sur la localisation des activités et des hommes.

Dans un premier volet de travaux, l’analyse du rôle de la périurbanisation, en tant que mécanisme de tri social dans l’espace passant par le marché foncier, dans l’explication de la ségrégation en France a été menée. Nous avons ainsi pu constater, à l’aide de régressions classiques, que certains flux de périurbanisation expliquent pour partie la ségrégation des pôles urbains en 1990 et 1999. L’estimation de régressions hédoniques en variables instrumentales sur les marchés fonciers de Dijon et Besançon nous a également permis de constater que la capitalisation foncière des services publics locaux et de la structure sociale des quartiers se différencie fortement dans l’espace, en fonction de l’histoire des villes.

Ensuite du côté des entreprises, le bilan des modes de communication utilisés par les salariés sur le lieu de travail et la mise en œuvre d’une méthodologie originale pour mesurer les externalités de communication en ville, nous ont amenés à tirer quelques prédictions sur les effets du développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication sur la localisation des activités. A l’aide d’un système d’équations simultanées dans lequel le salaire dépend du niveau de communication individuel, et ce dernier dépend des caractéristiques locales (taille de la population et part des salariés les plus éduqués), nous identifions les effets directs de ces dernières variables et isolons leurs effets indirects sur le salaire, via la communication. Nous considérons que ces derniers constituent l’externalité de communication que nous évaluons à entre 13 et 22 % des effets totaux de la taille et de la part des plus formés de la ville. Ainsi, si l’existence d’une externalité de communication est avérée, elle est relativement faible au regard des effets directs de ce type de variables sur la productivité des salariés.

Un ensemble important des recherches présentées est centré sur l’introduction des politiques publiques dans les modèles d’économie géographique et leurs conséquences, tant du point de vue des choix de

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localisation des facteurs ou ménages mobiles que du point de vue du bien-être des différentes catégories sociales et/ou régionales. L’analyse de bien-être social et des possibilités de compensation entre différentes catégories sociales ont été étudiées dans les modèles séminaux de Krugman (10991) et de Krugman et Venables (1995). Dans ce dernier cadre, il existe des conditions pour lesquelles les forces du marché conduisent à la concentration spatiale des activités, alors que leur dispersion sur le territoire serait préférable, en termes de bien-être collectif mesuré par l'agrégation des utilités des agents. Dans le modèle de Krugman (1991), nous montrons d’abord qu’aucun équilibre de Pareto domine l’autre. Nous montrons également que lorsque les coûts de transport sont suffisamment faibles, l’agglomération est préférable à la dispersion. Lorsque les coûts de transport sont élevés, il existe une indétermination au sens de Scitovsky (1941). Le bien-être social est ensuite évalué à l’aide d’une fonction de type CES (Atkinson et Stiglitz, 1980) et on montre ainsi que, s’il n’y a pas une forte aversion pour les inégalités individuelles, l’agglomération (resp. la dispersion) est préférée lorsque le coût de transport est en dessous (resp. au dessus) d’un seuil, dépendant des paramètres de l’économie.

En termes d’outils politiques permettant d’atteindre différents objectifs, en mobilisant un modèle à la Krugman et Venables, nous montrons que le choix optimal en matière de contribution de chaque Etat (forme d’imposition directe) et de répartition spatiale des investissements publics, permettant d’atteindre un objectif de répartition égale des activités, est fonction de la productivité marginale des équipements publics. Nous montrons également qu’une politique visant à redéployer les activités sur le territoire peut se justifier en termes d’efficacité lorsque les forces de marché conduisent à un équilibre de concentration spatiale des activités. Enfin, cette politique n’est pas équitable entre régions, en termes de bien-être atteint par les individus localisés dans chacune d’elle, en particulier au regard du critère de Rawls. Toujours dans le même cadre analytique, lorsque les autorités publiques centrales se fixent pour seul objectif de favoriser la délocalisation d’activités industrielles dans la région la plus défavorisée, une politique locale d'aide fiscale s'avère moins efficace, quant à sa capacité à réduire les inégalités, qu'une politique locale d'aide à l'amélioration de la productivité des firmes. Dans un modèle à la Krugman, avec deux régions dont l’une, la région urbaine, concentre l’ensemble des activités non agricoles, on considère une politique publique d’aménagement du territoire dans laquelle les ressources fiscales sont prélevées sur les revenus de la région urbaine et sont redistribuées dans la région rurale. Nous considérons que les dépenses publiques font l’objet d’une redistribution de revenus aux ménages localisés dans les zones rurales où en aides à l’installation d’entreprises directes ou en services publics, améliorant ainsi la productivité de ces entreprises. Une politique publique d’investissement en infrastructures productives apparaît comme étant plus efficace pour attirer les entreprises en zone rurale qu’une distribution de revenu aux ménages ruraux.

Enfin, après l’analyse de politiques centralisées et la mesure des effets des stocks de capital public régional, cette approche a conduit à analyser les conditions de la mise en place des politiques publiques locales en confrontant les modèles d’économie géographique et ceux de fédéralisme

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financier afin, en particulier, d’endogénéiser les choix publics locaux. Nous avons testé un modèle théorique en France, appliqué à la taxe professionnelle, fiscalité locale la plus lourde supportée par les entreprises et représentant 45 % des ressources fiscales locales. Dans le contexte de décentralisation français, on montre qu’il existe bien une rente d’agglomération permettant aux EPCI de taxer de manière plus importante leur base sans crainte de fuite de celle-ci, mais que les interactions fiscales ne sont pas plus importantes en zones urbaines. Des tests en panel des interactions fiscales entre communes des pôles urbains et ruraux confirment l’existence d’une rente d’agglomération liée à l’effet de taille de marché.

