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Limites Planétaires vs ACV : un changement de perspective sur les enjeux environnementaux, et

I. Quels enjeux environnementaux ?

3. Apports des Limites Planétaires à l’analyse des enjeux environnementaux

3.4. Limites Planétaires vs ACV : un changement de perspective sur les enjeux environnementaux, et

La possibilité d’intégrer les limites planétaires en ACV a très rapidement été perçue par les « ACVistes » comme particulièrement intéressante, car elle permettrait de comprendre dans quelle mesure le produit ou le service analysé contribue au dépassement (ou non) des seuils établis par les limites planétaires.

Ainsi, les travaux de recherche sur ce sujet apparaissent comme la suite logique des travaux sur la normalisation. Les chercheurs en ACV semblent avoir commencé à se pencher sur la question dès la publication du document fondateur sur les limites planétaires (Rockström, Steffen, Noone, Persson, Chapin Iii, et al., 2009). A ce titre, une première publication a été repérée dès 2012 avec l’article écrit par Tuomisto (Tuomisto, Hodge, Riordan, & MacDonald, 2012).

La mise en regard des méthodologies ACV et des méthodologies des Limites Planétaires nécessite d’établir une grille de correspondance, comme le montre laFigure 9 ci-dessous.

Figure 9 : Correspondance entre les catégories d’impact en ACV et les Limites Planétaires Les niveaux de dépassement ne sont pas cohérents entre les deux colonnes car ils sont issus de sources différentes (Steffen et al. vs Bjoern et al.).

3.1.1. Aires de protection

Le point de vue traditionnel des analyses de cycle de vie se focalise sur trois aires de protection, à savoir la santé humaine, l’environnement biotique et l’environnement abiotique. L’objectif des études ACV consiste à évaluer les impacts environnementaux dans ces trois aires de protection.

Le point de vue des Limites Planétaires est différent : il s’agit de conserver le système Terre dans un état similaire à l’Holocène, dans la mesure où cela assure un environnement favorable pour l’humanité. L’humanité est donc intégrée au système Terre, et doit éviter de pousser, par ses émissions et consommations, le système dans un état différent de l’Holocène, qui est le seul dont on soit sûr qu’il permette l’épanouissement de nos civilisations. Il s’agit donc de développer une approche fondée sur le principe de précaution.

Dans cette perspective, il n’y a plus qu’une seule aire de protection, le système Terre. Une ACV menée dans le cadre des Limites Planétaires laisse donc de côté certaines des thématiques associées aux aires de protection classiques et non couvertes par les Limites Planétaires – en particulier la consommation de ressources minérales et fossiles, et les impacts relatifs à la santé humaine. Des propositions ont été formulées par certains chercheurs pour étendre le cadre conceptuel des Limites Planétaires à ces deux familles d’impacts.

- Ressources

La problématique de l’épuisement des ressources n’est pas considérée dans les Limites planétaires, car elle ne constitue pas en soi une cause de basculement du système Terre dans un nouvel état. Cependant, certains chercheurs ont exploré la possible définition d’une limite planétaire pour cette catégorie d’impact, notamment Bijloo & Kerkhof (Bijloo & Kerkhof, 2015), dans un projet pour les producteurs d’énergie. Le principe retenu pour étendre le concept de limite Planétaire aux ressources consiste à préserver la même quantité de ressources minérales d’une génération à l’autre. La limite est donc déterminée par :

Changement clima que

Intégrité de la biosphère

Changement de l’usage des sols

Consomma on d’eau Acidifica on océanique Flux biochimiques Aérosols Ozone stratosphérique En tés nouvelle Géné que Fonc onnelle Phosphore (P) Azote (N)

Limites planétaires Catégories d’impact (ACV)

Santé humaine

Qualité des écosystèmes

Ressources

Changement clima que Écotoxicité Radia ons ionisantes

Usage des sols Consomma on d’eau Acidifica on Eutrophisa on terrestre Eutrophisa on eau douce Eutrophisa on marine Forma on de l’ozone photochimique Poussières (RIPM) Appauvrissement de la couche d’ozone Toxicité humaine Appauvrissement des ressources

Aires de protec on (ACV)

Une couverture « par nature » de la qualité des écosystèmes, avec un impact sur la santé humaine, mais un point

aveugle sur les

ressources

Un concept de « Limites

Planétaires » décliné par les ACVistes sur

les indicateurs

d’impact ACV

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Etude SCORE LCA n° 2016-01 – Rapport Final

 D’une part, la quantité de ressources secondaires issues du recyclage,

 D’autre part, les réserves minérales que le progrès technique permet d’exploiter alors qu’elles n’étaient pas exploitables auparavant – ce dernier point nous semble moins robuste que le premier.

Une première application a été réalisée dans le cadre du projet One Planet Thinking pour le secteur énergétique, avec une quantification des limites pour un petit nombre de ressources (Bijloo & Kerkhof, 2015).

