• Aucun résultat trouvé

2. LA DEPRESSION CHEZ L’ADOLESCENT

2.3. Particularité de la dépression à l'adolescence :

2.3.6. Lien au stress scolaire :

Le stress scolaire est connu parmi les professionnels de l’éducation et ceux s’en approchant. Selon Catheline (2012), concernant les étudiants : « bien connu dans ses

manifestations physiques – chacun a pu à un moment ou à un autre l’éprouver – le stress est un état fréquemment décrit par les étudiants. Cependant, peu savent que le stress est aussi une réaction d’adaptation et de préparation à l’action. Considéré comme gênant surtout au moment des examens, il suscite des consultations fréquentes auprès des médecins généralistes répondant par une prescription d’anxiolytiques. Un certain nombre de filles prennent ainsi un anxiolytique avant chaque épreuve et ne peuvent s’en passer ». Ses conséquences

pathologiques sur l’individu ainsi que sur ses performances académiques sont de fait connues : « le stress peut avoir des conséquences psychologiques redoutables lors de la

présentation à un examen : sentiment de blanc dans la tête, pensées en boucle, voire attaque de panique avec envie de fuir, ce qui peut se solder soit par la non présentation à l’examen, soit par une sortie prématurée de l’épreuve » (Catheline, 2012).

Cependant, le facteur scolaire par rapport à la dépression et aux idéations suicidaires chez l’adolescent fait l’objet d’un intérêt plus récent. Il est particulièrement étudié sous le construit de stress académique ou stress scolaire. Le stress scolaire tel que défini par Ang & Huan (2006) est un état de stress chronique chez des élèves s’étant fixé des buts qu’ils n’arrivent pas à atteindre ; que ce soit en terme de performance aux examens ou en terme de relations avec les pairs et les adultes ; ou dont la perception des attentes que l’on peut avoir d’eux dépasse leurs capacités. Il s’inscrit à ce titre au même niveau que les micro-stresseurs ou tracas quotidiens dans la vie des adolescents.

De nombreuses échelles de mesures ont été développées dans la perspective de son étude. Burnett et Fanshawe (1997) tracent une revue de la littérature des différentes échelles existantes de stress chez l’adolescent et recensent ainsi pas moins d’une trentaine d’outils de mesure. Ils citent différentes études menées sur le sujet, telle que celle de West, Willis et Sharp (1982), une étude comparative entre les lycéens américains et anglais par rapport au stress académique qui donne des résultats similaires d'un pays à l'autre. Les adolescents des

71

deux pays ont listé les problèmes qui pour eux se reliaient à leur scolarité et parmi lesquels la demande excessive de travail scolaire comptait comme la plus stressante. L'étude de Isralowitz et Hong (1990) démontre quant à elle que les trois stresseurs majeurs identifiés par des lycéens étaient tous reliés à leur scolarité : ressentir de la pression par rapport à leur travail scolaire, s'inquiéter de leur avenir, et obtenir de l'aide concernant leur scolarité. Toujours selon Burnett et Fanshawe (1997), la difficulté majeure se posant dans la recherche portant sur le stress scolaire chez l'adolescent est la sélection d'un outil performant. Car en fonction de son orientation théorique, de sa validité, et de sa plus ou moins grande dépendance par rapport au contexte culturel dans lequel il s'inscrit il contient un certain nombre de limitations poussant la plupart du temps les chercheurs à créer de nouveaux instruments plutôt qu'à utiliser ceux déjà existants. A partir de ce constat, ils ont reconstruit à partir d’une trentaine d’outils déjà existant une échelle regroupant les différents facteurs pertinents concernant le construit de stress scolaire. Sur un échantillon de 1620 lycéens, utilisant une analyse factorielle confirmatoire, ils dégagent neuf facteurs d’une série de 68 items tirés de deux échelles alors compilées, dont émerge la High School Stressor Scale, une échelle pour laquelle ils retiennent 34 items.