2.1. Ségrégation, périurbanisation, marché foncier et offre de

services éducatifs et sanitaires

De janvier 2005 à septembre 2006, j’ai été responsable scientifique d’un contrat de recherche avec le PUCA (MEDAD) [T2], portant sur « Périurbanisation, ségrégation spatiale et accès aux services

publics », en collaboration avec M. Hilal, V. Piguet et B. Schmitt, M. Visalli et H. Selod (INRA,

LEA)1. L’objectif, très factuel mais motivé par les modèles d’économie urbaine et d’économie

publique locale, était multiple. D’une part, après un état des lieux exhaustif de la ségrégation des aires urbaines françaises en 1990 et 1999 et l’analyse des flux de périurbanisation par catégories sociales, la contribution de ses derniers à la ségrégation a été effectuée. D’autre part, deux études locales sur les aires urbaines de Dijon et Besançon ont permis de tester l’hypothèse de capitalisation foncière de l’accessibilité à certains services et de la structure sociale du quartier de résidence.

La structure spatiale des villes et la composition sociale des quartiers s’expliquent par diverses causes historiques et institutionnelles mais également, et surtout, par d’importantes forces économiques. Dans les modèles d’économie urbaine classique, les ménages urbains sont en concurrence les uns avec les autres pour l’occupation du sol. Le mouvement de périurbanisation peut amplifier les ségrégations au sein des aires urbaines dans la mesure où il opère un tri sélectif entre les populations. En effet, certains ménages, qui n’ont pas eu les moyens d’acquérir une automobile et encore moins d’accéder à la propriété, n’ont pu suivre le mouvement. Alors qu’ouvriers qualifiés et professions intermédiaires se sont installés dans le périurbain, d’autres ménages (ouvriers non qualifiés, immigrés, chômeurs) sont restés dans les communes du pôle urbain, souvent en banlieue. La mobilité résidentielle intra-urbaine, liée au cycle de vie et à la taille des familles, a également un rôle actif dans la mesure où les jeunes couples des classes moyennes ont tendance à se périurbaniser au moment de l’agrandissement de la famille (Goffette-Nagot, 1996, Cavailhès et Goffette-Nagot, 2001), laissant ainsi le territoire des pôles urbains se répartir entre, d’une part, les ménages des couches supérieures et, d’autre part, ceux aux revenus les plus modestes. Ces forces ségrégatives conduisent à des différences marquées dans la composition résidentielle des villes-centres, pôles et couronnes périurbaines. La configuration spatiale

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qui résulte de ces choix de (re)localisation est la suivante : localisation centrale des ménages les plus aisés, localisation périphérique des ménages à revenu moyen (ouvriers qualifiés et professions intermédiaires) et localisation intermédiaire des ménages les plus pauvres (Schmitt et al., 1998, Goffette-Nagot, 2001), structure qualifiée par certains de « ville à trois vitesses » (Béhar et al., 2004). La ville pourrait être à « quatre vitesses » avec un périurbain lointain où vivent des ménages pauvres n’ayant pas les moyens d’occuper des localisations plus centrales.

Il apparaît donc que la contribution de la périurbanisation à la ségrégation urbaine passe par des flux migratoires sélectifs entre espaces urbains et périurbains. L’analyse de ces flux restait néanmoins à faire ainsi que celle de la composition de ces flux. L’objectif du rapport était également de mesurer de quelle façon ces flux correspondent effectivement à un important tri social et participent à la ségrégation au sein des aires urbaines.

On observe avec le mouvement de périurbanisation, l’apparition d’importantes tensions sur les services publics, l’offre de services et d’équipement ayant du mal à suivre le rythme de la périurbanisation. La dispersion de la population vers les communes périurbaines induit un mouvement simultané de relocalisation de services de proximité (Goffette-Nagot et Schmitt, 1999). On sait que la localisation des services de proximité à caractère privé (boulangerie, épicerie…) est assez directement déterminée par la demande potentielle sur le marché local et donc par les dynamiques de population. Du côté des services publics à gestion centralisée, l’objectif d’équité spatiale, traduit en termes d’accessibilité aux services publics, peut conduire à une décision de redéploiement vers les zones périurbaines de services publics de proximité. Les autorités publiques disposant de ressources limitées, doivent déterminer la répartition géographique des moyens mis en œuvre, à budget plus ou moins constant. On constate que, dans les dernières années, certains équipements se sont fortement redéployés vers les zones périurbaines afin de répondre à leurs évolutions démographiques, même si en raison de l’intensité de ces évolutions, le périurbain reste parfois sous-équipé (Darriau et Gadais, 2001) et on accuse parfois les pouvoirs publics de négliger le périurbain (Béhar et al., 2004). Le risque est ici que ce redéploiement ne se fasse au détriment de certaines franges urbaines. Ainsi, par exemple, l’école primaire est un des équipements publics qui a le plus suivi le mouvement de périurbanisation (Bessy-Pietri et Sicamois, 2001), et parallèlement le nombre moyen d’élèves par classe était plus élevé dans les villes que dans le périurbain en 1994 (Schmitt et al., 1998). On peut donc se demander si les quartiers les plus pauvres ne seraient pas les premiers à pâtir du redéploiement de services publics vers le périurbain. L’équipement éducatif étant, en outre, un élément déterminant de la dynamique de ségrégation sociale, puisqu’il peut intensifier ce processus ou permettre une intégration sociale, en infléchissant les trajectoires professionnelles (Selod, 2004), il reste un des services publics le plus en lien avec la ségrégation urbaine et demande donc une attention particulière.