− Santé

Certains auteurs (Whitmee et al., 2015) proposent le concept de Santé Planétaire, c’est-à-dire des limites sociales, fondées sur l’idée que la santé humaine dépend de systèmes naturels en harmonie. Ce cadre englobe à la fois les aspects sociaux et environnementaux. Pour l’améliorer, des progrès doivent être faits sur la robustesse des indicateurs de bien-être humain, qui couvriraient entre autres dimensions l’intégrité des systèmes naturels. Il s’agit à ce stade d’un cadre conceptuel, sans application opérationnelle immédiate.

3.1.2. Positionnement des Limites Planétaires par rapport aux quantités manipulées en ACV

Le schéma reproduit ci-dessous met en évidence le positionnement des Limites Planétaires dans le schéma de calcul de l’analyse de cycle de vie. Il est clair que les cadres conceptuels ne correspondent pas : là où l’ACV sépare selon une logique de cause à effet les flux de l’inventaire, le calcul des indicateurs d’impact (midpoint) et les indicateurs de dommage (endpoint), les Limites Planétaires proposent de considérer simultanément des thématiques relevant de ces trois domaines. C’est ce que permet de comprendre la

Figure 10 suivante, où les Limites Planétaires sont repérées en jaune.

Cela implique en particulier que les différentes Limites Planétaires ne sont pas indépendantes, et que leur évaluation pourrait, dans une logique d’ACV, conduire à des double-comptages : un épandage

d’engrais phosphatés peut conduire au déversement de phosphore dans les eaux marines,

endommager les écosystèmes aquatiques et in fine atteindre l’intégrité de la biosphère : trois limites planétaires sont ici concernées – en italique.

Figure 10 : Chaines d’impact et écosystème terrestre dans le contexte des limites planétaires (Ryberg, Owsianiak, Richardson, & Hauschild, 2016)

Par ailleurs, les modèles soutenant la comptabilité ACV d’une part et l’évaluation des Limites Planétaires de l’autre ne sont pas systématiquement compatibles. Plus précisément, les Limites Planétaires s’appuient sur des modèles d’état, caractérisés par une émission continue et stable, par opposition aux ACV qui mesurent l’impact d’une émission ponctuelle. Il est possible d’établir un lien entre les deux, mais la relation n’est pas triviale et dépend de chaque Limite Planétaire. C’est un point important à considérer si l’on souhaite combiner les deux approches. Cela se traduit le plus souvent par des unités différentes, mais même lorsque les unités sont similaires, il est possible que les modèles sous-jacents ne soient pas compatibles.

Une autre différence entre les cadres conceptuels de l’ACV et des limites planétaires concerne le traitement de l’incertitude : le principe de précaution prévaut dans la délimitation du terrain de jeu planétaire, par définition même du concept de « terrain de jeu planétaire », ou « Safe Operating Space », alors que l’ACV s’appuie plutôt sur des valeurs moyennes. Cette différence reste néanmoins mineure nous semble-t-il, du fait d’une pratique généralement « conservatrice » de l’ACV : afin de ne pas risquer de sous-estimer les impacts, ceux-ci sont le plus souvent approchés par majoration.

3.1.3. Différenciation spatiale

La question de la différenciation spatiale constitue déjà un sujet de recherche en ACV, elle est essentielle pour les impacts locaux et régionaux, notamment la consommation d’eau, l’eutrophisation,

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l’usage des sols ou la biodiversité. Cette même question surgit de façon encore plus impérative dans le cadre des limites planétaires, car la notion de dépassement s’entend, pour ces impacts, à une échelle locale ou régionale. Un article récent de Bjoern (Bjørn, Margni, Roy, Bulle, & Hauschild, 2016) montre sur l’exemple de l’acidification terrestre comment le concept de Limite Planétaire peut être décliné au niveau local, et conclut à la non soutenabilité des 45 centrales thermiques étudiées sur le territoire des Etats-Unis.

3.1.4. Allocation du terrain de jeu

Pour faire le lien entre une limite planétaire, qu’elle soit globale ou locale, et l’ACV d’une activité ou d’un produit, il faut allouer la capacité définie au secteur ou au produit considéré. De nombreux travaux se penchent sur cette question. L’article de Sandin (Sandin, Peters, & Svanström, 2015) propose 4 principes possibles pour cette allocation :

 Droit individuel : « the equal per capita »  Droit historique du segment de marché régional  Droit historique des individus dans une population

 Dette historique des individus dans une population (opposé du précédent).

L’enjeu d’une telle allocation est évidemment politique et dépasse le champ d’action des chercheurs en ACV et en écologie. Ces chercheurs se mobilisent cependant pour affirmer le premier principe de « droit individuel » (Bjørn, Diamond, Owsianiak, Verzat, & Hauschild, 2015).