Il a été démontré dans de nombreuses études que le lien entretenu entre stress scolaire et dépression est un lien positif (Aldwin et Greenberger, 1987 ; Arthur, 1998 ; Eremsoy, Çelimli et Gençoz, 2005). Mac Georges et al. (2005), rapportent une association positive entre stress académique et dépression sur un échantillon de 739 étudiants nord-américains, relevant à cet égard le rôle protecteur que peut avoir le soutien émotionnel ainsi que la communication informationnelle sur laquelle peut compter le sujet en provenance de ses proches, à savoir ses amis et/ou sa famille. A Singapour, Ang et Huan (2006) obtiennent des résultats similaires chez des collégiens et des lycéens ; le stress académique est positivement corrélé à la dépression et aux idéations suicidaires ; la dépression tenant un rôle de médiateur partiel entre les idéations suicidaires et le stress. C'est-à-dire qu’en utilisant une méthode statistique dite « step-by-step » de régression multiple, le lien du stress aux idéations suicidaires diminue lorsque la variable dépression est introduite dans le modèle car elle médiatise une part de la variance des idéations suicidaires. Autrement dit, les élèves soumis à un fort niveau de stress sont plus exposés à connaître des idéations suicidaires s’ils souffrent de surcroît de dépression. Toujours chez des lycéens, sur un échantillon de 726 adolescents turcs, Ulusoy et Demir (2005) trouvent dans leur étude portant sur les facteurs de risque associés aux idéations suicidaires que des questions d’ordre scolaire pouvant être anxiogènes (par exemple les

72

chances d’être pris dans une université de renom) tiennent une part pour le moins importante. D'après les auteurs : « les résultats de cette recherche indiquent que la préparation d'un jeune

en Turquie à son futur métier ou à sa future carrière représente une période problématique. L'examen d'entrée à l'université est la principale inquiétude des jeunes. L'anxiété de réussir cet examen est ainsi positionnée à la première place avec le plus fort pourcentage (62 %). L'anxiété concernant le futur est placé second (46,3 %), l'anxiété concernant la réussite scolaire troisième (18,5 %). En résumé, on constate que les principales inquiétudes des lycéens de troisième année concernent l'examen d'entrée à l'université. Cela requiert une haute performance pour le jeune de suivre à la fois le programme scolaire et les cours privés préparant au concours. Il s'agit inévitablement d'une période stressante durant laquelle le jeune fait l'expérience d'un isolement social étant focalisé sur un but unique (l'examen d'entrée à l'université). De ce fait, même lorsque les autres facteurs restent constants, la préparation à l'examen universitaire est le facteur le plus important concernant un déséquilibre de la santé mentale et pouvant causer des troubles du comportement »15. Une autre étude réalisée en Chine par Lee, Wong, Chow et MacBride-Chang (2006) portant sur les liens existant entre la dépression, les idéations suicidaires et les climats familiaux et scolaires chez les adolescents, révèle également une forte corrélation entre anxiété aux examens et dépression. Elle porte sur un échantillon féminin de 127 collégiennes et lycéennes et mesure les idéations suicidaires, la dépression, l’anxiété aux examens, le concept de soi académique et la non-satisfaction parentale perçue. Dans un modèle de régression linéaire, toutes les variables apparaissent significativement reliées entre elles ; le concept de soi académique étant la seule variable négativement reliée à la dépression. La dépression se révèle médiatiser le lien entre les différentes variables (l’anxiété aux examens, la non-satisfaction parentale perçue, le concept de soi académique) et les idéations suicidaire. La variable la plus fortement prédictive de la dépression est l’anxiété par rapport aux examens. Les auteurs notent que : « sous un système éducatif orienté sur l’évaluation, les étudiants de Hong Kong vivent les

résultats de ces examens comme la chose la plus importante déterminant leur réussite. […] Les examens doivent être obtenus avec excellence du fait de la limitation des opportunités de réussite. Le fait que réussir devienne si important que l’anxiété aux examens se trouve fortement lié à la dépression voire aux idéations suicidaires en est la conséquence »16. De même, Ang et Huan (2006) notent eux aussi qu’en Asie, les questions de réussite académique

15 Traduit de l’anglais 16

73

font partie des facteurs centraux liés à la dépression et au suicide chez les adolescents du fait de normes culturelles faisant peser sur eux la responsabilité d’être source de dévalorisation sociale pour leur famille en cas d’échec.

A. Etudes longitudinales :

Pour toutes ces études, la question qui se pose toujours est de savoir quelle est la part d’influence du stress scolaire dans l’apparition d’une dépression ? L’étude de Murberg et Bru (2005) réalisée auprès de 327 lycéens âgés de 13 à 16 ans rapporte qu’un score élevé de stress dans un premier temps de mesure est significativement prédicteur de symptomatologie dépressive dans une seconde mesure un an plus tard. De la même façon, Undheim et Sung (2005) dans leur étude menée auprès de 2465 collégiens âgés de 12 à 14 ans observent à un an d’intervalle un effet prédicteur du stress scolaire sur la dépression mais uniquement chez les filles. Ils relèvent à ce niveau une différence entre les sexes ; le score obtenu à l’échelle de dépression sur le premier temps de mesure étant le seul prédicteur du score de dépression un an plus tard chez les garçons. Le stress scolaire entre autres variables est prédicteur de la dépression sur l’ensemble de l’échantillon au premier temps de mesure de façon transversale.