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certain nombre de services à la population, privés ou publics. Ainsi, une localité pourra être préférée à une autre si le logement y est coûteux mais les services de proximité disponibles en plus grande quantité. On peut alors voir émerger des centres secondaires, dont l’offre de services aux ménages est élevée, concentrant les localisations résidentielles en périphérie des villes (Goffette-Nagot et Schmitt, 1999). Dans ce cas, une concurrence sur le marché du logement se développe autour de ces pôles secondaires et se répercute, à terme, sur le prix du logement, qu’il s’agisse de l’achat ou de la location. On assiste alors à un phénomène de « capitalisation foncière », le prix du logement intégrant la plus grande accessibilité aux services (Yinger, 1982 ; Starret, 1981). La capitalisation foncière renforce alors les disparités en intensifiant le processus de ségrégation décrit précédemment, entre banlieues et quartiers des villes et zones périurbaines, mais aussi au sein même de ces dernières. Ainsi, de manière indirecte (via le marché du logement), l’offre de services, qu’ils soient privés ou publics, peut venir renforcer les phénomènes de ségrégation.

2.1.1. Ségrégation et périurbanisation dans les aires urbaines françaises

Parallèlement à la mise en place d’un découpage spécifique permettant de mobiliser les données des échantillons au quart des Recensements de Population de 1990 et 1999, nous nous sommes attachés à la construction d’un indicateur de ségrégation le plus pertinent possible. Nous avons opté pour un indicateur synthétique mesuré à l’échelle de chaque aire et comparable entre ces aires. La logique de ces indices est de comparer la structure sociale de l’ensemble des unités spatiales de base (quartiers, communes) et de donner une image synthétique de leur hétérogénéité, ou homogénéité, en termes de structure sociale.

Divers indicateurs de ségrégation auraient pu être utilisés. Nous avons eu recours à un indicateur inspiré de Theil et Finizza (1971) et proposé par Mora et Ruiz-Castillo (2003) dans un autre contexte. Dans un premier temps, nous analysons la ségrégation sociale en France, à l’échelle des aires urbaines. Après avoir vérifié la cohérence relative de notre découpage et constaté une forte corrélation entre les indices classiques de dissimilarité (Duncan et Duncan, 1955) et l’indice choisi, nous nous sommes focalisés sur ce dernier.

Quelles que soient les oppositions choisies pour construire cet indicateur, l’année ou le traitement des retraités, la médiane de chaque indice est toujours inférieure à sa moyenne, montrant que cet indice est élevé dans relativement peu d’aires urbaines. Cette tendance, à la présence de quelques aires urbaines tirant la distribution vers le haut, est confirmée par des valeurs de dernier quartile relativement élevées par rapport à celles du premier quartile et de la médiane. Ainsi, la distribution des indices I/E est asymétrique, avec des aires urbaines relativement peu nombreuses mais dans lesquelles la ségrégation est très forte, comparativement à la moyenne et un nombre élevé d’aires urbaines où la ségrégation apparaît peu intense.

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De manière relativement peu surprenante, la ségrégation est en moyenne plus importante lorsqu’elle est mesurée sur l’opposition cadres versus ouvriers que lorsqu’elle l’est sur l’opposition cadres versus employés et ouvriers et a fortiori sur l’opposition cadres versus employés. Les cadres et les employés semblent donc vivre plus souvent dans les mêmes espaces que les cadres et les ouvriers. Diverses explications peuvent être avancées pour étayer ce constat. Soit les familles de cadres et d’employés, en particulier pour des raisons financières pesant sur la structure du marché foncier, ont tendance à effectivement vivre dans les mêmes espaces. Notre indice étant calculé à partir de la catégorie sociale des individus et non des chefs de ménage, on peut aussi envisager que les cadres ont plus tendance à former ménage avec des employés qu’avec des ouvriers. On peut enfin supposer que les emplois de cadres sont plus proches géographiquement de ceux des employés que ceux des ouvriers.

Plus important, la ségrégation mesurée par notre indice est également plus forte lorsque les retraités ne sont pas réintégrés à la catégorie sociale à laquelle ils appartenaient que lorsqu’ils le sont. Ceci met en lumière d’importants effets générationnels et donc temporels : la ségrégation sociale au sein des aires urbaines est nettement plus importante lorsque l’on ne considère que les actifs et donc les plus jeunes. Cette tendance à l’augmentation de la ségrégation pour les plus jeunes est a priori confirmée par le léger accroissement des indices, à définition constante entre 1990 et 1999.

Les indices de ségrégation, calculés sur les seuls pôles urbains sont, en moyenne, beaucoup plus élevés que ces mêmes indices calculés sur les aires urbaines dans leur totalité. Ceci tend à montrer une plus grande ségrégation au sein des villes qu’au sein de leur zone d’influence. L’écart entre leur médiane et leur moyenne au sein des seuls pôles est également plus important montrant que, dans quelques pôles, la ségrégation est très forte.

La corrélation entre l’indice de ségrégation et la taille de la population est de plus toujours hautement significative (eu égard au nombre d’observations) et de l’ordre de 40 %. L’explication la plus directe est celle qui passe par l’analyse du fonctionnement du marché foncier : avec une plus forte densité, la pression foncière devient telle qu’elle pousse les familles à revenu moyen qui cherchent à devenir propriétaire, à s’éloigner de cette pression et donc du centre, contribuant ainsi à un tri spatial des différentes catégories sociales.

