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CHAPITRE I : REVUE BIBLIOGRAPHIQUE

I- 3.1.2 Lixiviation simple et accélérée

On appellera lixiviation « simple » le processus de dégradation du béton par l’eau (faiblement ou totalement déminéralisée). L’eau est un environnement agressif vis-à-vis du béton et de sa solution interstitielle qui à un caractère basique fort (pH 13 environ) [Torrenti et al. 1999, Andra 2002].

Les gradients de concentration entre la solution interstitielle et l’eau vont entraîner la diffusion des ions (alcalins, Ca2+, OH- …) vers l’environnement.

La lixiviation du calcium est contrôlée par l’équilibre thermodynamique des hydrates du béton avec la solution interstitielle. Plusieurs auteurs [Adenot 1992, Gérard 1996, Tognazzi 1998] ont déterminé des diagrammes simplifiés d’équilibre entre les hydrates et la solution interstitielle. Ces diagrammes se présentent sous la forme de celui proposé sur la figure I-7.

Figure I-7 : Diagramme d’équilibre entre le rapport Ca/Si dans la phase solide et la concentration en calcium dans la solution interstitielle [Tognazzi 1998]

Ce diagramme illustre l’équilibre du rapport Ca/Si des produits hydratés en fonction de la concentration en calcium de la phase liquide dans le cas d’une pâte de ciment à base de CEM I :

Greenberg/Chang (25°C) Fuji/Kondo (30°C) Taylor (25°C)

- la zone comprise entre 21 mmol/l et 22 mmol/l de calcium caractérise l’équilibre de la portlandite. La valeur Ca/Si = 1,65 représente la valeur minimale correspondant à la zone de C-S-H non dégradés ;

- entre 21 mmol/l et 2 mmol/l de calcium en solution, la variation du rapport Ca/Si est due à la décalcification progressive des C-S-H, ce rapport Ca/Si évolue linéairement de 1,65 à 1 ;

- entre 2 mmol/l et 1,5 mmol/l, on a une variation brutale du rapport Ca/Si qui peut être due à une variation relative entre deux C-S-H qui coexistent ;

- pour la zone correspondant à des valeurs inférieures à 1,5 mmol/l, on attribue la variation du rapport Ca/Si en fonction de la variation de la concentration en calcium en solution à une décalcification des C-S-H de très faible rapport Ca/Si.

Le processus de diffusion des ions vers l’environnement provoque des perturbations d’équilibre et entraîne le phénomène de dissolution des produits hydratés (figure I-8). La portlandite se dissout totalement, l’équilibre du système est alors assuré par les C-S-H qui sont ensuite soumis à une décalcification partielle. Une fois les C-S-H totalement décalcifiés, il reste uniquement du gel de silice.

Cœur sain: Portlandite, C-S-H, Ettringite, Monosulfoaluminate C-S-H, Ettringite, Monosulfoaluminate C-S-H décalcifiés, Ettringite C-S-H décalcifiés

Gel de silice en surface

Des études de dégradation chimique déjà réalisées sur pâte de ciment et sur mortiers [Bajza et al. 1986, Adenot 1992, Adenot et al. 1996, Adenot et al. 1998, Bourdette 1994, Gérard 1996, Tognazzi 1998] montrent la présence de fronts de dissolution-précipitation dans la zone de lixiviation, ce qui vérifie l’hypothèse de l’équilibre chimique local. La solution interstitielle est en équilibre avec les phases solides présentes. Cet équilibre pourra être perturbé par la diffusion des ions de la solution interstitielle vers l’environnement et sera aussitôt rétabli par la dissolution de produits hydratés en cas de sous saturation.

Les expériences montrent que la quantité des principaux constituants lixiviés et l’épaisseur de dégradation chimique sont proportionnelles à la racine carrée du temps comme présenté sur la figure I-9, ce qui caractérise le phénomène diffusif.

Figure I-9 : Quantité de calcium lixivié en fonction de la racine carrée du temps sur pâte de CEM I, E/C=0,38 [Adenot 1992]

Lixiviation accélérée

Le processus de lixiviation simple est très long. D’après Adenot [Adenot 1992], pour obtenir 4 cm d’épaisseur dégradée sur une pâte de ciment de rapport E/C égal à 0,4 avec de l’eau déminéralisée, il faudrait 300 ans.

