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Les liens entre le financement et les réformes engagées en matière d’assurance chômage 144

3. Le financement de l’indemnisation du chômage

3.2. Les liens entre le financement et les réformes engagées en matière d’assurance chômage 144

l’assurance chômage comportant trois éléments annoncés par le Président de la République : la couverture de certains salariés démissionnaires, l’accès sous conditions à l’indemnisation chômage des travailleurs indépendants et la modulation des cotisations d’assurance chômage en fonction du taux de recours, dans les différentes branches professionnelles, aux contrats de travail de courte durée. Ce processus, joint à la suppression des contributions salariales d’assurance chômage, effective au 1er octobre 2018, et à l’exonération complète de contributions employeurs au niveau du Smic à compter du 1er janvier 2019, avait pu laisser penser à une évolution du régime d’assurance chômage dans le sens d’une « universalisation » et interroger le lien entre son mode de financement, le profil des prestations qu’il verse et sa gouvernance, aujourd’hui assurée de façon paritaire par les organisations représentatives d’employeurs et de salariés.

Pour réfléchir à ces sujets, le Haut Conseil a bénéficié d’une contribution de M. Jacques Freyssinet, ancien directeur de l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires), s’appuyant à la fois sur les comparaisons internationales des différents systèmes existant à l’étranger et sur l’histoire du système d’indemnisation français. Elle montre que les systèmes d’indemnisation du chômage obéissent en général à des modèles types, qui sont essentiellement au nombre de trois : des régimes modulant les cotisations des employeurs en fonction de leurs pratiques de licenciement, et s’appuyant sur un financement exclusif par les entreprises (États-Unis) ; des régimes « beveridgiens »

157 Article 116 de la loi de finances pour 2018. Les 3,4 Md€ correspondent à 2 % du produit total de TVA.

145 fournissant une couverture de base financée par l’impôt, éventuellement complétée par un second étage financé par une part des cotisations d’assurance sociale prélevées sur les salariés et les employeurs (Royaume-Uni) ; des régimes à adhésion facultative, créés à l’initiative des syndicats et largement financés par cotisations salariales (Suède). Dans ces trois types de régimes, la fixation des règles (droits à prestations et, lorsqu’il y a lieu, barème des cotisations) relève de la compétence des pouvoirs publics (cf. encadré 5).

Encadré 5 – Typologie des régimes d’indemnisation du chômage

De l’analyse des dispositifs existants à l’étranger, trois principaux types de modèles d’indemnisation du chômage se dessinent.

- Les systèmes d’experience rating (tarification selon les antécédents), tels qu’ils existent aux États-Unis, modulent le taux de cotisation d’assurance chômage en fonction des coûts d’indemnisation que l’entreprise a engendrés par ses licenciements. Ils sont, de manière logique – comme c’est le cas dans la branche des accidents du travail et des maladies professionnelles en France –, exclusivement financés par des cotisations des employeurs, l’État fédéral gardant cependant la main sur la définition des règles régissant le régime, avec des adaptations possibles de la part des États fédérés.

- Les modèles « beveridgiens », comme au Royaume-Uni, juxtaposent une indemnisation de base (Jobseeker’s Allowance), reposant sur un financement par l’impôt, et une prestation d’assurance de nature contributive, financée par des contributions globales des employeurs et des salariés pour l’assurance sociale (National Insurance Contribution), c’est-à-dire sans identification de taux spécifiques pour l’assurance chômage. L’État est seul maître de la détermination des ressources et de la gestion du régime.

- Le modèle dit de Gand, dont l’exemple typique est la Suède, trouve son origine dans des régimes professionnels à adhésion volontaire, créés par les syndicats. Leur financement, à l’origine uniquement assis sur des cotisations salariales, a été élargi par la suite à une contribution de l’État – devenue progressivement prépondérante dans les ressources des régimes –, mais la gestion de ces derniers est restée une prérogative des syndicats.

De son côté, le système français d’indemnisation du chômage a connu des évolutions historiques importantes, qui ont souvent trouvé leur origine dans les fluctuations de la situation financière de l’assurance chômage selon la conjoncture du marché du travail (cf. encadré 6).

Encadré 6 – Évolution historique de l’indemnisation du chômage en France

L’indemnisation du chômage en France a connu différentes étapes historiques, brièvement retracées ici : - L’accord national interprofessionnel du 31 décembre 1958 créant l’assurance chômage a institué un

régime complémentaire à l’aide publique qui avait été mise en place par un décret de 1951 et était financée sur le budget du ministère du travail. Le choix d’une gestion paritaire du régime a conduit, à l’issue des négociations, à un financement par cotisations reposant à la fois sur les employeurs (à hauteur de 80 %) et sur les salariés (20 %).