L’ensemble de ces résultats montre que, en moyenne, (i) la ségrégation s’accroît avec le temps, (ii) qu’elle est plus élevée au sein des pôles urbains que sur l’ensemble de leur aire d’influence, (iii) qu’il existe des effets générationnels importants, visibles à travers les effets de l’introduction des retraités, et (iv) qu’elle croît également avec la taille des aires urbaines. On constate également que certaines grandes villes (pas systématiquement les plus grandes) sont très ségrégées, et ce de manière stable dans le temps. Ainsi, ceci constitue un faisceau d’indices corroborant l’hypothèse d’un fort impact du phénomène de périurbanisation, via les mécanismes oeuvrant sur le marché foncier, sur la

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ségrégation urbaine en France. La grande pression foncière dans les grandes villes poussant d’autant plus à la périurbanisation des classes moyennes, la ségrégation y serait d’autant plus élevée.

L’analyse du rôle de la périurbanisation dans la ségrégation sociale des aires urbaines et pôles urbains en France est précédée d’une description fine des flux migratoires, visant (i) à appréhender le poids du mouvement de périurbanisation parmi les divers flux migratoires ayant affecté la population urbaine et (ii) d’en examiner l’éventuelle différenciation sociale.

Tout d’abord, environ 30 % de la population de plus de 15 ans résidant en début de période dans une des 163 aires urbaines de l’étude a changé de commune de résidence. Et les mouvements migratoires, au sein d’une même aire urbaine, concernent plus de la moitié de ces changements de commune. Comme on le sait par ailleurs, les actifs sont nettement plus mobiles que les retraités, la mobilité se réduisant avec l’âge : ainsi, entre 1990 et 1999, ce sont 38 % des actifs des 163 aires urbaines qui ont changé de commune de résidence contre seulement 15 % des retraités.

Comme on pouvait le supposer, la mobilité des actifs dépend également de leurs catégories sociales d’appartenance. Ainsi, les cadres ont tendance à être plus mobiles que les professions intermédiaires : 46 % des cadres ont, entre 1990 et 1999, changé de commune de résidence contre 40 % des professions intermédiaires, ces taux de mobilité ayant eu tendance à augmenter entre les deux périodes intercensitaires étudiées. A l’inverse, les ouvriers et, dans une moindre mesure, les employés ont tendance à changer moins souvent de commune de résidence : seuls 36 % des premiers et 31 % des seconds ont, entre 1990 et 1999, changé de commune de résidence, ces taux n’évoluant que peu entre les deux périodes intercensitaires. L’analyse un peu plus fine des destinations fait apparaître que la différence de comportement migratoire entre, d’une part, les cadres et professions intermédiaires et, d’autre part, les ouvriers et les employés, se joue sur les migrations à longue distance. En effet, la part des résidents de nos 163 aires urbaines qui changent de commune à l’intérieur de leur aire urbaine d’origine varie peu selon les catégories sociales des actifs : la plage de variation de ces taux de mobilité interne aux aires urbaines s’étale entre 20 et 23 % quelle que soit la période intercensitaire considérée. A l’inverse, les mobilités entre aires urbaines touchent près de 17 % des cadres entre 1982 et 1990 et près de 19 % d’entre eux entre 1990 et 1999, ce taux de mobilité entre aires urbaines s’établit à 12-13 % pour les professions intermédiaires et passe à 9 % pour les employés et à 5 % pour les ouvriers.

L’analyse fine de l’orientation de ces flux, telle qu’elle peut être lue au travers du ZAUER, fait apparaître le faible poids représenté par les flux de périurbanisation. En adoptant une définition restrictive de ceux-ci, c’est-à-dire en les restreignant aux flux migratoires des pôles urbains (ville-centre et banlieue) vers les couronnes périurbaines de la même aire urbaine, ces flux ne représentent que 11 % des changements de communes réalisés entre 1990 et 1999 par la population de plus de 15 ans des 163 aires urbaines de l’étude. Bien sûr, ces flux sont nettement plus élevés que les flux

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inverses (des couronnes périurbaines vers les pôles urbains), qui ne rassemblent que 7 % de l’ensemble des flux, cette différence de poids entre ces flux réciproques expliquant sans difficulté l’augmentation importante de la population périurbaine (+ 12 % entre 1990 et 1999, contre + 4 % pour les pôles urbains). Mais ils pèsent peu au regard des flux internes aux pôles urbains, et notamment aux flux entre communes de banlieue d’une même aire urbaine (22 % des flux migratoires) auxquels il faut ajouter les flux entre ville-centre et communes de banlieue (11 % du centre vers la banlieue et 8 % de la banlieue vers le centre).

L’analyse par catégorie sociale de ces flux migratoires ne fait apparaître que peu de divergences entre catégories sociales dans l’orientation des flux migratoires. Si les flux de périurbanisation circonscrits à l’aire urbaine d’appartenance pèsent plus lourds chez les ouvriers que dans les autres catégories sociales, ils ne touchent cependant que 14 % des flux migratoires ouvriers et restent très en deçà des 25 % de flux ouvriers entre communes de banlieue de la même aire, auxquels s’ajoutent, en migrations intra-pôles urbains, les 12 % de flux de la ville-centre vers la banlieue et les 8 % de flux inverses (la banlieue vers la ville-centre). A l’inverse, ce sont les cadres qui se périurbanisent le moins : seuls 7,6 % des flux migratoires de cadres sont concernés par ce mouvement lorsqu’il est circonscrit à la même aire urbaine ; et ce taux passe à 13 % lorsque l’on y ajoute les flux de périurbanisation avec changement d’aire urbaine de résidence. Si, dans le cas des cadres, les flux de banlieue à banlieue sont également largement dominants (ils représentent 26 % des flux, que ceux-ci soient vus à courte ou à longue distance), les flux de villes-centres à banlieue et les flux entre villes-centres sont également très caractéristiques de cette catégorie sociale. Les premiers représentent un cinquième des flux migratoires de cette catégorie (contre 17,5 % pour l’ensemble des actifs) alors que les seconds représentent 14 % des mêmes flux (contre 8,6 % pour l’ensemble des actifs). Quant aux professions intermédiaires et aux employés, leurs comportements migratoires se situent en position intermédiaire entre ces cas polaires.

