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CHAPITRE 2 TECHNIQUES DE MESURE

D) Le déphasage des produits de distorsion acoustique (Echodia)

D.2) Limites de la mesure Shift-OAE

L’inconvénient principal et connu des PDA est leur limite d’apparition. En effet, il n’est plus possible d’obtenir des OEA lorsqu’une perte auditive neurosensorielle est supérieure à 40 dB HL. De plus leur enregistrement est très sensible au bruit extérieur puisque l’utilisation de sons purs continus ne permet pas d’utiliser des intensités supérieures à 76 dB SPL. Ainsi la réponse acoustique est facilement masquée par le bruit environnant ou électrique du lieu de mesure. C’est d’ailleurs cette contrainte qui a empêché l’utilisation du Shift-OAE pour l’étude clinique HeMAPIC où les patients sont inclus en salle de neuroréanimation, un milieu bruyant et chargé en dispositifs médicaux de surveillance. Les deux inconvénients cités ci-dessus ont également écarté l’utilisation des OEA du bloc opératoire et de l’étude clinique VASCOCH, où une grande partie des patients ont une perte auditive importante.

Finalement, la technique des Shift-OAE a été uniquement utilisée pour l’étude clinique GMaPIC. Elle a ainsi pu permettre une comparaison de l’évolution de sa phase avec celle du potentiel microphonique cochléaire (PMC). Le Shift-OAE est censé être plus important que celui en PMC puisque les modifications de pression influenceront la transmission de la réponse deux fois en OEA (trajet aller et retour à travers l’oreille externe et l’oreille moyenne) contre une en PMC puisque la réponse est rayonnée électriquement par la peau et captée à travers les tissus (Figure 32) (Buki et al, 2009). Cependant, l’étude a surtout révélé un problème de répétabilité de la mesure Shift-OAE au cours du temps.

Le problème rencontré est la dérive très nette de la phase du Shift-OAE chez certains patients sans raison physiologique apparente, lors d’une même mesure ou d’une mesure à l’autre (Figure 33), en particulier dans les CAE de petit volume. Le bouchon ou l’embout de la sonde, utilisé pour cette technique ne prend pas forme en s’ajustant dans le CAE comme celui utilisé en DPMC et ne permet donc pas d’assurer l’occupation d’un même volume dans le CAE d’une mesure à l’autre ou de s’adapter de manière immuable lors d’une même mesure (le bouchon peut faire de petits déplacements). Pour certains patients, notamment avec des petits CAE où le conduit forme difficilement un cylindre parfait, plusieurs positions d’équilibre sont possibles avec un même bouchon d’OEA (Figure 33, sujet volontaire). Il est fort probable que cela affecte la phase des sons dans le CAE, puisque son volume entre la sortie de la sonde et la membrane du tympan n’est pas maintenu à une valeur stable et constante. Ce phénomène de déviation de la phase est d’autant plus important puisque l’enregistrement des PDA mesure deux fois la

phase qui dérive : celle qui provient du stimulus sonore qui excite les CCE et se répercute sur leurs réponse et celle lors de la réception de la réponse acoustique dans le CAE (Figure 32b). La correction à appliquer pour neutraliser la dérive de phase consiste donc à soustraire deux fois la dérive du stimulus (Équation 7). Cependant, le stimulus et la réponse cochléaire n’ont pas exactement la même fréquence ce qui fait que l’hypothèse d’un facteur 2 est approximative.

CORRECTION Φ = - 2 * (2Φ F1 – Φ F2) avec Φ la phase

Équation 7: Correction sur les primaires du Shift-OAE

Un sujet volontaire qui reproduit facilement les déviations de la phase à travers deux positions d’équilibre du bouchon dans un CAE étroit a été comparé à un modèle informatisé d’impédance mécanique de l’oreille et modélisant l’influence de la PIC (Avan et al, 2000) (basé sur le circuit analogique électroacoustique équivalent à l’oreille humaine publié par Zwislocki (1962)) afin de valider l’explication et la solution à la dérive de phase des PDA. Ce modèle suppose que la phase des stimuli parvenant à la cochlée et des réponses de celle-ci revenant au CAE varie avec les paramètres de masse et d’élasticité du volume d’air enfermé entre la sonde et le tympan. La prédiction par le modèle du déphasage engendré est représentée en bleu sur la Figure 34, lors de la variation des paramètres cités ci-dessus pour tenir compte de petits déplacements de la sonde de mesure dans le CAE. Il montre bien un effet de phase important et qui évolue en fonction de la fréquence appliquée. Les résultats de déphasage du sujet volontaire est représenté en orange (Figure 34). La fréquence F1 de mesure des PDA n’a pu être variée qu’entre 700 et 1600 Hz ; en dessous de 700 Hz l’oreille ne répond pas suffisamment pour que l’effet soit mesurable et au-delà de 1600 Hz, l’appareil de mesure atteint ces limites. Néanmoins, dans le profil spectral où le modèle et le cas contrôle ont pu être comparés, l’accord entre mesure et prédiction est excellent (Figure 34) et confirme notre hypothèse que la phase du son dans le CAE est extrêmement sensible à la mise en place de l’embout de la sonde. La Figure 33 montre à travers deux cas cliniques (un patient inclus dans GMaPIC mesuré tous les trois mois pour un glioblastome et un test de changement de posture chez un patient pour le diagnostic de la maladie de Menière) et un sujet volontaire (modification volontaire de la position de la sonde dans le CAE), l’efficacité de la correction utilisée a posteriori des enregistrements. Les mesures de phase non corrigées (en vert) décrivent dans ces trois exemples des dérivations anormales évidentes alors que les mesures de phases corrigées (en rouge) des PDA rétablissent l’allure de phase attendue sans retirer l’effet pathologique. Ainsi dans le cas du glioblastome, la phase augmente à chaque consultation puisque la tumeur a progressé en volume ; la maladie de Menière est bien diagnostiquée dans le cas suivant après correction par l’exagération du déphasage au changement de posture et par des valeurs équivalentes dans une même position. Enfin le sujet volontaire (sans problème particulier ou de pression intracrânienne) illustre le problème de positionnement de la sonde en la retirant / remettant sept fois d’affilé : la correction égalise la phase autour d’une valeur stable pour correspondre à un état normal et fixe de la PIC.

Figure 34: Comparaison du modèle mathématique de déphasage des PDA dans un conduit étroit selon la fréquence F1 avec un cas contrôle

Cependant, cette correction n’est pas fiable à 100% puisque son application a été dans de rares cas plutôt à l’origine de résultats incohérents. En effet, le patient représenté dans la Figure 35 a maintenu un état stable aussi bien sur les IRM qu’à travers ses signes cliniques tout en long de son suivi, ce qui laisse préposer de résultats stables du déphasage des PDA, comme c’est le cas en mesure non corrigée (en vert). Toutefois, la mesurée corrigée de la phase des PDA (en rouge) montre quant à elle une augmentation du déphasage au fur et à mesure des consultations et une évolution totalement absurde « en chute libre » lors de la deuxième consultation (26/02). Il est alors fort probable que la cause de la déviation de la phase ne soit pas uniquement due aux raisons développées plus haut et qu’un autre élément perturbateur ou concomitant lors de cette mesure rentre en jeu.