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Les limites des garanties constitutionnelles et statutaires liées à

1.2 L ES RÉGIMES JURIDIQUES FRANÇAIS ET CANADIEN : LES SYSTÈMES JUDICIAIRES ET LES

2.2.1 Les régles juridiques liées à la fonction judiciaire en Haïti: les limites des

2.2.1.1 Les limites des garanties constitutionnelles et statutaires liées à

Les principes constitutionnels et statutaires relatifs à l’inamovibilité des juges et tribunaux haïtiens sont limités au point que les conditions de révocation, de renouvellement de

mandat et d’affectation nouvelle prévue à l’article 177416 (voir ces conditions dans la note

de bas de page) de la Constitution de 1987 sont, comme le démontrent plusieurs, inopérantes dans la pratique judiciaire. En effet, selon la constitutionnaliste Mirlande Manigat, l’inamovibilité est le véritable problème de la fonction judiciaire. En ce que cette dernière est liée à la fonction politique au point que les juges sont, non seulement, nommés par le Président de la République, mais il a aussi le pouvoir de les révoquer dans

certains cas malgré l’affirmation à tort et à travers de leur inamovibilité417. Ce qui fait dire

à ladite constitutionnaliste que: «Le cordon ombilical qui relie les deux pouvoirs subsiste, dans la tradition haïtienne comme ailleurs et le débat [...] se poursuit au sujet des relations souvent trouble entre le glaive et la toge [...] »418. Encore, la Commission

Préparatoire affirme que:« […]dans le contexte haïtien, l’étroitesse des liens entre le gouvernement et l’organisation judiciaire transforme les cours supérieures en institutions politiques […].»419

416Id., art.177. Notons que cet article, confirmé par le législateur, porte, en termes de conditions de révocation, de renouvellement de mandat et d’affectation, que les juges des cours et tribunaux supérieurs sont inamovibles. « Ils ne peuvent être destitués que pour

forfaiture légalement prononcée ou suspendus qu’à la suite d’une inculpation. Ils ne peuvent être l’objet d’affectation nouvelle, sans leur consentement, même en cas de promotion. Il ne peut être mis fin à leur service durant leur mandat qu’en cas d’incapacité physique ou mentale permanent dûment constatée.

417M.MANIGAT., préc., Note 10. 418 Id.

De même, à comprendre l’ancien Ministre de la justice Bernard H.Gousse, la procédure de révocation des juges est loin de rendre effectives les garanties de transparence établies dans la Constitution. Car, les règles liées à l’inamovibilité sont inefficaces si bien qu’il est

difficile de faire carrière dans la magistrature420. Et l’auteur ajoute en effet:

« L’exécutif prend aussi des libertés avec le principe de l’inamovibilité des magistrats et l’on ne s’étonne pas de voir des magistrats arrêtés sur l’ordre du Ministre de la Justice au mépris du Code d’Instruction criminelle. »421

La Constitution, selon encore la constitutionnaliste Mirlande Manigat, allait compliquer cette problématique par son souci de démocratiser les mécanismes de nomination et de révocation. Autrement formulé, elle a exposé davantage la fonction judiciaire aux ingérences des pouvoirs publics en reconnaissant le rôle des Collectivités territoriales pour proposer des candidats au niveau des troisième, deuxième et quatrième degrés de la

hiérarchie judiciaire422. Or, coiffées par le Ministère de l’intérieur, ces entités locales sont

susceptibles d’être redevables au gouvernement qui aura éventuellement davantage de

marges de manœuvre pour nommer et révoquer les juges à son gré423.

Plusieurs ont avancé des idées allant dans le même sens. En effet, selon le juriste Rigaud Duplan, la dépendance des juges des autorités de nomination et politiques est lié au fait qu’il appartient au Sénat de la République et aux Collectivités territoriales de soumettre la

liste des candidats au Président de la République424.

De l’avis de la MICIVIH, les ingérences des pouvoirs publics dans les affaires judiciaires sont à la fois directes et indirectes parce qu’elles résultent des membres du gouvernement ou d’autorités locales représentées par des délégués ou des vice-délégués. Et ils

420 Bernard H. GOUSSE, « L’indépendance judiciaire en Haïti », article produit sous la rubrique du programme de l’IFES, pour le Soutien à la Société Civile pour l’indépendance judiciaire p..4., en ligne

à «http://www.sistemasjudiciales.org/content/jud/archivos/notaarchivo/619.pdf» (Site

consulté le 20 novembre 2012). 421Id., p.4.

422M.MANIGAT .,préc., Note 10.

423COMMISSION PRÉPARATOIRE, préc., Note 50.

