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Des propositions de réforme de la fiscalité locale, avec de possibles incidences, à périmètre

4. Le financement des dépenses sociales des départements

4.5. Des propositions de réforme de la fiscalité locale, avec de possibles incidences, à périmètre

Les réflexions menées à propos de la réforme de la fiscalité locale trouvent leur origine dans la suppression de la taxe d’habitation prévue, en trois étapes (2018-2020), par la loi de finances pour 2018 en faveur des 80 % de foyers les moins aisés, et dont l’extension au reste de la population a fait l’objet d’une annonce par le Président de la République lors du congrès des maires, le 23 novembre 2017. La taxe d’habitation étant entièrement affectée aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI)221, sa suppression n’a pas en soi d’impact sur les finances des autres niveaux de collectivités locales222. Cette dernière pourrait cependant avoir des effets sur les finances d’autres catégories de collectivités locales – départements et régions – dans l’hypothèse où elle conduirait, dans le cadre d’une refonte d’ensemble de la fiscalité locale, à des changements d’affectation des impôts aux différents échelons de collectivités. Ainsi, certaines pistes de réflexion aujourd’hui examinées conduiraient à une réallocation de recettes des départements aux communes – la fraction de la taxe foncière sur les propriétés bâties perçue par les départements étant le candidat le plus naturel –, ce qui, à périmètre d’intervention constant des départements dans le champ, notamment, des politiques sociales, appellerait des recettes de substitution, soit sous forme de dotations budgétaires supplémentaires, soit sous forme de transferts d’impôts ou de fractions d’impôts nationaux.

Les schémas en discussion – dont la note de la problématique sur les enjeux d’une refonte de la fiscalité locale de la mission de MM. Bur et Richard rend compte223 – essaient de prendre un compte un faisceau de contraintes.

La première est la recherche d’une meilleure congruence entre la dynamique des dépenses sociales et le panier de ressources qui les finance. À cet égard, le financement indirect du RSA, très sensible à la conjoncture du marché du travail, par une recette comme les droits de mutation à titre onéreux, elle-même procyclique – puisque les transactions immobilières sont moins dynamiques en période de contraction économique –, peut être questionné.

La deuxième est le respect de l’autonomie financière des collectivités locales. Ce principe, affirmé par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, repose sur deux piliers : d’une part, les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales doivent représenter, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources ; d’autre part, les collectivités territoriales peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toute nature et la loi peut les autoriser à en fixer l’assiette et le taux dans les limites qu’elle détermine.

221 Métropoles, communautés urbaines, communautés d’agglomération et communautés de communes.

222 La part régionale de la taxe d’habitation a été supprimée en 2000 et la part départementale en 2011.

223 Enjeux d’une refonte de la fiscalité locale, note de problématique, mission « finances locales » présidée par MM. Bur et Richard, janvier 2018.

197 - C’est la loi organique du 29 juillet 2004 qui définit les ratios planchers qui constituent, pour chaque catégorie de collectivités, la part minimale de leurs ressources propres. Cette part ne peut être inférieure, pour chaque catégorie, au niveau constaté en 2003224. Sur ce fondement, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution la disposition de la loi de finances pour 2018 organisant la compensation de la réduction de la taxe d’habitation par une augmentation des dotations budgétaires allouées aux communes au motif que le texte prévoyait un mécanisme d’observation et de suivi annuels du degré d’autonomie financière des collectivités territoriales, puis de correction225 si celui-ci devait passer au-dessous du seuil fixé par la loi organique.

- Le débat ne porte pas seulement sur la part respective des recettes propres et des dotations budgétaires dans le financement des collectivités locales, mais également sur la possibilité, pour elles, de moduler ou non l’assiette ou les taux des prélèvements qui leur sont affectés.

À cet égard, l’affectation d’une fraction d’un impôt national ne permettrait pas a priori aux collectivités d’ajuster ses paramètres, et donc son produit, aux besoins nés des politiques sociales qu’elles mettent en œuvre, comme elles peuvent le faire aujourd’hui, bien que de manière encadrée, avec la fiscalité locale. Pour autant, l’attribution d’une part d’un impôt national à assiette dynamique, comme la CSG ou la TVA, est regardée par elles comme plus protectrice de leur autonomie financière qu’une dotation budgétaire, dont les règles de progression sont généralement encadrées de manière forte par la loi de finances et peuvent parfois conduire à des évolutions moins rapides que celle de la richesse nationale.

L’affectation aux collectivités territoriales de fractions d’impôts nationaux – la TVA et la CSG étant les pistes les plus fréquemment évoquées – poserait cependant des questions concernant à la fois le montant des transferts à opérer entre sous-secteurs des administrations publiques et la cohérence des différents financements.