Pour les manipulations en laboratoire, il est impératif d’avoir des épaisseurs de béton dégradé importantes qui correspondent à un volume élémentaire représentatif. Il est donc nécessaire de faire appel à des processus permettant d’accélérer le phénomène de lixiviation. La cinétique de lixiviation dépend principalement des équilibres chimiques et de la diffusion des espèces chimiques : il faut donc accélérer le processus de dissolution ou de diffusion. Plusieurs solutions peuvent être mises en oeuvre :

- l’augmentation de la température de la solution agressive qui accélère le processus de diffusion (malgré une solubilité des hydrates diminuée) [Peycelon 2004] ;

- le transport forcé d’ion par application d’une pression hydraulique ou d’un champ électrique ;

- l’augmentation des déséquilibres chimiques (nitrate d’ammonium)

Influence de la température

Plusieurs campagnes ont déjà été menées pour montrer l’influence de la température sur la dégradation des matériaux cimentaires [Vaissière (cité par Torrenti et al 1999), Prené (cité par Le Bellégo 2001), Peycelon 2004, Perlot 2005].

Des essais sur pâtes de CEM I et de CEM V pour des températures de 25, 50 et 85°C montrent une accélération de la dégradation.

Pour des rapports E/C de 0,4 et des températures de 80°C, Kamali [Kamali 2003] obtient une épaisseur dégradée 2,3 fois plus grande pour le CEM I et 2 fois plus grande pour le CEM V. Peycelon [Peycelon et al 2004] étudie les quantités de calcium et d’hydroxyles lixiviés et en déduit les épaisseurs dégradés. La figure I-10 montre que plus la température est élevée, plus la quantité de calcium lixiviée est grande. Les résultats montrent aussi que l’effet de la température est nettement plus important pour le CEM I que pour le CEM V. Il remarque que la zone dégradée de CEM I aurait perdu 50% du calcium présent initialement alors que celle du CEM V en aurait perdu 70%. Par ailleurs, il apparait que la zone dégradée du CEM V est chimiquement plus dégradée que celle du CEM I.

Figure I-10 : Flux de calcium lixivié en fonction de la température pour des pâtes de CEM I et de CEM V [Peycelon et al. 2004]

La température diminue la solubilité des hydrates mais augmente le coefficient de diffusion. Les résultats de ces essais, notamment les mesures de vitesse de dégradation présentées dans le tableau I-2, montrent que la vitesse de propagation du front de décalcification augmente avec la température prouvant que le moteur d’accélération est le processus de transport par diffusion. Malgré tout, l’accélération reste limitée, le facteur d’accélération entre les essais à 20°C et 85°C n’est que de 3.

Tableau I-2 : Vitesse de la propagation du front de dégradation en fonction de la racine carrée du temps pour 3 températures [Peycelon et al. 2004]

Effet de la pression hydraulique

Le transport d’ion forcé par l’application d’une pression hydraulique a été mise en œuvre par Abdelghafour [Abdelghafour 1989]. Le procédé consiste à injecter de l’eau sous pression dans les matériaux cimentaires. Ceci entraine une diffusion ionique très faible si la pression est suffisante. Le principal problème de cette méthode est qu’elle n’est pas facile à mettre en œuvre car on a besoin d’une pression importante pour accélérer la dégradation, du fait des faibles propriétés de perméation des matériaux cimentaires.

Perlot [Perlot 2005] a couplé la pression hydraulique et la température afin d’étudier la dégradation à l’aide de mesure de perméabilité à l’eau. L’augmentation de perméabilité mesurée est attribuée principalement aux effets de la température. La pression étant appliquée selon un mode radial, ceci a pour effet de comprimer l’échantillon resserrant ainsi les lèvres des microfissures, ce qui entraîne une fermeture des chemins de percolation réduisant la perméation.

Accélération par application d’un champ électrique

Saito [Saito et al 1992] a montré que l’application d’un champ électrique pouvait être un moyen efficace pour accélérer la dégradation des matériaux cimentaires. Le principe consiste à appliquer une différence de potentiel aux bornes de l’échantillon, conduisant à une « convection forcée » au transport d’ion.