2.1.2. Effets de la périurbanisation sur la ségrégation

En conséquence et contrairement à nos hypothèses initiales, on peut se demander si le brassage et/ou le tri social qui peut s’opérer au travers des flux internes aux pôles urbains, ne domine pas la répartition spatiale des catégories sociales entre pôles urbains et couronnes périurbaines. Pour répondre à cette question, on a alors recours à une analyse plus fine du rôle des flux migratoires dans le processus de ségrégation spatiale qui touche les aires urbaines et les pôles urbains français. Au moyen de régressions linéaires assez simples, on a cherché à expliquer par un ensemble de variables les niveaux atteints en 1990 et 1999 par les indices de ségrégation calculés. Certaines variables sont introduites comme variables de contrôle : taille de l’aire urbaine ou du pôle et son « taux d’embourgeoisement ». Aux côtés de ces variables de contrôle, on a introduit des variables d’intérêt décrivant le poids respectif de la périurbanisation et des mobilités internes au pôle urbain des

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catégories sociales moyennes et supérieures, à savoir ceux des cadres et des professions intermédiaires.

Comme on pouvait s’y attendre, les résultats des régressions font tout d’abord apparaître le rôle positif joué par la taille de l’aire urbaine ou du pôle urbain dans le niveau de ségrégation sociale de ces aires et pôles. Ainsi, lorsque le logarithme de la population d’un pôle ou d’une aire urbaine s’accroît de 1 %, l’intensité de la ségrégation urbaine, mesurée par les différents indices de ségrégation utilisés ici, s’accroît de 0,9 % à 1 % selon les cas.

A l’inverse, le « taux d’embourgeoisement » de la zone urbaine d’étude, appréhendé ici par la part, atteinte au recensement précédent, des CS Cadres-professions intellectuelles supérieures et Artisans-commerçants-chefs d’entreprise dans la population active, ne joue qu’exceptionnellement un rôle dans le niveau de ségrégation atteint dans un pôle ou une aire urbaine. Quand il joue, son rôle est positif, c’est-à-dire qu’une aire urbaine ou un pôle où la part des catégories sociales supérieures est élevée, aura tendance à être socialement plus ségrégé.

Si on se penche à présent sur le rôle des mouvements migratoires sur l’intensité de la ségrégation urbaine, le rôle des mouvements de périurbanisation des catégories sociales moyennes ou supérieures apparaît assez clairement.

Au-delà de ce constat général, certaines nuances peuvent être décelées. Tout d’abord, lorsque la ségrégation est analysée au niveau de l’aire urbaine, c’est la périurbanisation des professions intermédiaires entre 1982 et 1990 qui influe positivement le niveau de ségrégation atteint en 1990 alors que ce sont les mouvements de périurbanisation des cadres au cours de la période suivante qui expliquent le plus les niveaux de ségrégation atteints en 1999. L’influence de la périurbanisation des cadres sur la ségrégation en 1999 est de même ampleur que celle des professions intermédiaires sur la ségrégation en 1990, les élasticités au point moyen étant de niveau similaire (1,82 et 1,83 selon que les retraités soient inclus ou non dans le premier cas contre 1,97 et 1,78 dans le second).

Lorsque l’on focalise sur la ségrégation urbaine interne au seul pôle urbain, la périurbanisation de chacune de ces deux catégories sociales amplifie la ségrégation tant en 1990 qu’en 1999. Si, en 1990, la périurbanisation des professions intermédiaires joue plus fortement que celle des cadres (les élasticités au point moyen étant de 4,64 et 4,28 pour les premiers contre 2,40 et 2,30 pour les seconds), leur influence est identique en 1999, les élasticités au point moyen étant alors de 4,70 et 4,35 pour les cadres contre 5,6 et 4,90 pour les professions intermédiaires.

En revanche, les migrations internes au pôle urbain (qu’elles soient ou non décomposées en flux centre-banlieue et flux banlieue-banlieue) n’influencent qu’exceptionnellement la ségrégation urbaine. Très rares sont en effet les paramètres estimés de ces variables qui soient significativement différents de zéro, même à un seuil de 10 % : les effets les plus forts concernent les flux de banlieue à banlieue des cadres ou des professions intermédiaires qui influencent significativement le niveau 1990 de la

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ségrégation au sein des pôles urbains entre cadres et ouvriers et entre cadres et employés. Encore faut-il remarquer que lorsque cette influence se fait significativement sentir, le sens de l’effet va à l’inverse de celui mis en évidence dans le cas de la périurbanisation des catégories sociales moyennes ou supérieures : ainsi, une plus forte mobilité interne aux pôles urbains de ces catégories sociales semble se traduire par une moindre ségrégation du pôle, voire de l’aire urbaine. Les mouvements internes aux pôles ne semblent donc pas, au contraire des flux de périurbanisation, se traduire par un tri social, responsable de la ségrégation sociale.

