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L’effet de l’art théâtral sur la composition poétique

3.2 Le déclin de l’animation avant la décadence de la dynastie des Song du Nord

3.2.2 L’effet de l’art théâtral sur la composition poétique

Face aux diverses circonstances, les écrivains décrivent la société selon des perspectives complètement différentes, et les couleurs annoncées dans leurs écritures sont ainsi très personnelles.

La « Joie de Porter un toast » de Liu Yong est réalisée durant une période de stabilité sociale au milieu des Song du Nord. Ce poème chanté, souvenir revivifiant de Bianjing, reproduit authentiquement le paysage pendant la fête des Lanternes. Certains commentateurs remarquent même pour ce poème chanté, que c’est une flatterie tacite en politique.160 Certes,

Liu Yong explique plusieurs fois dans ce poème la splendeur de Bianjing dans une ambiance festive comparable à la féerie, comme par exemple, avec la métaphore des « génies officiels et folkloriques du Bureau de la Musique ». En tant que poète dépendant des couches citadines de Bianjing, Liu Yong présente des images urbaines, décrivant abondamment l’art théâtral. Son poème chanté « Salut au Nouvel An » (迎新春 Ying xinchun) est également dédié au premier mois du calendrier lunaire des Song du Nord. Dans la première moitié du poème, le début et la fin concernent l’animation de la capitale pendant le Nouvel an :

« La flûte en bambou de la vallée est remplacée par la mélodie créée par L’Empereur Vert ;

Dans la capitale, le soleil ramène la chaleur sur la terre. »

« Les coraux en forme de tortue sont décorés en lanternes ;

159 Xu Song , op.cit., [En ligne]. Disponible sur :

https://ctext.org/library.pl?if=gb&file=89751&page=113. (Consulté le 20/08/2018).

160Gu Zhijing 顧之京, Yao Shoumei 姚守梅 et Geng Xiaobo 耿小博 (éd.). Liu Yong ci xin shi jiping. 柳永

詞新釋輯評 (Recueil des Nouveaux Commentaires sur la Poésie de Liu Yong). Pékin : zhongguo shudian, 2005, p. 42.

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Jusqu’au ciel, résonne le bruit des gongs et des tambours. » 161

Instrument de musique très ancienne, la « flûte en bambou de la vallée » (嶰管 Xie guan) date de l’époque de l’Empereur Jaune. Dans les légendes chinoises, L’empereur Vert (青 帝 Qingdi) est honoré de l’un des cinq souverains célestes, le génie vernal. Au fur et à mesure, le génie vernal se substitue à la flûte, les habitants de Bianjing, se rendant compte de l’arrivée du printemps, commencent à préparer la fête du Nouvel An. Ensoleillée, la capitale toute entière baigne dans le vacarme festif et l’allégresse.

Par ailleurs, au moment de la grâce amnistiante, comme décrit dans La Capitale de l’Est, le gouvernement des Song du Nord organise des spectacles lors de la cérémonie officielle. Un poème chanté, la « Marche sur la Voie Impériale » (御街行 Yujie xing) composé par Liu Yong mentionne des chants anciens :

« Devant la Porte Impériale, les cortèges de l’Empereur s’alignent à côté des balustrades ;

Six Chants Militaires et Danses de Yao et de Shun ont lieu en priorité. »162

Dans la Chine antique, les souverains divisent les chants et les danses en deux classes pour le sacrifice. L’une, la « Danse rituelle » (ou « Chant rituel »), met en scène un personnage principal qui très vertueux ; l’autre, la « Danse Militaire » (ou « Chant Militaire »), présente un à l’inverse rôle combatif et guerrier. Les Six Chants Militaires que note Liu Yong sont relatifs aux souverains héroïques et aux époques respectables, tels que l’Empereur Jaune, des Xia, des Shang, des Zhou. Tous prennent le pouvoir par la force militaire. En revanche, les Danses de Yao et de Shun indiquent implicitement un dirigeant d’État qui voudrait gouverner ses sujets par la civilisation morale. « L’empereur Shun répand partout la moralité en littérature et il ordonne que les acteurs dansent avec des boucliers et des éventails en plumes ».163 Liu Yong

parle d’une grâce amnistiante et présente un fragment de chants et de danses illustrant tout le processus des spectacles.

En comparaison avec les poèmes de Liu Yong, la « Fleur qui comprend les mots » de Zhou Bangyan est un cas très différent. La fête des Lanternes est d’autant plus chaleureuse que ce poète-ci se plaint plus. Dans le sud, le tumulte de la musique et du monde ne lui rappelle que la solitude et la nostalgie. Sous sa plume, l’agitation du monde et le vacarme des chants et d’autres

161Liu Yong 柳永 et Xue Ruisheng 薛瑞生 (éd.), op.cit., p.31. 162Liu Yong 柳永 et Xue Ruisheng 薛瑞生 (éd.), op.cit., p.69. 163Liu Yong 柳永 et Xue Ruisheng 薛瑞生 (éd.), op.cit., p.41.

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spectacles font ressortir la tristesse interne du poète. En outre, Meng Yuanlao adopte un contraste vif : il évoque la splendeur de Bianjing pour mieux souligner le désastre de sa perte.

Connaissant des règles musicales, Zhou Bangyan aime mettre les termes de l’art musical dans son lexique. Par exemple, son poème chanté « la Flûte sous la lune » (月下笛 Yuexia di) insère plusieurs termes relatifs à la musique : « comme l’ancienne partition de l’ère Kaiyuan et la mélodie de Kiosque Ke déjà disparue, toutes expriment mon sentiment interne ».164 Zhou

Bangyan écrit ce poème à son retour, après avoir voyagé à Chang’an, peut-être au cours de la 7ème année de l’ère Xining (en 1074).165 L’« ancienne partition de l’ère Kaiyuan » (開元舊譜

Kaiyuan jiu pu) est réalisée par le Parc des Poiriers sous la direction de Xuanzong des Tang. Par ailleurs, la « mélodie du Kiosque Ke déjà disparue » (柯亭遺韻 Keting yi yun) indique un personnage historique des Han, Cai Yong 蔡邕 (133 – 193). Celui-ci, un lettré qui connaissait aussi les règles de musique, est allé se réfugier au sud de la Rivière Yangtze. Demeurant proche du Kiosque Ke, il fabrique une flûte en bambous dont le timbre était considéré le plus merveilleux du monde. C’est en fait un poème sur la mélancolie automnale, un thème habituellement appliqué dans le poème régulier des Tang. L’ancienne capitale lui rappelle la fatalité des histoires, et la grisaille saisonnière accentue la frustration du poète en face à cette perte. Ces deux allusions historiques sur l’histoire de la musique évoque d’abord la sympathie du musicien lui-même, ensuite, elles insinuent que la belle époque ne reviendra plus. Dans la « Flûte sous la lune », l’expression sentimentale se fait plus réservée et discrète grâce à l’usage de ces types d’allusions, ce qui souligne le style poétique de Zhou Bangyan.