• Aucun résultat trouvé

Des lieux principaux de divertissements dans les quartiers de Bianjing

2.1 Le berceau du théâtre sous les Song du Nord – la capitale de l’Est

2.1.1 Des lieux principaux de divertissements dans les quartiers de Bianjing

Au milieu des Song du Nord (pendant le règne de l’empereur Renzong), le système urbain consistant à séparer les marchés et les quartiers résidentiels tend à décliner au sein de la capitale. L’urbanisation dans les grandes villes favorise l’essor du commerce. Sous l’effet de la croissance démographique, d’innombrables commerces inédits émergent à Bianjing, et les citadins demandent plus de divertissements. Les représentations payantes résultant de l’accroissement économique et démographique, apparaissent donc en Chine au XIe siècle en réponse aux attentes des citadins concernant la vie culturelle. Cette partie portera ainsi sur deux types de lieux faisant fonction de théâtre public dans la ville de Bianjing.

Certains lieux des quartiers urbains qui ne sont plus entourés de murs et qui s’affranchissent du cloisonnement et du couvre-feu, se spécialisent dans le divertissement. Ces quartiers s’appellent les « enclos-aux- tuilettes » (瓦舍 wa she) ; car « on pouvait les installer et les défaire aussi aisément que les tuiles d’un toit »81. Au quotidien, les citadins s’y rendent

souvent, recherchant des plaisirs, et les spectacles se multiplient. Les acteurs et les jongleurs ont besoin d’emplacements clos afin d’assurer leur profit financier. De ce fait, des « esplanades à balustrades » (勾欄 gou lan) sont construites, et les spectateurs, dans un lieu encordé par des barrières de bois durant les représentations, doivent payer les spectacles à l’entrée.

50

Meng Yuanlao témoigne, dans La Capitale de l’Est, que les enclos-aux-tuilettes et les esplanades à balustrades foisonnent à Bianjing. Au début du XIIe siècle jusqu’à la fin des Song

du Nord, huit grands enclos-aux-tuilettes sont construits dans la capitale :

Nom des enclos-aux-tuilettes Localisation

Enclos de la Nouvelle Porte (新門瓦 Xin men wa)

Côté ouest à l’extérieur de la Porte des Moineaux Rouges (朱雀門 Zhu que men) Enclos des Sang

(桑家瓦子 Sang jia wa zi) Enclos Moyen

(中瓦 Zhong wa) Sud-est de la ville

Enclos Interne (里瓦 Li wa) Enclos du Pont des Zhu

(朱家橋瓦 Zhu jia qiao wa) A l’extérieur de la Porte Cao ancienne 舊曹門 (Jiu cao men) Enclos de l’Ouest du Préfet

(州西瓦 Zhou xi wa)

Ouest de la Porte Liang 梁門 (Liang men)

Enclos de la Porte de la Défense de la Paix (保康門瓦 Baokang men wa)

Sud du Temple du Chancelier 相國寺 (Xiang guo si)

Enclos du Nord du Préfet (州北瓦 Zhou bei wa)

Extérieur de la Porte Fengqiu 封丘門 (Feng qiu men)

Par exemple, Meng Yuanlao indique dans le 2ème chapitre, trois enclos-aux-tuilettes dans

la Rue du Pavillon du Coin Est (東角樓街巷 dongjiao lou jiexiang) :

« Au sud de la rue est installé l’Enclos des Sang, au nord, figure l’Enclos Moyen et l’Enclos Interne. A l’intérieur, il y a une cinquantaine d’esplanades petites ou grandes à balustrades, comme l’Enclos Moyen, le Chapiteau du Lotus, le Chapiteau des Pivoines, l’Enclos Interne, le Chapiteau de Yaksha et le Chapiteau de l’Eléphant. Ceux-ci sont les plus grands et peuvent accueillir des milliers de personnes. Dès la génération de Ding Xianxian, Wang Tuanzi, et Zhang Qisheng, d’autres personnes peuvent y donner des représentations. Dans ces enclos-aux- tuilettes, on propose médicaments, pyromancie, vêtements d’occasion, loteries, gourmandises, coiffures, calligraphie et peinture, chants, etc., tous les jours jusqu’au crépuscule sans que l’on ne s’aperçoive de rien. »82

Tous ces lieux, complexes commerciaux des Song du Nord, ne cessent de se développer dans la ville de Bianjing. En général, les enclos-aux-tuilettes contiennent divers établissements

51

et esplanades à balustrades dans lesquelles ont lieu des spectacles payants. Les esplanades sont, le plus souvent nommées « chapiteaux » ou « tentes » (棚 peng), comme le Chapiteau du Lotus (蓮花棚 Lianhua peng) ou encore le Chapiteau des Pivoines (牡丹棚 Mudan peng). Sous ces lieux clos, chacun, acteur célèbre ou nouveau venu, peut présenter ses talents. Les amateurs de théâtre peuvent y voir des pièces rares mises en scène lors d’occasions spéciales :