Il ressort de cette analyse que, bien que de faible ampleur et peu différencié socialement, le mouvement de périurbanisation des catégories sociales moyennes et/ou supérieures semble à la base d’une part importante de la ségrégation sociale accrue que l’on observe au sein des pôles urbains et des aires urbaines françaises. Si ce fut la périurbanisation des professions intermédiaires de la période 1982-1990 qui pesa le plus fortement sur la ségrégation urbaine de 1990, ce sont, au cours de la période plus récente, les mouvements de relocalisation en dehors des pôles urbains des cadres et des professions intermédiaires qui intensifient cette ségrégation spatiale entre catégories sociales. A l’inverse, et contre toute attente, la relocalisation de ces mêmes catégories sociales à l’intérieur des pôles urbains n’intensifie pas, et même dans certains cas, atténue, la ségrégation urbaine entre cadres et ouvriers et entre cadres et employés.

2.1.3. Structure sociale, offre de services de proximité et marché foncier

à Besançon et Dijon

Pour affiner et compléter ces résultats nationaux, deux études locales, l’une sur l’aire urbaine de Dijon, l’autre sur celle de Besançon, ont été menées. Elles visaient notamment à élargir la problématique en étudiant les conséquences des phénomènes observés sur le marché foncier, en zones urbaines et périurbaines.

De manière générale, et quelle que soit la période, les aires urbaines de Dijon et de Besançon apparaissent systématiquement plus ségrégées que les autres aires urbaines françaises, l’aire de Dijon l’étant en outre plus que l’aire de Besançon, et notamment lorsque les cadres sont opposés aux ouvriers. La description des marchés fonciers respectifs, menée à l’aide des données de transactions foncières provenant de l’office des Notaires (données Perval) fait apparaître que, sur le marché foncier dijonnais, le prix des biens immobiliers est plus élevé en niveau et connaît un accroissement plus élevé sur la période récente, que dans l’aire de Besançon.

L’analyse des conséquences de la ségrégation urbaine et de l’évolution de l’offre locale de services publics sur le marché foncier (et donc sur les processus de localisation résidentielle) est effectuée à partir de modèles hédonistes estimés avec la méthode des variables instrumentales, qui visent à séparer les effets des équipements publics et de la ségrégation spatiale sur la variation des prix du logement mais aussi à en évaluer les effets en retour. Au-delà de ses caractéristiques propres, les variables

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explicatives du prix au mètre carré de chaque transaction immobilière sont la structure sociale du quartier ou de la commune, les caractéristiques de son collège public de rattachement et son accessibilité aux services de santé et autres équipements de proximité.

Les résultats montrent que les maisons de l’aire urbaine de Dijon, les paramètres de toutes les variables caractérisant le bien objet de la transaction ont le signe attendu, lorsqu’ils sont significatifs. De même, l’accès aux équipements éducatifs et de santé a des effets sur le prix des transactions concernant les maisons à Dijon, sauf la densité locale de médecins. La meilleure accessibilité aux dentistes (coefficient positif de la densité locale) et au collège privé (coefficient négatif de la distance euclidienne) accroît le prix au mètre carré des maisons. La composition sociale de la zone, vue ici au travers du nombre de cadres rapporté au nombre d’ouvriers, joue fortement sur le prix des maisons et est endogène. Ainsi, sur l’aire de Dijon, on a bien un effet boule de neige entre ségrégation sociale et marché foncier : la ségrégation sociale accroît le prix du logement et celui-ci renforce la ségrégation. Les caractéristiques du collège public de rattachement se sont également avérées être endogènes. Quand cette endogénéité est corrigée, l’existence d’une section d’éducation spécialisée et la part d’enfants ayant un an de retard en 6ième dans le collège de rattachement ont un fort impact négatif et

significatif sur le prix des maisons dans leur zone de rattachement. Là aussi, apparaît un effet cumulatif entre ségrégation spatiale et caractéristiques du service éducatif offert. La qualité du collège, ou tout du moins sa réputation, tend donc à renforcer le processus de ségrégation qui passe par le marché foncier.

Pour l’aire urbaine de Besançon, les choses sont assez différentes. Si les coefficients associés aux caractéristiques propres des maisons jouent de la même façon sur leur prix qu’à Dijon à quelques exceptions près (la négociation par un particulier, par exemple, n’y fait pas baisser le prix par rapport à un professionnel), les variables de localisation et de structure sociale jouent différemment. Ainsi, les caractéristiques sociales de l’environnement ne jouent aucun rôle dans le fonctionnement du marché foncier des maisons et ne sont pas endogènes. Les caractéristiques du collège local n’ont qu’un faible effet sur les prix des transactions des maisons bisontines : seule l’existence d’une section éducative spécialisée a un effet statistiquement significatif, celui-ci ayant cependant un signe qui va à l’encontre d’un renforcement de la ségrégation. L’analyse complémentaire réalisée sur le prix des appartements confirme ces tendances. Au final, l’ensemble de ces résultats convergent assez fortement vers le constat d’un effet cumulatif important entre structure sociale locale, marché foncier et qualité, ou réputation, du collège de rattachement sur l’aire de Dijon. Un tel processus cumulatif apparaît complètement absent de l’aire urbaine de Besançon pour le lien structure sociale - marché foncier et semble peu présent pour le lien entre qualité ou réputation du collège et marché foncier.

Au total, les analyses proposées dans le cadre de ce contrat de recherche ont mises en évidence un rôle important des mouvements de périurbanisation notamment des cadres et, dans une moindre mesure,

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des professions intermédiaires dans l’accentuation de la ségrégation sociale qu’ont connu les aires urbaines et, surtout, les pôles urbains français au cours de ces dernières années.