Gérard [Gérard 1996] a mis au point le procédé LIFT (Leaching Induced by Forced Transport) pour accélérer la dégradation de la pâte de ciment (figure I-11). Les facteurs d’accélération des dégradations relevés avec cette méthode vont de 50 à 100 avec de l’eau déionisée, et sont supérieur à 500 avec une solution tampon (acide éthanoïque et éthanoate de sodium à 1 mol/l) pour 1300 V/m aux bornes de l’éprouvette.

Figure I-11 : Cellule d’essai accéléré sous champ électrique LIFT [Gérard 1996]

Le problème de cette technique est que la dégradation du matériau cimentaire est un processus diffusif, or l’accélération de la dégradation par application d’un champ électrique entraine une concentration élevée en calcium au niveau de la cathode et une zone pauvre en calcium à l’anode. Ceci ne correspond pas au gradient de concentration en calcium caractéristique d’un processus diffusif. Les cinétiques de dégradation sont proportionnelles au temps et non à la racine carrée du temps. Il n’est donc pas possible de définir un facteur d’accélération constant entre l’essai sous champ électrique et la lixiviation simple.

Immersion dans une solution agressive de nitrate d’ammonium

La dégradation des matériaux cimentaires par le nitrate d’ammonium est connue depuis longtemps [Mohr 1925 (cité par LeBellégo 2001), Lea 1965, Bajza et al. 1986]. Depuis, de nombreux auteurs ont utilisé cette propriété du nitrate d’ammonium pour obtenir une dégradation accélérée [Carde 1996, Tognazzi 1998, Le Bellégo et al. 2001, Heukamp 2003, Kamali 2003, Nguyen 2005, Perlot 2005].

La réaction entre le nitrate d’ammonium et la matrice cimentaire est décrite par l’équation :

( )

OH NH NO Ca

(

NO

)

NH H O

Les hydrates de la matrice cimentaire sont en équilibre avec les ions hydroxyles. Lorsqu’on immerge du béton dans une solution de nitrate d’ammonium, il se produit une diffusion des nitrates NO3- et de l’ammonium NH4+ de la solution agressive vers le cœur du matériau. De

même, les constituants du matériau diffusent vers l’extérieur. La neutralisation de la phase aqueuse entraîne une baisse du pH de la solution interstitielle qui va provoquer la dissolution des hydrates. La figure I-12 présente les pH des différentes phases qui se dissolvent et leur pH d’équilibre. Tognazzi [Tognazzi 1998] a montré qu’il existe un équilibre entre l’ammonium NH4+ et l’ammoniaque aqueux NH3aq et que tant que le pH dans la solution interstitielle est

supérieur à 9,25 les équilibres chimiques ne sont pas influencés.

Figure I-12 : pH d’équilibre et solubilité des principaux hydrates [Bourbon 2001]

Dans le cas d’une lixiviation au nitrate d’ammonium, il faut avoir une concentration en calcium importante pour avoir un équilibre dissolution-précipitation. Avec une solution de NH4NO3 de concentration 6 mol/kg, on obtient l’équilibre chimique quand la concentration de

calcium en solution interstitielle atteint 2,730 mol/l [Tognazzi 1998, Heukamp 2003].

Ces réactions s’opèrent à pH basique, les gels de surface qui se dissolvent très lentement à pH neutre ne vont donc pas être altérés. Comme dans le cas d’une agression naturelle, on a une altération limitée par la diffusion dans la partie altérée du matériau et des équilibres chimiques locaux : on déplace les équilibres pour accélérer le processus de dégradation naturel.

L’influence de la concentration de la solution de nitrate d’ammonium a été étudiée [Goncalves et al. 1991]. Il a été montré que plus la solution est concentrée, plus elle est agressive. Cette agressivité peut être diminuée dans le temps à cause de plusieurs facteurs comme l’accumulation de calcium à l’interface échantillon/solution ou encore à cause du dégagement de NH3. Il en résulte une contrainte qui impose le renouvellement de la solution

agressive, pour que la dégradation soit toujours maximale.