« Le 15ème jour de la 7ème lune est la fête Zhongyuan […] Le Pavillon des Pan, les Enclos

de l’Est et de l’Ouest du Préfet sont animés comme au soir du septième jour de la septième lune. Aux endroits animés, des stands proposent aussi des fruits, des noix sèches, des pâtisseries et des exemplaires imprimés du texte canonique « Grand Mu Lian » […] Les acteurs, dans les esplanades à balustrades, jouent après le 7ème jour (de la 7ème lune) la pièce de zaju « Mu lian

sauve sa mère » jusqu’au 15ème jour (de la 7ème lune), les spectateurs se pressent […] »83

L’histoire de Mu Lian (目連) descendant aux enfers pour sauver sa mère est à l'origine tirée d’une légende bouddhique indienne. Les gens des dynasties Wei (220 – 280) et Jin (265 – 420) l’importèrent avec des traductions de textes canoniques indiens. Au VIe siècle, ce récit

bouddhique oral, destiné à illustrer les sûtras est déjà populaire auprès du public chinois. Pendant les Song du Nord, ce récit adapté au zaju est mis en scène dans les quartiers urbains de Bianjing. Selon La Capitale de l’Est, la séance est spectaculaire, quoi qu’elle dure plusieurs jours consécutifs.

La généralisation des pièces bouddhiques a lieu dans les temples sous les Song du Nord, dynastie pendant laquelle le bouddhisme pénètre dans le quotidien des Chinois. Par exemple, le Temple du Chancelier (相國寺 xiang guo si), le plus grand monument bouddhiste de Bianjing, est ouvert au public cinq fois par mois, proposant des commerces variés et des représentations théâtrales84 :

« (Au seizième jour du premier mois du calendrier lunaire), les chariots des riches et des nobles, partant du palais impérial en file ininterrompue, vont tous dans le sud visiter le Temple du Chancelier. A l’intérieur, dans le hall principal et le hall d’entrée, des tentes sont installées et des groupes militaires y jouent de la musique. Sur les tablettes dans les galeries des deux côtés, est inscrit : « dans l’azur la Voie lactée est sur le point de se dévoiler, le clair de lune comme un cours d’eau illumine la scène du pavillon » […] Dans de grands temples tels que

83Meng Yuanlao 孟元老 et Yi Yongwen 伊永文(éd.), op.cit., p. 794 - 795. (voir l’Annexe – 2) 84Meng Yuanlao 孟元老 et Yi Yongwen 伊永文(éd.), op.cit., p. 288.

52

Kaibao, Jingde, sont montées des tentes, les gens jouent de la musique et allument des lanternes […] »85

La description de Meng Yuanlao dépeint les gens construisant des chapiteaux dans les temples bouddhiques pour présenter des spectacles. En effet, sous les Song, un temple bouddhique contient souvent une scène sur des tréteaux, installée devant le hall principal. Cette disposition architecturale, très répandue à cette époque, permet aux spectateurs de voir la scène dans la cour du temple, et les tréteaux sont installés puis défaits aisément. De même, l’installation de la scène dans le temple est considérée comme la meilleure façon de séparer la structure du temple pour les visiteurs.

Des « tentes de musique » (樂棚 Yue peng), toujours montées près des tréteaux, sont des emplacements temporaires pour les spectacles théâtraux et musicaux des troupes d’acteurs. Les tentes dans les temples, structure plus ancienne que les tentes situées dans les enclos-aux- tuilettes, présentent une architecture similaire à ces derniers. Avant les tréteaux ne pouvaient abriter les acteurs et les spectateurs par mauvais temps, cependant par la suite ces derniers furent fixés par de gros piliers de bois à leur base, recouvrant le plafond et les côtés. De plus, grâce à cette structure, les mélodies résonnent dans ces tentes. Sous les Song du Nord, elles sont utilisées dans les enclos-aux-tuilettes. Les tentes de musique sont toujours montées près des pavillons ou des portes de la ville, qui sont des lieux où sont installés une scène provisoire pour les spectacles grandioses. Dans l’arrière-scène, les acteurs peuvent se préparer dans une salle à part. En face de la tente de musique, les spectateurs regardent le spectacle, assis sous une autre tente.

Les lieux de divertissements évoluent. Ainsi dans la disposition de la scène, on passe progressivement de tréteaux primitifs à une forme plus moderne, afin d'améliorer le confort des spectateurs. Les spectacles théâtraux sont plus populaires, et la structure du théâtre plus compliquée. Dans la deuxième moitié des Song du Nord, que les tentes de musique soient dans les enclos-aux-tuilettes ou dans les temples, elles investissent tous les quartiers de Bianjing. En raison de l’importance de ces scènes, notre discussion, s’appuyant sur des exemples tirés de La

Capitale de l’Est, traitera des détails de ces installations.

53