A Dijon, les services éducatifs jouent un rôle non négligeable dans la ségrégation spatiale, via une différenciation du prix des logements selon la qualité, ou la réputation, du service offert à proximité, ce lien étant en outre réciproque, c’est-à-dire que la qualité, ou la réputation, d’un collège public dépendent des prix fonciers des biens qui l’environnent. Un même lien d’auto renforcement de la ségrégation spatiale apparaît entre le prix des biens immobiliers et les caractéristiques sociales du quartier dans lequel ils sont localisés, le poids relatif des cadres influençant positivement le prix des logements et la valeur de ces derniers augmentant la part des cadres dans l’environnement. Enfin, même si le lien est moins net, la densité locale en services de santé tend également à renforcer la ségrégation par renchérissement des prix fonciers. Ces phénomènes semblent absents de l’aire urbaine de Besançon, possédant des caractéristiques proches de celle de Dijon, même si cette dernière est plus ségrégée spatialement que la première.

La problématique de la ségrégation au sein des aires urbaines et de la périurbanisation est exclusivement focalisée sur les choix de localisation résidentielle des ménages. On suppose en effet implicitement que le lieu de travail est fixe (au sein du pôle ou de son aire d’influence) et que les ménages choisissent, sous contrainte budgétaire et d’accès à l’emploi et en fonction de leur préférence, leur localisation. En amont, la dynamique des marchés locaux du travail, comme déterminant du choix entre ces différents marchés locaux et de la productivité des entreprises, est essentielle.

2.2. Externalités et modes de communication en ville

Le rôle des échanges d’information et de la communication dans la formation des agglomérations est historiquement l’un des premiers facteurs d’agglomération à avoir été mis en avant. Ainsi, depuis Marshall (1890), on décline classiquement les externalités d’agglomération en trois catégories principales : l’ampleur et la diversité du marché du travail, les relations amont - aval entre les entreprises et l’échange d’informations et de connaissances. Cette dernière force d’agglomération est directement liée à la proximité des salariés qui peuvent échanger de manière formelle ou informelle des informations qui les rendent plus productifs, voire innovants. Ainsi, la proximité géographique, en facilitant les échanges sociaux de face-à-face, conduirait à un accroissement de la productivité dans les entreprises concentrées dans les villes.

Le développement des nouvelles technologies de l’information et de communication (NTIC) a donné lieu à une forme de remise en question de ce mécanisme d’agglomération basé sur l’échange d’informations. Ainsi, les NTIC, en permettant la communication à distance de manière continue à faible coût, pourraient favoriser le redéploiement de certaines activités dans les zones peu denses annonçant ainsi le déclin des villes (Cairncross, 2001). La description de ce redéploiement va de

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concernant que certaines activités, en particulier les moins intensives en technologies.

Les travaux remettant en question les avantages à la concentration des activités font souvent l’économie d’une réflexion sur la contribution de la communication aux économies d’agglomération. La complexité du processus qui relie proximité géographique des salariés et accroissement de la productivité de ces salariés sans surcoût (et donc donnant lieu à une externalité positive) n’est que rarement abordée. Cette complexité est essentiellement due à la difficulté à distinguer les gains de productivité des salariés qui découlent des caractéristiques même des salariés localisés en ville de ceux qui découlent du fait que ces salariés travaillent à proximité les uns des autres. L’identification de telles externalités pose des difficultés d’ordre méthodologique récurrentes, en particulier lorsqu’il s’agit d’externalités spatiales (Rosenthal et Strange, 2004).

Avec G. Duranton (Université de Toronto), nous avons analysé les disparités spatiales de l’intensité et des modes de communication sur le lieu de travail, avant de développer une méthode originale pour mesurer les externalités de communication et analyser les effets de complémentarités entre différents modes de communication. Cette démarche complète permet d’apprécier la pérennité de l’avantage que les agents peuvent tirer d’un choix de localisation en ville, malgré les évolutions technologiques dans les modes de communication.

2.2.1. Différentiel géographique de communication sur le lieu de travail

Nous avons, dans un premier temps, décrit un modèle simple dont le mécanisme principal, en résumé, est le suivant [3]. L’hypothèse initiale cruciale est que les grandes villes offrent plus d’opportunités d’interactions directes mais elles rendent aussi les rencontres en face-à-face plus coûteuses. Ce coût élevé des rencontres en face-à-face est, d’une part, dû au coût d’opportunité du temps plus élevé pour les salariés des grandes villes, et, d’autre part, lié au plus long temps de transport nécessaire à la rencontre de plusieurs personnes. Si l’on admet en outre que le gain dérivé de la communication en face-à-face, comparativement à la communication à distance, augmente avec la complexité de l’interaction, on obtient un seuil de complexité de l’interaction au-dessus duquel il y a communication en face-à-face et en dessous duquel elle est remplacée par une forme de communication moins coûteuse, comme le téléphone ou le courrier électronique. Le face-à-face étant plus coûteux dans les grandes villes et les coûts de télécommunication étant plus ou moins indépendants de la localisation le seuil de complexité à partir duquel le face-à-face est utilisé doit augmenter avec la taille de la ville. Au final, il se peut que les plus grandes villes offrent effectivement plus d’opportunités d’interactions en face-à-face mais que, étant donné le coût plus élevé de ces dernières, seuls les problèmes les plus complexes soient gérés en face-à-face. Si ce modèle est vrai, la qualité des interactions en face-à-face doit être plus importante dans les grandes villes. Malheureusement, la validation de cette prédiction est impossible à mettre en œuvre à partir des données disponibles.

