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Les limites des garanties statutaires relatives à la sécurité financière des

1.2 L ES RÉGIMES JURIDIQUES FRANÇAIS ET CANADIEN : LES SYSTÈMES JUDICIAIRES ET LES

2.2.1 Les régles juridiques liées à la fonction judiciaire en Haïti: les limites des

2.2.1.2 Les limites des garanties statutaires relatives à la sécurité financière des

Les principes relatifs à la sécurité financière des juges et tribunaux sont aussi limités. En effet, le budget alloué à la magistrature, à la lecture de la Loi du 17 novembre 2007 portant Statut de la Magistrature, est contrôlé par le gouvernement qui peut utiliser le salaire pour nuire au processus décisionnel des juges. En effet, l’article 49 de ladite Loi reconnait au ministre de la justice le pouvoir de suspendre le versement du salaire suite à une simple recommandation de l’organe administratif du pouvoir judiciaire. Notons la disposition de l’article 49 :

Le traitement est la contrepartie du service assuré par le Magistrat. En cas de carence dûment constatée aux obligations de service ou de résidence, le Ministre de la Justice [...] sur le rapport du chef de juridiction pour un juge ou du Commissaire du Gouvernement pour un Officier du Ministère Public, ou sur le rapport de l’inspection judiciaire suspend le versement sur recommandation du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire455.

De même, à considérer de nombreuses autres données recueillies sur le terrain, les critiques liées aux lacunes de ces dispositions sont légion. Pour le juriste Bernard H.Gousse, l’influence du gouvernement sur le salaire des juges et tribunaux est telle que l’apparence d’indépendance qui leur est exigée est un mythe dans la pratique judiciaire. En ce que le salaire ne s’inscrit pas réellement dans le cadre d’une politique salariale et de plan de carrière. Puis, le traitement, les congés et la retraite s’apparentent à une faveur plutôt qu’à un droit si bien que des magistrats de même calibre se voient octroyer un traitement ou un

congé différent456. Ledit juriste déclare dans ce sens:

« Le budget alloué n’est pas administré de manière autonome par le système judiciaire, mais directement par le Ministère de la Justice. Ce qui dans la pratique offre chaque fin de mois le spectacle désolant de magistrats faisant l’antichambre au local du Ministère de la Justice pour recevoir leurs appointements .»457

De l’avis du juriste Rigaud Duplan, les magistrats favorisés méprisent certains recours en habeas corpus pour plaire au gouvernement ou ils refusent de statuer lorsqu’ils

455Loi du 17 novembre 2007, préc., Note 51, art.49. 456 B.H.GOUSSE., préc., Note 420, p.4.

l’impliquent directement458. Pour l’Unité de Lutte contre la corruption, le juge n’est guère libre s’agissant de décider dans les affaires qui mettent en cause les membres du gouvernement et les groupes économiques dont le poids est tel qu’ils lui inspirent la peur

quand ils lui viennent de décider contre eux459.

De même, le budget dont il s’agit, à lire le juriste Bernard H.Gousse dans l’extrait qui suit, est loin d’égaliser celui octroyé à la Police si bien que la misère matérielle est patente dans les différents tribunaux du pays:

Les salaires des juges ne leur permettent pas d’assumer avec prestige leurs fonctions, surtout vis-à-vis de leurs auxiliaires que sont les policiers. Il en résulte un manque de respect dont les informations se font occasionnellement l’écho. Le relèvement occasionnel des salaires ne s’inscrit pas dans le cadre d’une véritable politique salariale ni dans celui de la gestion des carrières. Et la distribution de matériel roulant s’apparente alors davantage à de faveurs qu’à un effort généralisé et structuré d’équipement460.

Pour la MICIVIH, les juges touchent non seulement irrégulièrement leur salaire, mais ce modique salaire constitue des situations matérielles et financières difficiles. Ils se voient obligés de se livrer parfois à l’enseignement pour tenir bon, c’est-à-dire la seule activité

professionnelle extérieure qu’ils sont autorisés à exercer au vœu de la Constitution461.

Aussi, ils touchent parfois irrégulièrement le salaire et sont contraints même de recourir à la grève pour faire passer leur revendication. En fait, une grève, réalisée par le personnel judicaire en 1995, a handicapé le fonctionnement de la magistrature, retardant les assises

criminelles en cours462.

De même, l’Association Nationale des Magistrats Haïtiens (ANAMAH) a tenu plusieurs journées de grève au mois de juillet 2014 pour exiger au gouvernement de payer aux juges

458R.DUPLAN., préc., Note 424.