B. Le rôle de l’entourage social :

L’entourage social propre au contexte scolaire a également fait l’objet d’attention dans la littérature reliant contexte scolaire et dépression à cet âge. Il a été observé que le soutien social amenait à diminuer le score de stress au cours de différents temps de mesure (Torsheim et al., 2003). Déjà en 1992, Dubois et al., dans leur étude longitudinale menée auprès de 166 lycéens américains soulignaient l'importance du rôle du soutien social perçu en provenance du personnel scolaire par rapport au stress, à la dépression, ou encore à l'anxiété. Ceci par l'observation sur deux temps de mesure à deux années d'écart de l'importance du rôle de prédicteur négatif du soutien social scolaire par rapport au stress et à la souffrance psychologique en T2. Ainsi : « premièrement on observe que les adolescents qui rapportent

des scores relativement importants de support de la part du personnel scolaire sont les moins vulnérables par rapport à un taux élevé d'événements de vie négatifs majeurs en termes d'association à une souffrance psychologique. Deuxièmement, les résultats indiquent un rôle compensatoire des liens positifs à l'égard du personnel scolaire parmi les adolescents qui rapportent de relativement faibles niveaux de soutien familial ; l'évaluation du support social scolaire par ces adolescents agissant plus fortement comme prédicteur de la réduction de la souffrance psychologique que parmi les adolescents rapportant de hauts niveaux de soutien

74

familial »17. L’étude de Wang (2009) auprès de 1042 lycéens porte pour sa part sur le rôle du climat scolaire relativement à l’ajustement psychologique des adolescents ; soit la symptomatologie dépressive et les comportements déviants. Le climat scolaire est appréhendé en termes de support émotionnel et d’orientation pédagogique porté par les enseignants. A l’aide d’une modélisation d’équation structurale, l’auteur observe qu’une pédagogie orientée sur les simples performances et l’obtention de notes élevées est prédictrice de la symptomatologie dépressive et des comportements d’incivilité alors que le support émotionnel de la part des enseignants et une pédagogie orientée sur le plaisir d’apprendre et la compréhension protègerait de ce type de problèmes. Il observe également que les compétences sociales des adolescents ont un effet médiateur entre les variables du modèle. Ainsi, selon Wang, être attentif à ces petits détails comme encourager le développement de ces compétences et les favoriser par une participation aux décisions et aux règles scolaires aiderait à diminuer les symptômes de dépression et l’incivilité chez ces derniers.

Dans leur étude portant sur un échantillon de 371 lycéens, Lee et al (2006) abordent pour leur part la question du soutien familial perçu et relèvent que la dépression et les idéations suicidaires y sont liées négativement. Ainsi, le fait de se sentir soutenu par sa famille, de pouvoir « parler avec les membres de sa famille d’échecs personnels et penser que

la famille offrira du réconfort »18, protège de la dépression et des idéations suicidaires. De la même manière, Klink et al. (2008) rapportent un lien négatif entre soutien familial et stress académique auprès de 238 étudiants de médecine et qu’ainsi le soutien familial « joue un rôle

clé chez les étudiants en médecine dans l’établissement d’une confiance en leur capacités à faire face aux challenges de la vie académique »19.

Enfin, d’autres études observent également le rôle protecteur du soutien social en provenance des pairs, vis-à-vis du stress et de la dépression. Ainsi, Mac Georges et al. (2005), rapportent une association positive entre stress académique et dépression chez des étudiants mais avancent que la communication émotionnelle en terme de soutien affectif tend à diminuer ce lien et serait un facteur protecteur. Ellonen et al. (2008) observent également sur un large échantillon de 95103 adolescents finlandais que ceux rapportant n’ayant jamais perçu de support social étaient 8 fois plus susceptibles de développer une symptomatologie dépressive que les autres. Lin et al. (2008) relèvent pour leur part un lien entre la dépression et le sentiment de diminution de la satisfaction dans le groupe de pairs de l’adolescent.

17 Traduit de l’anglais 18

75

La partie que nous venons de voir avait donc comme finalité de définir ce qu’est la dépression à l’adolescence. Nous avons également tenté de balayer de la façon la plus exhaustive possible quels en sont les différents déterminismes. Nous nous sommes penchés à cette fin tantôt sur la question des facteurs endogènes, notamment en termes psychodynamique de dépressivité et de dépression adolescente ; tantôt exogènes, et plus particulièrement en nous intéressant à la question du stress chronique scolaire, soit du facteur scolaire vis-à-vis de la dépression à cet âge.

19

76