424 Rigaud DUPLAN, « Problème du dysfonctionnement du système judiciaire haïtien », en ligne à : « http://www.hrdf.org/oldwebsite/Forum- Juridique/rigaud.htm » (Site consulté le 03 septembre 2013).

interviennent dans les affaires judiciaires aux fins de la protection des intérêts de leurs

partisans425. En effet, ladite Mission conclut:

[…]le 12 novembre 1995, le Président Aristide avait destitué de leurs fonctions le Doyen des Cayes et le Commissaire d’Aquin et procédé à la nomination de leurs remplaçants.[…] certains des témoignages recueillis sont à l’effet de justifier ces changements par des pressions provenant de la population alors que d’autres identifient le délégué départemental comme étant à la source.426

Comme l’expliquent d’autres observateurs, la précarité de la fonction judiciaire en Haïti est un fait si bien que les juges et tribunaux ne sauraient être en mesure d’exercer, en toute quiétude, leur processus décisionnel. En effet, selon le juriste Ivan Verougstraete, « […] Haïti en est un exemple, les juges de paix pouvant être révoqués à tout instant et les mandats des juges n’étant pas forcément renouvelés »427. La MUNISTHA, comme le

montre le Secrétaire général, a donné un soutien important au CSPJ pouvant lui permettre de prendre des mesures appropriées pour limiter les atteintes des pouvoirs publics au principe de l’inamovibilité. Toutefois, les mesures prises n’ont guère débouché sur le résultat escompté en ce que :« des juges de paix continuent néanmoins d’être nommés au mépris de la nouvelle réglementation»428.

Pour le Rapporteur du Département d’État des États-Unis sur les pratiques en matière des Droits de l’Homme, le nombre de nominations et de révocations arbitraires dans le régime

juridique est tel qu’il est difficile de faire carrière dans le système judiciaire429. En fait,

plusieurs transferts ou révocations peuvent illustrer ces ingérences indues des membres du gouvernement dans les affaires judiciaires. En effet, selon ledit Rapporteur, le magistrat Jean R. Sénatus a déclaré avoir été révoqué, en septembre 2012, pour avoir refusé d’avancer des dossiers à caractère politique, suite aux pressions exercées par les membres

du gouvernement, notamment le Ministre de la justice430.

425 MICIVIH., préc., Note378, par.26. 426 Id., par.27.

427 I.VEROUGSTRAETE, préc., Note 87, p.176.

428 CONSEIL DE SÉCURITÉ, Rapport du Secrétaire général des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti, Nations Unies, Distr.général, S/2013/493, 19 août 2013, par.34, p.9, en ligne à : «www.minustah.org/pdfs/rapportsSG/Rapport%20SG_2013-1.pdf » (Site consulté le 15 avril 2015).

429 DÉPARTEMENT D’ÉTAT DES ÉTATS-UNIS, Rapport sur les pratiques des pays en matière des droits de l’homme, Bureau pour la démocratie, les droits de l’homme et le travail, p.13, en ligne à : «photos.state.gov/…/haiti/Haiti/%202012%20HRR%20-%20french- 001… »(Site consulté le 25 mars 2015).

De même, comme l’explique Crisis Group, trois juges de la Cour de cassation ont été

renvoyés par le gouvernement Boniface-Alexandre (2004-2006431). Mais, le nombre de

révocations le plus élevé dans la magistrature, comme le constate la MICIVIH, remonte aux années 1995 et 1996. En effet, 16 magistrats ont été révoqués sur la seule région de Port-au-Prince, la moitié à Petit-Goâve et 13 sur les 23 magistrats évoluant à Anse-veau. Puis, on a assisté, au début de l’année 1996, à une vague de révocations de juges de Paix

dans le département du Nord432. S’agissant de l’effet de ces révocations sur le

fonctionnement du pouvoir judiciaire, la Mission a fait la remarque suivante:

« Ce nombre anormalement élevé de révocations, lié à l’incertitude qui pèse sur le statut des magistrats, a plongé le pays dans une situation d’instabilité judiciaire préjudiciable à la crédibilité de l’institution. Nombre sont en effet les juges révoqués par simple lettre du Ministre de la Justice, mettant fin à leur fonction, sans que la décision ne soit motivée. »433

La nomination de trois juges à la Cour de cassation en 2011434et les transferts des Doyens

de Cayes en 2013435 illustrent encore plus cette problématique qu’ils ont défrayé la

chronique. S’agissant d’abord de la nomination des juges, la législature antérieure, à comprendre la Commission de Justice du Sénat, n’a pas respecté les modalités liées à la fonction des juges de la Cour de cassation au point que ces juges sont nommés

arbitrairement436. D’où sa note: «Me Arnel Alexis, alors président de la Cour de cassation,

était âgé de 74 ans au moment de sa désignation. Ce qui est contraire au prescrits légaux qui fixe l’âge à 65 ans.»437 La nomination de ces juges pose problème parce que les noms

de certains juges ne figuraient pas sur la liste que le Sénat a soumise au Président de la République. Pourquoi, ladite Commission a fait la demande suivante au Président de la République dans le cadre des mesures nécessaires pour corriger de telles irrégularités:

Article 2: Le Sénat de la République demande que le Président de la République, garant de la bonne marche des institutions, adopte avec promptitudes toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme à ces violations manifestes qui tendent à mettre en cause les principes

431CRISIS GROUP., préc., Note 386, p.14. 432MICIVIH., préc., Note 378, p.13. 433Id.