459Unité de Lutte Contre la Corruption, Rapport final, Gouvernance et Corruption en Haïti, Résultat de l’Enquête Diagnostique, sur la

Gouvernance, Janvier 2007, p.26 à 27, en ligne à : http://ulcc.gouv.ht/wp-content/uploads/2014/02/Enquete-corruption-et-gouvernance- 2005.pdf (Site consulté le 20 avril 2015).Lire aussi Michel-Ange BONTEMPS, La justice haïtienne : structure, défis et perspectives, dans Congrès 2008 de Lomé : le rôle du droit dans le développement économique, Institut international de Droit d’Expression et d’inspiration Françaises (IDEF), Port-au-Prince, 2008, en ligne à : http://www.institut-idef.org/La-justice-haitienne-structure.html (Site consulté le 21 avril 2015).

460 Id.

461MICIVIH.,préc., Note 378, p..20 à 21. 462 Id., p.21.

les 24 mois d’arriérés de salaire et s’étaient donc enregistrés les mêmes problèmes dans le

système judiciaire463.

Comme le démontre le juriste Jean-Robert Fleury, les conditions de travail du juge sont délicates que, même après avoir reçu le salaire après cette longue durée, il est obligé d’attendre encore longtemps avant de se voir payer les arriérés de salaire de plusieurs tranches. Encore plus:« il doit, de surcroit, entreprendre des démarches auprès des autorités tant exécutives que législatives pour que ce qui lui revient de droit soit enfin débloqué »464. Ce qui fait dire plus loin audit juriste que l’indignation des juges est telle

qu’ils ne sont pas psychologiquement en état de travailler véritablement à une justice saine

et équitable465 et il postule:

Ce qui porte certains d’entre eux à la réflexion, c’est lorsqu’ils croisent, soit dans les couloirs des tribunaux, soit dans les rues des personnes sans titre ni qualité qui jouissent des biens et des richesses de l’État en raison de leur appartenance politique. L’ironie du sort, le magistrat, toge sur le bras et dossiers en main, reste sur le trottoir et dans l’insécurité, attend très souvent une moto pour se rendre à la maison466.

Le juriste Bernard H.Gousse ajoute que« L’état d’indigence et de sujétion du système judiciaire enhardit certains élus[…]affranchis de toute retenue pour se livrer sur personne de magistrats à des actes d’humiliation jusqu’ici malheureusement impunis »467. Ledit

juriste poursuit en faisant la considération suivante:

Si nous plaidons aujourd’hui pour une justice indépendante, et si nous lamentons de son état actuel de dépendance, ces préoccupations et ces inquiétudes dépassent le cadre des professions judiciaires. Elles intéressent le tissu social en son entier et influent sur le respect des citoyens pour la magistrature. Si la magistrature est perçue comme assujettie, elle n’est plus regardée comme la voie normale et régulière de la résolution des conflits; la paix sociale s’en trouve menacée. Une justice perçue comme influençable politiquement […] constitue un épouvantail éloignant les investisseurs méfiants. […]la garantie de leurs propriétés physiques et intellectuelles ne bénéficiant pas d’une protection essentielle : la prévisibilité des décisions judiciaires468.

463Alter presse.,préc., Note 406.

464 Jean-Robert FLEURY., « Les magistrats sont-ils bien traités?», Au palais de justice, « Le Nouvelliste » publié le 18 février 2014,

http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/articleprint/127704. 465 Id.

466 Id.

467 B.H.GOUSSE, préc., Note 420, p.5. 468Id.

Aussi, cette problématique, au regard de plusieurs, n’est guère favorable à l’exercice normal du processus décisionnel des juges et tribunaux. Selon le juge d’instruction Heidi Fortuné, cité par HF/HPN, le budget octroyé à la justice haïtienne est inapproprié, étant le plus bas dans tout le continent américain. Les conséquences sont néfastes si les juges ne peuvent pas faire les enquêtes pour que le procès puisse tenir dans le délai raisonnable. Ledit juge conclut en effet: « Et si vous croyez que c’est du flanc, allez dans les Tribunaux, vous voyez la misère dans laquelle travaillent les juges. »469 Le gouvernement, ajoute-t-il, est le véritable responsable si la Constitution fait du Président

de la République le garant de la bonne marche des institutions470. Il renchérit:

« Et le principal responsable de cet état de fait n’est autre que le Président de la République, le chef de l’État, garant de la bonne marche des institutions, qui n’a en réalité, veillé ni au respect ni à la stabilité ni au fonctionnement régulier du Pouvoir judiciaire comme lui exige la Constitution.»471

La justice haïtienne, pour reprendre le juge Fortuné, est en jeu et elle tient encore grâce à la détermination de certains magistrats qui gardent leur dignité. Ce faisant, « ils portent le système judiciaire à bout de bras, par passion, mais leur moral est au plus bas. Et cela ne crée pas un environnement de travail très stimulant pour assurer une saine justice ».472 Il

est impertinent qu’un magistrat puisse disposer de la modique somme touchée irrégulièrement pour acheter des stylos et du papier selon l’auteur. Et que, du fait du non- renouvellement des mandats des juges, les dossiers ne soient pas traités dans le délai

requis473. Et « le pire, c’est que certaines personnes se sentent confortables et

parfaitement en phase avec le ressenti de cette situation délirante»474. Il complète en déclarant:

« Les conditions de travail sont, on ne plus, déplorables, et c’est sûr que le responsable de la sécurité du Palais National, le chauffeur du Premier Ministre et d’autres affiliés du régime touchent mieux qu’un juge d’instruction.»475

469 Heidi FORTUNÉ, Haïti-justice :un magistrat dénonce les mauvaises conditions de travail des juges, HF/HPN, 04 avril 2014, en ligne à : «http://www.hpnhaiti.com/site/index.php?option=com_content&view=article&id=12313%3Ahaiti-justiceun-magistrat-denonce-les- mauvaises-conditions-de-travail-des-juges&catid=38%3Ajustice-a-securite&Itemid=9» (Site consulté le 19 avril 2015).

470Id. 471Id. 472Id. 473Id. 474 Id. 475Id.

La MICIVIH476 et le juriste Bernard H.Gousse477croient que les juristes les plus compétents boudent la magistrature alors que la fonction judiciaire, par sa complexité et sa sensibilité, nécessite du juge une certaine qualification pour l’exercer. Les juges sont aussi vulnérables aux influences pernicieuses des justiciables et des groupes sociaux et certains hommes d’affaires, lorsque leur intérêt est en jeu, leur font des offres énormes pour avoir leur faveur. De même, tel que le montre le RNDDH, beaucoup de magistrats incompétents font l’affaire des politiciens qui les ont nommés au point que le système judiciaire est pris en otage478.

Ce qui fait, à comprendre Bernard H.Gousse, l’objet de tout un questionnement:

Comment s’étonner alors que la magistrature n’attire pas les plus brillants étudiants en droit? D’où les reproches d’incompétence qui lui sont parfois adressés. Comment s’étonner encore de la vulnérabilité de certains juges aux sollicitations malhonnêtes de certains justiciables? Dans ces circonstances, je ne m’empressais pas de parler de juges corrompus. Mais, pour reprendre le titre du roman Tahar Ben Jelloun, je plaindrais l’homme corrompu par les nécessités de la vie, rompu par les menaces d’éviction de son logement, rompu par le spectre de l’expulsion scolaire de ses enfants479.

Les magistrats devront bénéficier d’une véritable carrière qui les mette à l’abri des foucades d’un Exécutif capricieux. Il est à nos yeux souhaitables que leur carrière ne soit pas abandonnée aux seules mains de l’Exécutif. Leur sécurité salariale, matérielle et sociale devra être assurée[…]480.

Des mesures urgentes, comme l’explique ledit juriste dans l’extrait qui suit, s’imposent s’agissant de donner une autre image à la justice haïtienne et ces mesures doivent être susceptibles d’assurer la responsabilité des juges quant à la manière dont ils exercent leur fonction:

« La qualité de la justice sera l’aune à laquelle sera mesurée notre civilisation. Elle sera le critère nous permettant d’être qualifié ou d’être éliminé de l’aventure du XXIe siècle Car, ainsi que le prévient le titre d’un rapport du Sénat français : « Justice sinistrée, démocratie en danger.»481 476 MICIVIH, préc., Note 378, p.31. 477 B.H.GOUSSE, préc., Note 420. 478RNDDH., préc., Note 380. 479 Id. 480 B.H.GOUSSE, préc., Note 420. 481 Id.

