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4. DISCUSSION

4.2. Des limites de l’étude

4.2.1 … A propos du contenu de la base K2 et des biais de confusions possibles

Une limite majeure de notre sujet d’étude venait sans aucun doute du caractère limitant des informations contenues dans la base de données K2. Vu la thématique abordée, mêlant cancer et survie, d’autres variables étaient essentielles afin d’éviter au maximum que nos résultats ne soient entachés de biais de confusion. En effet, il existe dans la littérature sur les cancers de nombreux facteurs pronostiques avérés qu’il convenait d’obtenir dans le but d’ajuster dessus nos deux types histologiques : la catégorie socio-professionnelle, les expositions telles que l’alcool et le tabac, la classification TNM (voire le stade tumoral), les stratégies thérapeutiques effectuées, l’état de santé général (comme l’échelle de Karnofsky), l’évaluation des comorbidités (notamment l’indice de Charlson), le degré de différenciation des cellules tumorales, et d’autres facteurs de risque... Les résultats sur la survie obtenus entre nos deux entités histologiques ne tiennent malheureusement pas compte, par exemple, du fait que la classification TNM (ou le stade) puisse avoir été différente entre nos sous-population CE et ADK, et donc, que ce qui a été observé puisse avoir été entaché de cette différence basale de sévérité entre nos deux sous-groupes, masquant de fait la réalité de l’effet. De la même manière, les différentes stratégies thérapeutiques, basées en partie sur le TNM, ne comportent pas les mêmes risques en terme de mortalité ni les mêmes complications, et il est légitime de penser que la survie d’un groupe par rapport à un autre puisse varier selon les stratégies adoptées. L’absence des variables de consommations de tabac et d’alcool pose le même problème quant à la méconnaissance du degré d’exposition aux carcinogènes. En

72 résumé, l’absence de ces nombreuses variables, essentielles pour l’ajustement dans l’étape de modélisation, nous impose de considérer les résultats obtenus sur l’histologie avec prudence, potentiellement à risque de biais de confusion.

Une grande partie de ces variables manquantes ne figure pas dans les données stockées par les registres car elles ne sont pas considérées comme obligatoires pour l’enregistrement des cancers de l’œsophage. Néanmoins, les registres peuvent avoir accès à ces informations cliniques, à la condition que celles-ci soient mentionnées dans les dossiers médicaux (papiers ou informatisés). Toujours est-il que ce retour au dossier patient, par les registres participants, aurait nécessité beaucoup plus de temps, de moyens logistiques et humains (et donc de financement !), ce qui a contraint les investigateurs initiaux du projet K2 à n’exploiter que les données classiquement enregistrées. De fait, nous avons donc dû composer avec cette même limite.

4.2.2 … Concernant la méthodologie épidémiologique retenue

Plusieurs aspects méthodologiques peuvent être soumis à questionnement, en particulier le délai de 2 mois utilisé pour distinguer les cancers synchrones et métachrones ainsi que notre décision d’exclure de l’analyse les cancers synchrones. Il existe des divergences à propos de ce délai, et ce depuis les premières discussions abordant la notion de cancers primaires multiples dans les années 1970 [30], si bien qu’encore de nos jours, le délai fixé par les études est variable, à 2 mois, 4 mois, 6 mois voire 1 an. Dans notre cas, ce délai de 2 mois, purement arbitraire, a été choisi afin de suivre la ligne méthodologique du projet K2-France qui définissait ainsi les cancers synchrones. Une raison de l’existence de ce critère de non- inclusion est qu’il est possible que, dans le cadre du bilan d’extension pré-thérapeutique d’un cancer, on puisse diagnostiquer un autre primitif plus ou moins fortuitement et que le délai rapproché entre les deux découvertes tumorales ne nous permette pas de déterminer lequel est apparu en premier [34]. La décision d’exclure les cancers synchrones nous a fait perdre 401 patients, ce qui n’était pas négligeable comparé au nombre total d’individus (n=2045, soit 19,6% d’exclus). Si le choix s’était porté sur un délai de 6 mois, la perte aurait été de 487 patients (soit 23,8% du total). Cette décision handicapante a certainement eu un retentissement sur la puissance de l’étude, et peut être aurait-il fallu effectuer une analyse en conservant les cancers synchrones simplement afin de comparer les résultats avec et sans. L’absence de différence rencontrée avec les synchrones vis-à-vis de notre objectif principal aurait de ce fait conforté les résultats trouvés « sans ».