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communication différenciés dans l’espace, et leurs évolutions, à partir des formes de la communication sur le lieu de travail, son caractère interne ou externe à l’entreprise, son intensité, les médias par lesquels elle transite, en utilisant les enquêtes Techniques et Organisation du Travail (TOTTO) de 1987 et 1993 et l’enquête Changements Organisationnels et Informatisation (COI) de 1997. Cette dernière comporte en effet un certain nombre de questions sur les formes de communication des salariés de l’industrie. Certaines de ces questions étaient communes à celles des enquêtes TOTTO. Le lieu de travail des salariés a pu être localisé à la commune et réparti dans les grandes catégories du Zonage en Aires Urbaines, en passant par le code Siret de leur établissement.

On met tout d’abord en évidence que le niveau de formation des salariés ainsi que la taille des entreprises sont des déterminants importants du niveau de communication sur le lieu de travail. La communication avec les fournisseurs ou les clients est plus forte en ville qu’à la campagne, en moyenne. Même après avoir contrôlé la taille de l’entreprise et le niveau de formation du salarié, les salariés communiquent, de manière générale, plus en ville qu’à la campagne. Cependant, ce constat ne concerne pas la communication interne à l’entreprise, constante quelle que soit sa localisation. La plus forte intensité de la communication en ville s’explique essentiellement par une plus grande communication vers l’extérieur.

Concernant les médias par lesquels cette communication transite, il semble que, de manière assez surprenante, la communication de face-à-face soit identique partout. En revanche, l’intensité de l’utilisation de modes de communications plus “techniques” (par écrit, téléphone ou ordinateur) sont plus différenciés dans l’espace : on communique plus par ce biais en ville que dans les zones rurales. En termes d’évolution entre 1987 et 1997, au sein de l’entreprise, on observe une légère augmentation de la communication entre collègues du même service et une plus forte augmentation de la communication entre collègues de différents services. Ceci s’explique par les changements organisationnels observés sur la période et dont une des conséquences a été de réduire les niveaux hiérarchiques (Greenan et Mairesse, 1999). On note surtout un léger accroissement du différentiel spatial de communication avec l’extérieur : les salariés communiquaient relativement plus avec les fournisseurs et clients dans les grandes villes que dans les plus petites villes et les zones rurales, en 1997.

Cette première approche descriptive permet de s’interroger sur le rôle de la localisation dans les modes et l’intensité de communication dans la production et inversement sur les choix de localisation des entreprises en fonction de leurs besoins en échange d’informations. Elle permet de ne pas infirmer le modèle décrit précédemment et celui, plus traditionnel, mettant en avant l’existence d’externalité de communication.

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2.2.2. Externalités de communication et localisation

On considère, de manière classique, que l’existence des villes peut, entre autres, être justifiée par la présence d’externalité de communication. Les individus proches les uns des autres peuvent communiquer sans coût et cet échange d’informations devrait accroître la productivité des salariés. La mesure de cette externalité, comme toute externalité, pose des difficultés importantes d'un point de vue méthodologique. Pour contourner cette dernière difficulté, nous avons estimé un modèle économétrique dérivé d’un modèle théorique et composé d’une équation de salaire [5], dans laquelle, outre les caractéristiques individuelles classiques, nous introduisons le niveau de communication individuel, la taille de la ville, lorsque le salarié est localisé en ville, le niveau local moyen de communication et le niveau local moyen d’éducation. Parallèlement à cette équation de salaire, le modèle comprend une équation de communication également fonction de caractéristiques individuelles, de la taille de la ville et du niveau local moyen d’éducation. Cette démarche permet d’identifier les effets directs de la communication sur le salaire mais aussi les effets indirects, qui passent par les caractéristiques locales et qui constituent donc l’externalité de communication.

L’indice de communication et le salaire sont susceptibles d’être déterminés simultanément ; les emplois nécessitant le plus de communication sont effectivement ceux qui sont les mieux rémunérés. Nous avons donc testé et corrigé l’endogénéité de l’indice de communication dans l’équation de salaire. Après validation des instruments, les estimations en variables instrumentales de l’équation de salaire conduisent à un coefficient de la communication 50 % plus élevé qu’avec les MCO, laissant supposer une correlation négative entre les capacités inobservées à communiquer et productives. On explique ce constat par la présence, dans notre échantillon, de salariés qui communiquent beaucoup mais qui sont peu productifs.

Les résultats de l’équation de communication permettent de confirmer que les caractéristiques individuelles, en particulier le niveau de formation, expliquent bien le niveau de communication. L’effet de l’âge sur la communication sur le lieu de travail est non monotone, il plafonne à l’âge moyen de 50 ans. Les femmes communiquent légèrement moins que les hommes. Pour ce qui concerne les caractéristiques d’environnement, le type d’espace dans lequel est localisé l’emploi est déterminant dans le niveau de communication ; se déplacer du plus petit pôle urbain (d’environ 10 000 habitants) vers Paris fait croître l’indice de communication de 4 points. De même, la part locale de salariés très formés a un fort impact sur le niveau de communication des individus.

Pour l’équation de salaire, là aussi les caractéristiques du salarié sont importantes. Classiquement, on retrouve que les femmes sont moins bien payées que les hommes, que le niveau d’éducation détermine fortement le niveau de salaire, et que l’expérience est un atout puis devient un handicap. Mais surtout, un accroissement d’un point de l’indice de communication augmente le salaire de 0,5 %,

Références

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