- S’agissant du premier point, les transferts budgétaires à opérer de l’État vers les collectivités locales, à périmètre de leur missions inchangé, et hors mesure visant à compenser à court terme le déséquilibre de financement du RSA pour les départements les plus en difficulté, s’élèveraient aux environs de 8 Md€, correspondant au coût, non budgété en loi de finances pour 2018, de la suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % de foyers les plus aisés. Ce montant serait plus élevé si l’État entendait substituer des recettes fiscales aux dotations budgétaires qu’il a allouées aux communes et à leurs établissements en LFI pour 2018 en compensation de la suppression de la taxe d’habitation pour les 80 % de foyers les moins aisés.

- Sur le second point, une expertise juridique serait à envisager sur la possibilité d’affecter directement la CSG – imposition de toute nature selon l’analyse du Conseil constitutionnel, mais cotisation selon la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) – aux départements, sachant que leurs dépenses sociales présentent un caractère subsidiaire et ne relèvent pas

224 La loi organique du 29 juillet 2004 prise en application de l’article 72-2 de la Constitution relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales dispose que la part des ressources propres des collectivités territoriales dans le total de leurs ressources à l’exclusion notamment des emprunts – ne peut être inférieure au niveau constaté au titre de l’année 2003. Cette disposition est codifiée dans l’article LO 1114-3 du code général des collectivités territoriales.

225 En pratique, il s’agit de la remise d’un rapport annuel du Gouvernement au Parlement faisant apparaître, pour chaque catégorie de collectivités territoriales, la part des ressources propres dans l’ensemble des ressources ainsi que ses modalités de calcul et son évolution, et l’obligation de prendre des mesures visant à rétablir l’autonomie financière des collectivités territoriales dans une loi de finances ultérieure.

198 d’un régime d’assurance sociale. L’affectation de la CSG au financement partiel de l’APA a été rendue possible par le fait qu’elle était opérée au travers de la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) par la voie d’une dotation aux départements.

Une affectation directe de CSG aux départements poserait des problèmes juridiques, mais aussi de principe plus importants au regard de l’utilisation actuelle de la CSG. Elle accroîtrait encore les besoins d’apports de recettes de l’État à la sécurité sociale, alors même que près de 14 Md€ de CSG pourraient, aux termes du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, être transférés de la sécurité sociale à l’Unédic afin de compenser, en 2019, le coût de la suppression des contributions salariales d’assurance chômage et de l’ouverture d’une voie d’indemnisation pour certaines catégories de travailleurs indépendants. Enfin, les collectivités territoriales revendiquent de longue date le transfert de prélèvements avec un pouvoir de fixation ou de modulation de taux, ce qui, s’agissant de la CSG, serait très difficilement concevable compte tenu de sa nature juridique.

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Conclusion

Les réformes du financement de la protection sociale issues des lois financières pour 2018 ont un caractère transitoire et leur analyse dans les premières parties de ce rapport décrit donc un environnement appelé à être modifié en 2019 et 2020.

À ce stade, et dans un premier temps, l’ampleur des transferts financiers qu’elles mettent en œuvre a permis un certain éclaircissement, pour l’année 2018, de l’affectation des ressources aux différentes branches et aux risques couverts. En effet, dans le champ des régimes obligatoires de sécurité sociale, l’affectation à la branche maladie de l’intégralité du produit de la hausse de 1,7 point de la contribution sociale généralisée (CSG) et les baisses de cotisations salariales ou personnelles de maladie, auxquelles il a été procédé au 1er janvier 2018, ont amplifié la logique de financement d’un risque universel, ouvert sur simple condition de résidence régulière sur le territoire, et – s’agissant des prestations en nature qu’il délivre – unifié en termes de niveau et de conditions de prise en charge. Cette réforme a poursuivi, du côté des recettes, la logique d’universalisation que portait la mise en place de la couverture maladie universelle (CMU) au 1er janvier 2000 et qu’a parachevée la protection maladie universelle (PUMa), en 2016.

En ce qui concerne l’Unédic, la prise en charge en 2018, par l’Acoss, de la compensation exacte de la réduction de contributions salariales d’assurance chômage via un produit de TVA prélevé sur les recettes de la sécurité sociale a voulu dans un premier temps préserver la nature

« assurantielle » et la gouvernance paritaire du régime, en dépit de perspectives d’élargissement du champ de l’indemnisation aux salariés démissionnaires et aux travailleurs indépendants. L’accord national interprofessionnel du 22 février 2018 relatif à la réforme de l’assurance chômage, partiellement repris dans le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, a à cet égard opté pour des extensions de périmètre modestes dans leur ampleur. Le financement par voie d’impositions du régime d’assurance chômage peut donc être interrogé au regard du champ de sa couverture, de ses règles d’indemnisation, qui restent largement de nature contributive, et enfin de son mode de gestion.