434Le Sénat de la République. Parlement haïtien, Résolution du Sénat autour de la nomination des six(6) membres de la Cour de

cassation, en ligne à : «http://www.leparlementhaitien.info/lesenat/fr/article/38-travaux-parlementaires/resolutions-adoptees/137- resolution-du-senat-autour-de-la-nomination-des-six-6-membres-de-la-cours-de-cassation.html»(Siteconsulté le 01 mai 2015).

435HL/HaïtiLibre, Le Ministère de la Justice transfère des juges sans l’approbation du CSPJ, en ligne

à : http://www.haitilibre.com/article-6612-haiti-justice-le-ministere-de-la-justice-transfert-des-juges-sans-l-approbation-du-cspj.html.

(Site consulté le 12 août 2013). 436 Id.

fondamentaux de la séparation des pouvoirs et l’équilibre institutionnel garantis par la Constitution438.

Article3 :Le Sénat de la République recommande au Président de la République de faire retrait des nominations en cause, soit celles des citoyens Kesner Michel THERMEZI, Frantzi PHILEMON et Anel Alexis JOSEPH, pour pouvoir reprendre le processus de nomination dans de bonne condition, conformément aux prescrit de la Constitution et de la loi439.

Aussi, Gervais Charles, l’ancien Bâtonnier de Port-au-Prince, comme le rapporte « Le Nouvelliste », l’un des quotidiens les plus réputés en Haïti, n’a pas caché sa déception. Pour lui, « La nomination du Président de la Cour de cassation est un parachutage qui risque de vassaliser le pouvoir judiciaire. […]ce choix de Michel Martelly est techniquement légal, mais il ne respecte pas le principe de carrière des juges […] »440.

Une telle nomination est problématique que ledit juriste dit craindre que le juge Anel Alexis Joseph ne soit redevable au Président de la République qui l’a nommé. Dans ce sens, il poursuit:

« Anel, c’est un juge que j’apprécie énormément. Je ne porte aucun critique contre le personnage. Mais, il ya déjà six juges qui siègent à la Cour de cassation. Je pensais que le Président allait sortir l’un de ces six juges. La nomination du juge Anel Alexis Joseph au poste de la Cour de cassation est un parachutage. »441

Le juriste Gervais Charles se veut inquiet si le juge Anel Alexis préside à la fois la Cour de cassation et le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ). Car sa nomination, à le comprendre, peut être liée à une stratégie du gouvernement pour réduire le rôle du CSPJ en compétence et en budget. Et ledit juriste a bien vu en pensant que:« Un président du CSPJ qui ne doit rien au pouvoir serait plus à même de demander la restitution des pouvoirs usurpés par le ministère de la Justice »442. Notons aussi cette idée du juriste Gervais Charles:

« Nous voulons un pouvoir judiciaire indépendant, comme le dit la Constitution. Si vous avez un CSPJ influençable par son président, cela veut dire que le troisième pouvoir, encore une fois, est sous l’obédience de l’exécutif. »443

438 Id.

439 Id.

440Robenson ALPHONSE, « Un Président parachuté à la Cour de cassation », Gervais Charles-Courtoisie « Le Nouvelliste », 7/10/2011 12 :32 :00, en ligne à «https://haiti3d.wordpress.com/page/13/ » (Site consulté le 20 avril 2014).

441 Id. 442 Id. 443 Id.

Le parachutage du juge Anel A.Joseph, pour reprendre ledit juriste Gervais Charles, a été inévitable en ce que la procédure adoptée par le Sénat dans le cadre de la proposition des noms était biaisée, empêchant le recrutement des meilleurs candidats. En effet, cette perception de l’auteur est, à notre avis, pertinente si même un juge de paix s’était porté candidat et que le Président de la République n’a pas tenu compte de la proposition que lui avait faite le Pouvoir législatif. D’où la considération du juriste Gervais Charles:

« Ou bien on écarte la liste totalement, ou bien on l’accepte .Il n’est pas question de choisir

deux noms…Ce n’est pas uniquement la Cour de cassation qui est en jeu. Il s’agit aussi du CSPJ, la direction du pouvoir judiciaire.»444