Cette méthode permet de conserver le caractère diffusif du phénomène avec un facteur d’accélération constant par rapport à une dégradation naturelle. Une solution de nitrate d’ammonium à 6,25mol/l amplifie la lixiviation d’un facteur d’environ 100 pour un CEM I par rapport à une eau faiblement minéralisée, comme le montrent les profils en calcium sur la figure I-13.

Figure I-13 : Profil de calcium au MEB d’une pâte de CEM I à E/C=0,5 [Carde et al. 1996]

Le tableau I-3 présente une comparaison entre différents modes de dégradation accélérée. Il montre que la dégradation par immersion du béton dans du nitrate d’ammonium est la plus efficace. La profondeur de dégradation obtenue est de 4 mm pour une durée de 4 jours là où les deux autres méthodes nécessitent une durée plus longue pour des profondeurs plus faibles. La dégradation est similaire à la lixiviation simple avec une cinétique en racine carrée du temps. On obtient des profondeurs dégradées importantes beaucoup plus rapidement qu’avec les autres méthodes.

Tableau I-3 : Comparaison de 3 essais de dégradation [Tognazzi 1998]

Dans ce programme, la méthode utilisée pour accélérer la dégradation des bétons sera celle de l’immersion dans du nitrate d’ammonium 6M. Cette technique a déjà été utilisée de nombreuses fois et a prouvé son efficacité. Les nombreux retours d’expérience démontrent qu’elle est la plus pertinente.

Influence des granulats sur le processus de lixiviation

Les granulats, dans une matrice cimentaire, sont considérés comme inertes. Les conditions locales d’hydratation sont modifiées à cause de la présence d’excès d’eau dû à l’effet de paroi ou au ressuage. Ceci entraîne une augmentation du volume des pores, où les hydrates peuvent se former, et un gradient de teneur en eau sur une épaisseur de quelques dizaines de micromètres autour des granulats [Maso 1980]. On appelle cette zone l’auréole de transition (ou ITZ pour Interface Transition Zone)

Cette zone à l’interface pâte-granulat peut entraîner une augmentation des propriétés de transfert à cause de sa porosité plus forte mais la présence de granulats introduit aussi d’autres effets :

- l’effet de paroi des granulats conduit à une densification dans la zone de la pâte extérieure aux auréoles de transition, ce qui engendre un ralentissement des transports dans cette zone ;

- le granulat constitue un obstacle interposé sur le cheminement du transport de matière dans la pâte, ce qui complique le processus de diffusion des ions dans les pores vers l’environnement en introduisant une tortuosité supplémentaire. Ceci conduit à une réduction de la vitesse de transport rapportée au volume de pâte ;

- les granulats sont moins déformables que la matrice cimentaire. Il en résulte une concentration de contraintes dans la zone d’interfaces, avec pour conséquence un risque de microfissuration plus élevé.

L’étude de l’influence de la teneur volumique en granulats sur les propriétés de transfert montre que les bétons peuvent être 100 fois plus perméables que les pâtes de ciment. Lobet [Lobet 2003] a montré que le coefficient de diffusion effectif diminue avec la teneur en granulat jusqu’à ce qu’elle atteigne 50%. Au-delà, le coefficient de diffusion semble être indépendant de cette teneur.

L’épaisseur de la zone de transition (ITZ) dépend de la finesse des grains de ciment uniquement et non pas de la taille des granulats [Bentz et al. 1992]. L’épaisseur de l’ITZ est de l’ordre de 10 à 30 micromètres.

Influence des fibres sur la dégradation

Nous n’avons pas trouvé à ce jour d’études faites sur la dégradation par lixiviation de matériaux cimentaires renforcés de fibres métalliques. Un granulat, dans de la pâte de ciment, entraine la création d’une auréole de transition. On peut en déduire qu’il en sera de même autour des fibres. La porosité dans cette zone se trouvant modifiée, il est probable que la diffusion y soit différente, ce qui conduirait à une modification de la dégradation. Ce point sera discuté dans la partie I-3.2.2, traitant de l’influence des fibres sur les propriétés de transfert.