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2.1 Définitions conceptuelles de l’ACP

2.1.5 Limites de l’ACP

L’utilisation de l’ACP peut être accompagnée d’un lot de défis, particulièrement en regard de la prise de décision partagée. À titre d’exemple, dans des situations d’urgence, il n’est pas toujours possible de consulter les patients concernant leurs perspectives sur leur état de santé et leurs préférences de traitement (Charles et al., 1997). De plus, certains problèmes de santé peuvent être moins propices à la prise de décision partagée où le traitement approprié est plus évident, comme dans le cas du diabète de type 1, où l’insuline est un traitement essentiel.

Bien qu’un intérêt croissant pour une interaction collaborative entre le soignant et le patient ait été observé au cours des dernières années, certains patients ne désireraient pas participer activement au processus décisionnel de traitement (Robinson et Thomson, 2001). Ainsi, le soignant doit ajuster son approche et faire preuve de flexibilité pour répondre aux besoins particuliers de chaque patient. Il s’agit d’une question importante que le soignant doit se poser dans un contexte d’ACP, à savoir à quel degré le patient souhaite participer à la prise de décision. À la lumière de cette réalité, l’équipe de Epstein (2005) souligne qu’une « flexibilité éclairée » devrait être considérée comme une qualité fondamentale de l’ACP. Les auteurs utilisent le terme « flexibilité éclairée » afin d’en faire la distinction avec un simple acquiescement aux demandes du patient. Ces derniers suggèrent même une légère modification à la définition de l’ACP de McCormack et McCance (2006) afin qu’elle soit davantage opérationnelle. Ainsi, le soignant devrait favoriser le partage du pouvoir et des responsabilités du patient en l’impliquant dans les différents choix à un degré qu’il souhaite, sans pour autant tomber dans une complète passivité.

L’utilisation de l’ACP doit être considérée à la fois comme un trait, c’est-à-dire un style général de pratique (McWhinney, 1995), mais également comme un état, c’est-à-dire caractérisé par des comportements spécifiques à une interaction particulière (Roter et al.,

1987) et donc influencé par les facteurs liés au patient (Epstein et al., 2005; McCormack et McCance, 2006; Mead et Bower, 2000a). Encore une fois, le soignant qui favorise généralement l’utilisation de l’ACP ne doit pas aller contre les valeurs et les intérêts du patient, mais collaborer avec ce dernier, ce qui inclut également d’être capable d’ajuster son approche selon le niveau d’implication désiré du patient. Néanmoins, comme il a été mentionné précédemment, un soignant ne peut accepter une complète passivité et peut encourager le patient ou encore négocier avec lui, dans le but de l’impliquer davantage car au final, il s’agit de sa maladie. Selon Brearly (1990), l’équilibre idéal entre le degré d’activité du patient et celui du soignant devrait donc dépendre du problème de santé, du contexte ainsi que des préférences et du potentiel de participation du patient. En ce sens, une étude a démontré l’importance de la congruence des attitudes des patients et de leurs soignants concernant la prise de décision partagée (Cvengros et al., 2007). Dans cette recherche, les auteurs avaient recruté 16 médecins de soins primaires et 146 de leurs patients qui ont complété des questionnaires concernant le type d’approche qu’ils préféraient. Parmi les questionnaires utilisés, notons le Patient-Practitioner Orientation Scale (PPOS) et le Multidimensional HLOC Scale. Les résultats ont démontré que les patients qui avaient une attitude similaire à celle de leur médecin étaient davantage satisfaits et avaient une meilleure adhésion aux recommandations de traitement. Cette dernière étude suggère donc qu’une attitude du patient congruente avec celle du médecin optimiserait les retombées cliniques encourues par l’ACP. Devant ces évidences, l’idée de « flexibilité éclairée » a donc été considérée dans la définition de l’ACP qui a été utilisée dans la présente thèse. Il importe cependant de mentionner que le PPOS est un questionnaire qui a été conçu et validé pour une population de professionnels de la santé (Krupat et al., 1999; 2000) et que le Multidimensional HLOC Scale a été élaboré et validé dans une population de patients (Wallston et al., 1978). Dans le cadre de cette étude, les auteurs ont adapté ces questionnaires afin que les médecins et les patients puissent les remplir, mais la validité n’a pas été analysée. Or, la validité et la fidélité d’un instrument sont propres à une population et un contexte particulier. Il est donc possible que que l’adaptation de ces questionnaires à d’autres populations que celles pour lesquelles ils ont été conçus puisse influencer la validité et la fidélité.

En somme, bien que les soignants reconnaissent que l’ACP puisse être une stratégie bénéfique pour les patients, force est de constater que sa réelle utilisation comporte son lot de défis et qu’aucune recette universelle ne peut être utilisée, puisque les soignants doivent avoir un style flexible et s’adapter à leurs patients (Epstein et al., 2005; Krupat et al., 2000). Il a d’ailleurs été démontré que le type d’approche adoptée par les soignants pouvait varier de façon intra-individuelle, mais également inter-individuelle (Bensing, 2000; Zandbelt et al., 2006). Or, cette variation n’est pas toujours synonyme d’adaptation, puisque certains soignants utilisent une ACM et ce, même avec des patients qui préfèrent une ACP (Cvengros et al., 2007). Ainsi, même si un intérêt grandissant pour l’ACP a été remarqué depuis quelques années (Dale et al., 2008), bon nombre de soignants demeurent davantage orientés sur la tâche et impliquent peu leurs patients dans la consultation (Bensing et al., 2006). Des évidences soulignent un autre phénomène inquiétant, puisque qu’un déclin de l’utilisation de l’ACP au cours de la formation académique des résidents en médecine a été constaté (Haidet et al., 2002). Il est donc pertinent de s’attarder aux différents facteurs pouvant influencer le type d’approche privilégiée par le soignant afin de trouver des solutions pour contrer cette sous-utilisation.