Comme le démontre aussi le Sénateur Stevenson Benoit, le Président de la République a abusé de sa fonction et tous les trois juges nommés sans recommandation du Sénat sont

indésirables au sein de la Cour de cassation445 . Aussi, la composition de la Cour de

cassation, comme le constate le RNDDH, est pose problème qu’elle est faite complètement

en dehors de la procédure établie par la Constitution446 . Notons en effet cette lecture de

RNDDH:

«Les juges Kesner M.Thermezi et Frantz Philémon sont nommés sans que leur nom ait été portés sur une quelconque liste soumise par le sénat de la République. Il convient de rappeler que pour les six (6)postes vacants, les choix du Président sur un juge par liste de trois (3) personnalités proposées pour chacun des postes spécifiques vacants447».

Quant aux transferts ou révocation des juges, le juge Marx Elibert les trouve fortement contraires à la loi parce que le gouvernement empiète sur la compétence du Conseil Supérieur du Pouvoir judiciaire. Pour dire autrement, lui seul, au regard dudit juge, est

habilité à prendre conformément à la loi de telles décisions448. Et le président de

l’Association Nationale des Magistrats haïtiens, le juge Durin Duret Junior, reconnait que ces révocations sont sans doute liées à une stratégie du gouvernement pour contrôler tout

444Id.

445Nancy ROCK., « Des sénateurs réclament la démission de 3 juges à la Cour de Cassation », [No.10 septembre 2012] Metropolis, LLM/Radio Métropole Haïti, p.1, en ligne à : «http://www.metropolehaiti.com/metropole/full_poli_fr.php?id=21354» (Site consulté le 14 juillet 2013).

446 RNDDH., préc., Note 380, p.20. 447 Id.

l’appareil judiciaire449. Et il soutient:« Depuis que je suis président de l’ANAMAH, je

constate que [...] le pouvoir exécutif cherche à contrôler l’appareil judiciaire [...] »450.

Ce lien inextricable entre le pouvoir judiciaire et le gouvernement, à comprendre l’opinion de la Commission Préparatoire, est lié à l’adoption d’un système inquisitoire qui consiste en l’utilisation du droit comme outil de contrôle social. Or, ce système qui est lié au modèle napoléonien, «articule le corps judiciaire en une série d’échelons dans une structure pyramidal analogue à celle de l’armée»451. La fonction judiciaire, fondée sur ce modèle, est énormément en danger au point que ladite Commission postule:

Elle reprend la logique des cours militaires où la promotion du subalterne dépend essentiellement du supérieur. Il en résulte une concentration des pouvoirs à l’échelon supérieur. Puisque dans un système inquisitoire tout juge est aussi procureur, l’image du juge s’estompe au profit de sa fonction policière. Directeur des enquêtes policières, il devient à la fois juge et partie452.

L’inamovibilité se pose enfin, dans le régime juridique haïtien, comme la seule condition essentielle de l’indépendance des cours et tribunaux judiciaires prévue par la Constitution, et que le législateur a confirmée en définissant le cadre d’application des balises de l’indépendance judiciaire. Cependant, elle n’est, à considérer globalement les données recueillies sur le terrain, qu’un vain mot dans la pratique judiciaire parce que les détenteurs du pouvoir politique, dotés des prérogatives discrétionnaires en termes de sélection et de révocations arbitraires, s’y attaquent fortement. Delà les conditions liées à la carrière du juge sont bafouées au point qu’il est impossible d’assister à la distribution d’une justice de qualité dans le pays, c’est-à-dire, conscient qu’il peut être arbitrairement révoqué, le juge

est loin d’être psychologiquement en état de rendre la justice453. Ainsi, le Procureur Dupin

a bien vu en déclarant que « un juge qui craint pour sa place ne rend pas la justice ».454Et

le droit des citoyens à une justice équitable est, à notre avis, d’autant plus en jeu quand ce juge ne serait pas financièrement en sécurité. Voilà le contexte dans lequel nous abordons les lacunes des principes statutaires liés à la sécurité financière.

449 Id.

450 Id. 451 Id.

452 COMMISSION PRÉPARATOIRE, préc., Note 50.

453Olivier PLUEN, Thèse de Doctorat, Novembre 2011, p.29, en ligne à : « https//docassas.u-paris2.fr/nuxeo/site/esupervisions/0c5bec53- 71c8-4569-91b3-3f5e0f4e0143// »(Site consulté le 23 juillet 2014).

454 Dupin, Séance du 26 novembre 1830, Chambre des députés. Cité par Marcel ROUSSELET, Histoire de la Magistrature française des

2.2.1.2 Les limites des garanties statutaires relatives à la sécurité financière des juges