- La loi du 16 janvier 1979 relative à l’aide aux travailleurs privés d’emploi, complétée par l’accord national interprofessionnel du 27 mars 1979, a unifié, pendant une période historique de cinq ans, les deux régimes d’indemnisation, dont elle a confié la gestion à l’Unédic. Ce régime était alimenté par des contributions salariales et employeurs, ainsi que par une contribution de l’État, représentant environ un tiers des ressources de l’assurance chômage.

- En 1984, la scission du régime unifiée est actée à la suite de l’ANI du 24 février 1984 et de l’ordonnance du 21 mars 1984. L’indemnisation des chômeurs est scindée entre un régime paritaire d’assurance et un régime d’assistance sous la responsabilité de l’État. Mais, en rupture avec la logique initiale de régime complémentaire de l’aide publique d’État qui avait prévalu en 1958, les deux nouveaux régimes couvrent des populations différentes : les chômeurs de relativement plus courte

146 durée, pour le premier, les chômeurs de plus longue durée ayant eu de longues périodes d’affiliation et ayant épuisé leurs droits à l’allocation d’assurance, pour le second. Pour des raisons tenant largement aux questions d’équilibre financier, les modifications ultérieures des paramètres du régime d’assurance chômage ont déplacé à plusieurs reprises les frontières entre les deux populations d’indemnisés, le revenu minimum d’insertion (RMI), créé en 1988, puis le revenu de solidarité active (RSA), qui lui succède en 2009, jouant le rôle d’un filet de sécurité pour les personnes qui ne réunissent pas les conditions d’accès à l’indemnisation du chômage.

Les éléments de réforme ayant fait l’objet d’annonces gouvernementales pouvaient à cet égard faire entrevoir des évolutions vers différents modèles types possibles. D’un côté, la suppression des cotisations des salariés et l’accent mis dans les objectifs des pouvoirs publics sur l’éventuelle création d’un bonus-malus pour les cotisations des employeurs peuvent présenter des points communs avec le système existant aux États-Unis, même si, à l’aune d’un tel modèle, l’existence d’exonérations de cotisations « employeurs » au titre des travailleurs peu qualifiés ne va pas de soi, sachant qu’ils présentent un risque de chômage élevé. D’un autre côté, l’accroissement important du financement par l’impôt et l’extension de l’indemnisation aux démissionnaires – au-delà des seules démissions dites « légitimes » limitativement énumérées – et aux indépendants auraient pu rapprocher le système français du modèle « beveridgien », qui assure un revenu de remplacement « de base » non aux seuls salariés involontairement privés d’emploi, mais à l’ensemble des travailleurs, salariés ou non, privés d’emploi.

3.3. L’accord national interprofessionnel du 22 février 2018 sur l’assurance chômage et les suites qui lui seront données

L’accord national interprofessionnel (ANI) du 22 février 2018 relatif à la réforme de l’assurance chômage et sa traduction dans le cadre du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel semblent toutefois porteurs d’évolutions qui, du côté des prestations, sont assez circonscrites.

- L’ANI élargit en effet le bénéfice de l’assurance chômage à des cas très spécifiques de salariés démissionnaires. Selon les termes de l’accord, « un droit à « allocation d’aide au retour à l’emploi projet » (Arep) est créé afin de sécuriser, dans certaines situations, les mobilités professionnelles choisies (…). Ce droit s’adresse aux salariés ayant un projet de reconversion professionnelle nécessitant une formation qualifiante ou une formation complémentaire identifiée suite à une validation des acquis de l’expérience, n’étant pas réalisable sans démissionner de son emploi ». Pour bénéficier de l’Arep, le salarié devra préalablement attester du caractère réel et sérieux de la formation et justifier d’une durée d’affiliation minimale à l’assurance chômage ininterrompue de sept ans, constituée au titre des derniers emplois occupés. Certaines dispositions de ce mécanisme font l’objet d’adaptations dans le cadre du projet de loi, notamment la durée d’affiliation, ramenée de sept à cinq ans. Le coût du dispositif – entre 230 M€ et 345 M€ – pourrait être directement pris en charge par l’assurance chômage.