73 Du point de vue de la survie, il existe différents moyens de l’estimer : à travers la survie globale (ou brute) ou à travers la survie nette. La première méthode correspond à la proportion de patients survivants observés à un temps t quelle que soit la cause de décès (que ce soit le cancer étudié ou autre chose), tandis que la seconde méthode correspond à la proportion de patients survivants que l’on observerait à un temps t si la seule cause de décès était le cancer étudié. Cette survie nette n’est pas directement observable et nécessite d’avoir recours à une table de mortalité de la population de référence. Si la première méthode est plus simple à interpréter et s’estime à l’aide de la méthode de Kaplan-Meier, la seconde est un peu plus délicate à calculer et nécessite d’autres méthodes, telles que la méthode de Pohar-Perme (2011). Dans tous les cas, cette distinction ne possédait pas d’intérêt vis-à-vis de nos objectifs, qui reposaient exclusivement sur les résultats de l’analyse multivariée de Cox, non concernée par ces considérations. Seuls les taux de survie auraient été concernés.

Le choix d’avoir choisi deux modèles dès le protocole, à 1 an puis à 5 ans, vient du fait que ces deux laps de temps se complétaient, entre avantages et inconvénients. Le modèle à 1 an a permis de visualiser l’effet précoce de l’histologie sur la survie d’un second cancer diagnostiqué à ses débuts, avec en arrière-pensée le fait qu’un SCP de l’œsophage était susceptible de montrer un taux de létalité important en un laps de temps très court, et en effet, le taux de « décès » dans le modèle était important et correspondait à 57,3% de l’ensemble des individus de l’analyse. En revanche, il était moins pratique de comparer les résultats trouvés à ceux d’autres études qui, la majorité du temps, utilisent un délai de survie de 5 ans. D’autre part, nous avions besoin de voir l’effet de l’histologie sur la survie avec un recul temporel plus important. Ainsi, nous avons effectué un modèle de Cox à 5 ans. Or le taux de décès à l’intérieur du modèle était cette fois-ci de plus de 90%, ce qui nous a fait nous interroger sur la stabilité d’un modèle aussi déséquilibré en terme d’individus vivants (codés 0) vs décédés (codés 1). Le modèle à 1 an paraissait plus fiable statistiquement parlant, mais celui à 5 ans permettait de mieux voir les effets de l’histologie dans le temps et d’initier des comparaisons possibles avec d’autres études.

4.2.3 … En rapport avec le fonctionnement des registres participants

D’autres limites étaient liées à des difficultés inhérentes aux règles d’enregistrement des cancers. Les registres de cancer en France suivent les règles instituées par le CIRC et qui permettent d’homogénéiser les enregistrements en vue de faciliter les comparaisons entre les registres des différents pays. Mais ces règles n’ont pas été initialement conçues pour l’étude

74 de l’incidence des seconds cancers primitifs. Dans le cas par exemple des organes pairs, les règles du CIRC recommandent de rattacher les cancers primitifs métachrones de l’organe controlatéral au premier cancer, à condition toutefois que l’histologie soit similaire (dans le cas contraire, il est comptabilisé indépendamment). Ainsi, en suivant cette règle, dans le cas d’un premier cancer du sein, la majorité des cancers survenant en controlatéral (et souvent d’histologie similaire) ne seront pas comptabilisés en tant que seconds cancers, biaisant ainsi le nombre réel de cancers secondaires développés dans cette population féminine à risque. Par ailleurs, certains registres de cancer dont l’enregistrement des cas a démarré plus récemment que les autres, notamment après 1989, étaient plus susceptibles de considérer à tort un deuxième cancer comme étant un premier cancer si la date d’incidence du premier était antérieure à la date de création du registre, sous-estimant ainsi le nombre réel de cancers secondaires primitifs. Heureusement, la plupart des registres de l’étude K2-France disposaient d’au moins 5 ans de recul (délai moyen entre un premier cancer et l’apparition d’un second), avec des périodes d’enregistrement débutant entre 1975 et 1983. Seuls les registres de la Manche (crée en 1994) et de Lille-Métropole (en 2010) font office d’exception. Cependant, ces deux registres ont contribué pour 5,5% et 0,4% respectivement, ce qui limitait l’amplitude de ce possible biais.

Une autre limite inhérente aux registres était l’absence potentielle d’informations liée au phénomène de migration de certains patients en dehors de la zone couverte par les registres, un patient pouvant développer un premier cancer enregistré dans la zone du registre concerné, déménager dans un autre département et y développer un deuxième cancer qui ne sera pas enregistré par le registre du département initial. Toutefois, d’après les données de l’INSEE issues du recensement, la moyenne annuelle du taux de migration hors département était estimée à 3,1% entre 1999 et 2004. Ce taux variait selon les classes d’âges des personnes recensées, de 6,9% chez les 20-29 ans à 1,2% chez les personnes de 60 ans et plus [34]. Notre cohorte ayant une moyenne d’âge au diagnostic du 1e cancer de 61,4 ans, nous pouvons raisonnablement penser que le biais pouvant être engendré par ce phénomène migratoire était limité.

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