S’il faut attendre les lois financières de l’automne 2018 pour dresser un bilan complet des réformes du financement de la protection sociale, les pistes qui commencent à se dessiner vont, pour certaines, approfondir ou préciser et, pour d’autres, profondément modifier les évolutions esquissées en 2018.

Une première évolution importante est la modification, en 2019, du mode de compensation à l’Unédic de la suppression des contributions salariales d’assurance chômage, qui, selon le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, s’effectuerait par l’affectation directe de la CSG à cet organisme, et non plus par une recette de TVA dédiée à cette fin. Cette évolution conduirait à un changement majeur dans l’affectation de la CSG, qui, depuis sa création, en 1991, est restée destinée aux régimes de sécurité sociale et à leurs fonds de financement. Elle posera la question de recettes de substitution pour la branche maladie qui en est le principal bénéficiaire. Elle pourrait, à terme, avoir des conséquences en termes de périmètre de la loi de financement de la sécurité sociale en posant la question de son éventuel élargissement à l’assurance chômage, selon des modalités qui resteraient à définir et supposeraient une modification de la loi organique du 2 août 2005.

200 Une deuxième évolution est liée à l’ampleur des transferts financiers à organiser en 2019 entre les différents sous-secteurs des administrations publiques.

- Au sein de la sphère des administrations de sécurité sociale (Asso), ces transferts toucheront simultanément l’Unédic (avec notamment la suppression des contributions salariales d’assurance chômage et l’exonération complète de contributions patronales au niveau du Smic), les régimes Agirc-Arrco (dont les cotisations deviendront également exonérées pour les personnes rémunérées au salaire minimum), et la sécurité sociale, qui devrait, selon toute probabilité, assurer à ces organismes la compensation financière de ces moindres recettes.

- Ils auront également des conséquences sur les relations entre l’État et la sécurité sociale, puisque le premier sera amené à compenser à la seconde le coût, en 2019, de l’intégration du crédit d’impôt sur les sociétés ou d’impôt sur le revenu pour la compétitivité et l’emploi (CICE) dans le barème des allégements généraux de cotisations sociales employeurs.

- Parmi les idées évoquées lors des auditions et discussions du Haut Conseil, et si l’on met à part l’hypothèse d’une budgétisation des dépenses de la branche famille, une rationalisation des impôts et taxes affectés à la sécurité sociale – par exemple par la voie d’un recours accru à la TVA – pourrait accompagner cette compensation de ressources aux régimes sociaux, amplifiant encore le montant des transferts financiers et les évolutions à venir de la structure de financement des différents risques.

- Enfin, les réflexions portant sur la réforme de la fiscalité locale en vue de compenser aux communes et à leurs établissements la suppression progressive de la taxe d’habitation mettent en avant, du point de vue de certains interlocuteurs, des réaffectations de recettes entre niveaux de collectivités territoriales ou l’attribution à ces dernières d’une fraction d’un impôt national – TVA ou CSG.

L’ensemble de ces évolutions, si elles devaient être mises en œuvre à l’horizon de la fin de l’année, conduiraient à des mouvements financiers entre sous-secteurs des administrations publiques inédits dans leurs montants, avec une part de la TVA affectée à la sécurité sociale pouvant dépasser un quart ou un tiers de son produit, et ce en l’absence même de transfert de CSG aux départements. Cela modifierait fortement la structure des recettes fiscales nettes de l’État (aujourd’hui composée pour moitié de TVA, pour un quart d’impôt sur le revenu, et pour 9 % d’impôt sur les sociétés226), et accroîtrait vraisemblablement la sensibilité de ses recettes fiscales à la conjoncture économique. Les questions soulevées par ces transferts de recettes conduisent certains interlocuteurs à plaider plutôt pour la voie alternative d’un transfert vers l’État de dépenses sociales, comme celles liées à la politique familiale, à l’image de ce qui a été pratiqué en 2015-2016 en matière d’aides au logement.

Enfin, dans l’attente des résultats de la concertation qu’a engagée le Haut-Commissariat à la réforme des retraites, des questions se posent sur la manière dont sera mise en œuvre l’harmonisation des régimes de retraite, qui entraînera des changements importants dans les modes de financement du risque vieillesse et conduira à redéfinir ce qui relève respectivement du champ contributif et de celui de la solidarité nationale.

226 Le budget de l’État voté pour 2018 en quelques chiffres (loi de finances initiale), direction du budget, janvier 2018.