- En ce qui concerne la prise en compte de la situation des travailleurs indépendants au regard du risque de perte d’activité, les partenaires sociaux gestionnaires de l’Unédic ont estimé que la diversité des situations auxquelles ils sont confrontés rend « particulièrement complexe l’appréciation de la nature du risque à assurer et des protections qui pourraient être mises en place » et « qu’un régime public financé par l’impôt, ouvert à tous les indépendants

147 et distinct de l’assurance chômage des salariés, pourrait prévoir le versement d’une prestation spécifique selon un fait générateur strict (liquidation judiciaire) ». Le Gouvernement a à cet égard prévu dans le cadre du projet de loi en cours d’élaboration une

« allocation d’assurance forfaitaire » en faveur des travailleurs indépendants ayant cessé involontairement et définitivement leur dernière activité indépendante158, sous réserve qu’ils remplissent des conditions de durée et de revenus d’activité minimaux. Cette aide, qui pourrait s’élever à 800 € par mois et être versée durant six mois, représenterait un coût de 140 M€.

- Par ailleurs, en application de l’ANI, et en réponse au développement des contrats de travail de très courte durée – notamment la multiplication par trois en vingt ans des contrats de moins d’un mois –, les organisations représentatives d’employeurs et de salariés sont invitées à ouvrir des négociations dans l’ensemble des branches afin de « développer l’installation durable dans l’emploi ». Le résultat de ces négociations sera évalué d’ici le 31 décembre 2018, sachant que le Gouvernement souhaite élargir les éléments sur la base desquels les taux de contribution à l’assurance chômage peuvent être modulés. Ainsi, outre la possibilité actuelle de moduler le taux en fonction de l’âge du salarié, de la nature de son contrat de travail, de sa durée ou du motif de recours et de la taille de l’entreprise, les contributions employeurs pourront désormais également être majorées ou minorées en fonction du nombre des fins de contrats de travail, sous réserve de l’inscription des personnes concernées par ces fins de contrat sur la liste des demandeurs d’emploi, dans un contexte où des exonérations de cotisations d’assurance chômage s’appliqueront par ailleurs à la fraction non qualifiée de ces emplois.

Les évolutions envisagées en termes de financement et de gouvernance semblent en revanche nettement plus marquées.

- En matière de financement, il est envisagé, dans le cadre du projet de loi en cours de finalisation, que la contribution salariale d’assurance chômage soit désormais remplacée, non plus par une part de TVA reversée par l’Acoss, mais par une fraction de CSG affectée à l’Unédic dans le cadre des lois financières pour 2019, et qui a également vocation à financer l’indemnisation du chômage des travailleurs indépendants. L’assiette sur laquelle sera prélevée cette fraction de CSG reste à déterminer, sachant qu’elle pourrait être limitée aux seuls revenus d’activité ou inclure d’autres catégories de revenus (revenus de remplacement, notamment). Par ailleurs, la loi de finances pour 2018 prévoyait, en 2019, l’affectation par l’État à l’Unédic de 2 % du produit de la TVA en compensation de la perte de contributions patronales d’assurance chômage qu’entraînerait pour cet organisme l’intégration du CICE dans le barème des allégements généraux de cotisations (cf. éclairage n°4, partie 2.3). Cette disposition, si elle devait être maintenue, pose la question de l’affectation désormais au financement de l’assurance chômage de deux impositions de toute nature, la CSG et la TVA.

- En matière de gouvernance, le projet de loi prévoit que l’État remette aux partenaires sociaux, préalablement aux négociations relatives à l’assurance chômage, un document de cadrage qui précise les objectifs de la négociation en termes de trajectoire financière et, le

158 Cet élément pourrait être caractérisé par un jugement de liquidation judiciaire ou une procédure de redressement judiciaire, lorsque l’arrêté du plan de redressement est subordonné par le tribunal au départ du dirigeant situations de mise en liquidation judiciaire.

148 cas échéant, d’évolution des règles du régime. En outre, en cas d’un écart significatif entre la trajectoire financière du régime d’assurance chômage et celle prévue par l’accord national interprofessionnel, ou si la trajectoire financière décidée par le législateur dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques évolue significativement, le Gouvernement pourrait demander aux organisations représentatives d’employeurs et de salariés de prendre les mesures nécessaires pour corriger cet écart en modifiant l’accord.

Les décisions qui seront finalement prises à l’issue du vote de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel et des lois financières de l’automne 2018 permettront d’examiner la cohérence d’ensemble entre l’évolution de la nature du régime d’indemnisation, son mode de financement et sa gouvernance, principe auquel le Haut Conseil a manifesté à plusieurs reprises son attachement. Les discussions intervenues au sein du HCFiPS ont mis en évidence, sous réserve des dispositions qui seront votées dans ces textes, des interrogations quant à la cohérence entre le maintien d’un cadre d’indemnisation essentiellement contributif et un mode de financement plutôt dévolu jusqu’ici à des couvertures de nature « universelle » (prestations en nature, remboursement des frais de santé).

4. Les modalités de compensation à retenir à partir de 2019 suite au renforcement des