Intervenant en effet, lors du Congrès de Lomé, sur cette problématique, l’auteur Michel- Ange Bontemps a démontré que la solution consisterait inévitablement à initier une réforme articulée autour de deux grands axes : soit lutter contre la corruption et l’influence politique. Car la trop faible rémunération favorise l’ingérence des membres du gouvernement dans les affaires judiciaires et est incompatible avec un corps de justice ayant l’apparence d’indépendance. D’où un extrait de son intervention:

[…]la justice haïtienne s’est dotée d’une structure en vue de s’acquitter de sa mission fondamentale qui est celle de trouver un dénouement aux litiges opposant les membres de la collectivité. Cependant, la réalisation d’une pareille mission se heurte à des obstacles majeurs et suscite l’émergence des actes revendicatifs; d’où la promotion de l’idée de réforme judiciaire […]482.

Des mesures urgentes s’imposent pour remédier à ce problème, à considérer d’autres commentaires, si la corruption tend à s’institutionnaliser dans la pratique judiciaire. De nombreux fonctionnaires, selon le Rapporteur du Département d’État, paient des frais divers pour porter les juges à considérer leur dossier au point que la justice est à la portée

des plus offrants483. Dans ce sens, Crisis Group a en effet noté que: «L’accès à la justice

est un bien rare et précieux. Seule une minorité de citoyens peut[…]payer des pots-de vin qui, en raison des distorsions du système, sont nécessaires pour assurer un procès équitable »484.

La corruption entraîne, selon le juriste Jaêl Destin, la compromission des intervenants dans le système judiciaire en ce que :« tout est une question de réseautage et de clientélisme qui l’emportent malheureusement sur le droit »485. Et la justice n’inspire pas confiance au justiciable qui accepte d’être victime de l’injustice au lieu de recourir aux tribunaux. Parfois,:« il préfère de loin cette situation au lieu de se lancer dans les labyrinthes

482 Michel-Ange BONTEMPS, La justice haïtienne : structure, défis et perspectives, dans Congrès 2008 de Lomé : le rôle du droit dans

le développement économique, Institut international de Droit d’Expression et d’inspiration Françaises (IDEF), Port-au-Prince, 2008, en

ligne à : http://www.institut-idef.org/La-justice-haitienne-structure.html (Site consulté le 21 avril 2015). 483 DÉPARTEMENT D’ÉTAT., préc., Note 429, p.13.

484CRISIS GROUP., préc., Note 386, p.8.

485Jaêl DESTIN, « La réforme de la justice en Haïti : un avenir prometteur? », Conseil canadien de droit international, p.2, en ligne à : «www.pfhs.ch/.../12.01.09%20CCDI%20(Ca)%20Réforme%20justice.pdf» (Site consulté le 25 avril 2015).

procéduraux sans issues; ou encore dans un processus dont les résultats sont déterminés d’avance»486. Notons l’affirmation de RNDDH relative à cet état de fait:

« Le fait par le système judiciaire d’être bourré de Raquetteurs semble faire l’affaire de tout le monde, sauf des justiciables qui se perdent dans ce labyrinthe d’individus à la moralité douteuse qui se donnent à cœur joie à l’extorsion d’argent.»487

À comprendre encore l’Unité de lutte contre la Corruption, le système judiciaire haïtien est, dans ce cadre, fortement défavorable à la bonne gouvernance. Pour dire autrement, l’administration de la justice n’est pas saine et équitable, c’est-à-dire le processus décisionnel, tel qu’il est exercé, est injuste et exposé à la manipulation des intérêts non moins puissants. En fait, les données recueillies permettent de conclure qu’un pourcentage élevé des ménages et des dirigeants d’entreprises méfient la justice du fait que les

tribunaux sont manipulés par le gouvernement et des groupes économiques puissants488.

Enfin, les règles relatives au traitement des juges et tribunaux haïtiens sont lacunaires en ce que, posées à défaut des principes constitutionnels pertinents, elles soumettent le processus décisionnel des juges à l’ingérence des pouvoirs publics si bien que le budget est contrôlé par le Ministre de la justice. Ce dernier participe à la préparation du budget, en discute au Parlement et est chargé de payer aux juges. De même, beaucoup de juges sont exposés à l’influence pernicieuse des fonctionnaires de l’État et des groupes sociaux, qui les corrompent au détriment du droit des citoyens à une justice équitable. Il est, dans ce contexte, incertain de nous attendre au respect de l’indépendance administrative si, d’évidence, toute atteinte à l’une des trois conditions de l’indépendance des juges et tribunaux est susceptible de nuire aux autres.

2.2.1.3 Les limites des garanties statutaires relatives à l’indépendance institutionnelle