3.1.5. Adaptations méthodologiques en cours

Il est possible de classer la littérature scientifique relative à l’utilisation croisée de l’ACV et des Limites Planétaires en trois catégories :

- Une approche rapide qui consiste à combiner les deux sans trop se soucier de la compatibilité des indicateurs

 Le plus : Rapidité

 Le moins : Un manque de cohérence et donc des problèmes identifiés sur la valeur et les conclusions

 Exemple : Tuomisto (Tuomisto, Hodge, Riordan, & MacDonald, 2012)

- Une approche consistant à traduire les Limites Planétaires dans les indicateurs classiques de l’ACV, c’est-à-dire utiliser les limites planétaires comme valeurs de pondération et de normalisation :

 Le plus : Cohérence

 Le moins : Les impacts locaux et régionaux sont encore à compléter

 Exemples : Bjorn (Bjørn & Hauschild, 2015), JRC (Sala, Benini, Crenna, & Secchi, 2016)

- Une approche consistant à définir de nouveaux indicateurs pour élaborer une nouvelle méthode d’impact, fondée sur les limites planétaires (définition d’une nouvelle aire de protection et d’une batterie d’indicateurs d’impact dérivés des limites planétaires) :

 Le plus : Cohérence

 Le moins : la couverture des autres aires de protection est à compléter

 Exemple : Ryberg (Ryberg et al., 2016)

La première approche ne présente pas d’intérêt à ce stade, les deux dernières approches sont clairement à privilégier. Elles nécessitent toutes les deux des travaux de recherche pour élaborer des outils robustes et convaincants. C’est la seconde approche qui est aujourd’hui la plus opérationnelle, elle est explorée plus avant dans la section suivante.

La carte d’idées ci-dessous propose une lecture des thématiques et des orientations retenues dans la littérature sur le sujet ACV et limites planétaires.

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Etude SCORE LCA n° 2016-01 – Rapport Final

Icare & Consult, Gingko21 - Août 2017 Page 47 sur 111

Limites Planétaires & ACV

Com patibilité forcée

Tuom isto, Hodge, Riordan, & MacDonald (2012)

encore très imparfait

Doka (2016)

Proposition de coeffi cients de normalisation pour les Limites Planétaires

Lim ites Planétaires intégrées à l'ACV

Bjørn et Hauschild (2015) Coeffi cients de norm alisation dérivés

des Lim ites Planétaires Bjørn, Hauschilde, Røpke et

Richardson (2015). Better, but good enough? Indicators for absolute environm ental

sustainability in a lif e cycle perspective

Etat des lieux des centrales électriques aux Etats- Unis avec géolocalisation des im pacts

Bjørn, Margni, Roy, Bulle, et Hauschild (2016). A proposal to m easure absolute environmental sustainability in life cycle assessm ent

Proposition d'une méthode m athématique générique pour transform er les indicateurs d'im pacts relatif s de l'ACV en indicateurs d'im pact absolus grâce aux Limites Planétaires JRC (Sala, Benini, Crenna, & Secchi, 2016)

ACV intégrée aux Lim ites Planétaires

Ryberg et al. (2016)

Proposition d'indicateurs construits à partir des lim ites planétaires

Ex tension méthode

Ressources Papier avec énergéticien

Santé

Il ex iste un papier théorique de Whitm ey et al. (2015) intitulé "Safeguarding human health in the Anthropocene epoch: report of The Rockefeller Foundation–Lancet Com m ission on planetary health".

Approche m acro/ nationale

Roos, Zam ani, Sandin, Peters, Svanström (2016). A life cycle assessm et (LCA)- based approach to guiding an industr y sector towards sustainability: the case of the Swedish apparel sector

L'article s'appuie sur 2 études ACV et social LCA pour combiner ACV et Lim ites Planétaires. Cependant, il n'y a pas de point

méthodologique sur l'utilisation

des Lim ites Planétaires. On apprend que Weidem a et Brandão (2015) critiquent les Lim ites Planétaires dans leur "ex tended abstract" intitulé "Ethical Perspectives on planetary boundaries and LCIA" pour une présentation au SETAC 2015.

Environm ental Lim its and Swiss Footprints Based on Planetary Boundaries Hy Dao et al. Planetary Boundaries for SD From a conceptual perspective to national applications by Um berto Pisano and Gerald Berg er

Lim ites Planétaires, Politique et Engagem ent Hors ACV Steff en et al. (2015)

Fang, Heijungs, De Snoo (2015). Understanding the com plem entary linkages between environm ental footprints and planetary boundaries in a f ootprint- boundary environm ental sustainability assessm ent fram ework

Papier théorique proposant de défi nir un seuil max adm issible et une valeur décrivant l'état actuel pour les Limites Planétaires. Problème entre les unités/ la métrique commune(s) et les

correspon dances. Plusieurs échelles : locale (ACV), régionale et nationale (Mix électrique), globale (I/ O LCA).

Bierm ann (2012) Galaz, Bierm ann, Crona et al. (2012) Sandin, Peters et Svanström (2015) ? Bjørn, Diamond, Owsianiak, Verzat, et Hauschild (2015). Strengthening the Link between Life Cycle Assessm ent and Indicators for Absolute Sustainability To Support Developm ent within Planetary Boundaries

Proposition pour convaincre les décideurs : "Time is ripe for linking LCA to EB"

Lim ites Planétaires, Défi nitions

Hors ACV Rockström, Steff en, Noone, Persson, Chapin, et al. (2009)

Steff en et al. (2015)