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Les facteurs institutionnels de la souffrance à l’école :

3. LA SOUFFRANCE A L’ECOLE

3.5. Les facteurs institutionnels de la souffrance à l’école :

Pour Duval-Héraudé (2002) : « Un constat s’impose : certains enfants qui ne

présentent aucun handicap intellectuel ne peuvent malgré tout s’adapter à l’école, développer leurs potentialités, et être heureux dans le système scolaire ordinaire. Le ministre de l’éducation nationale évoquait en 1989 « ces élèves qui échouent à l’école alors que leurs possibilités sont réelles ». La question reste donc entière de la compréhension de la nature de leurs difficultés, comme de l’aide la plus appropriée à leur proposer ». Ainsi que l’illustre cet

extrait, l’élève n’est pas toujours l’unique source de ses difficultés. Le système éducatif peut également générer pour sa part une incapacité à entrer dans les apprentissages, voire de la souffrance. De même, pour Perrenoud (2004) : « Depuis que l’école existe, de 1000 façons,

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certains ont montré qu’elle créait pour beaucoup des conditions d’apprentissage contraires aux règles élémentaires d’un fonctionnement intellectuel fécond ». Delvolvé (2010) dénonce

ainsi les « conditions de travail » de l’élève et justifie les difficultés scolaires par un manque d’adéquation du fonctionnement de l’Ecole et de ses demandes avec les rythmes et les besoins des enfants et adolescents : « Comment peut-on être indifférent aux conditions de travail

subies par les élèves quand l’ambition de réussite est l’objectif prioritaire du système scolaire ». D’après une approche ergonomique de la problématique de l’échec scolaire,

l’auteure parle encore de « métier d’élève » par rapport à l’analyse des conditions d’élève et aux solutions existantes pour leur amélioration : « l’idée que l’élève a un métier complexe est

encore très originale et même rejetée par des courants de pensée qui refusent que le concept de métier soit appliqué au travail d’élève. Quel dommage car elle aide à mieux cerner les réalités vécues par les élèves et donc est un outil pertinent pour améliorer leurs conditions d’apprentissage » (Delvolvé, 2010). Pour Perrenoud (2004) également : « durant l’enfance et l’adolescence, on passe dans les écoles 25 à 35 heures par semaine, pendant 12,15 ou 20 ans. Mais aux yeux des adultes, ce n’est pas un vrai travail, ce n’est pas une vie active authentique ». Cette conception des conditions de l’élève comme condition de travail à

proprement parlé s’appuie qui plus est sur le constat que pour les enfants et adolescents, en France, les rythmes scolaires apparaissent pour le moins chargés, les amenant à passer le plus clair de leur temps à l’école. Une remise en question des temps de travail imposés aux élèves, parfois supérieurs aux temps de travail hebdomadaire de la plupart des adultes, peut ainsi être abordée : « le problème de la charge horaire se pose. Dans certaines filières technologiques,

un adolescent suit parfois 39 heures de cours par semaine, auxquelles vient s’ajouter le travail à la maison. Ces horaires chargés épuisent les élèves et les découragent parfois »

(Delvolvé, 2010).

Poursuivant la comparaison au travail, il est possible également de questionner les responsabilités de réussite et de performance pesant sur les épaules des élèves. Pour Perrenoud (2004) : « Cette course à la réussite induit nécessairement un rapport stratégique

ou tactique à la scolarisation et donc un rapport utilitariste, voire cynique, aux savoirs. Lorsque l’essentiel est de survivre jusqu’à la prochaine échéance sélective, la logique des élèves n’est pas de comprendre ou d’apprendre pour leur plaisir, par curiosité, pour répondre à des besoins personnels. Il s’agit de faire bonne figure dans la compétition pour l’excellence, par tous les moyens, y compris les moins recommandables du point de vue pédagogique ou éthique : tricheries, bachotage, « piston », etc. ». Ainsi d’après l’auteur, à

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l’image d’un système capitaliste, l’école également est soumise à la loi de la performance et à son lot de travers : « Penser d’abord à tirer son épingle du jeu, adopter des stratégies qui

garantissent la survie et une certaine tranquillité, c’est humain. Mais l’exercice intensif du métier d’élève peut aussi entraîner des effets pervers21 : ne travailler que pour la note, construire un rapport utilitariste au savoir, au travail, à l’autre » (Perrenoud, 2004).

Covington et al. (2000) abordent la question en distinguant pour leur part, à un niveau pédagogique, ce qu’ils appellent « jeu compétitif » et « jeu équitable », indiquant les effets néfastes, sur les enfants, du système de compétition tel qu’on le connaît dans la majorité des systèmes scolaires en vigueur : « Dans un jeu compétitif : 1. La réussite se juge aux notes

élevées et au fait qu’on travaille mieux que les autres. 2. L’accent est mis sur la compétence, définie selon des critères étroits, et pas sur l’effort fourni. 3. La principale source de fierté est de réussir à faire mieux que les autres. 4. Les obstacles à la réussite sont les autres élèves. 5. Le professeur est là pour juger. 6. Faire des erreurs et des fautes est considéré comme une preuve de stupidité ». Ce type de compétition est essentiellement encouragé par le système de

notation, aboutissant à une course à la réussite, pour laquelle les perdants se retrouvent dévalués d’office : « Les notes prennent une importance démesurée chez beaucoup d’enfants.

En effet, des recherches ont démontré que rien ne contribue d’avantage au sentiment de valeur personnelle chez les élèves, qu’un carnet de notes excellent, mais aussi, que rien ne l’entame d’avantage qu’une série de mauvaises notes ». Le système scolaire serait selon les

auteurs teinté du fonctionnement de la société elle-même et de son système de valeur ; les enfants étant victimes à leur échelle de ses travers : « Dans la société actuelle, on a tendance

à confondre réussite et valeur personnelle. On considère que les gens ne valent que par ce qu’ils accomplissent, ce qui est encore plus vrai dans les écoles où la réussite repose typiquement sur le déploiement d’un éventail d’aptitudes réduit […]. Assimiler les bonnes notes (et la capacité de les obtenir) à sa valeur personnelle est une démarche dangereuse car on sait que dans un jeu compétitif, seule une poignée d’élève peut réussir ». Il s’agirait, afin

d’enrayer le mécanisme, de modifier les critères d’évaluation à minima pour que la compétition puisse se jouer à un autre niveau que celui de la comparaison permanente aux autres. Non qu’il soit possible ni souhaité de supprimer le système de notation, et comme le précisent les auteurs les notes et les évaluations restent nécessaires ; mais y ajouter d’autres modalités d’évaluation, plus personnalisées, permettrait de compenser leur poids. Ainsi, par opposition au jeu compétitif : « Un jeu équitable obéit à des règles conçues pour aplanir le

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terrain de façon à ce que tous les élèves aient l’impression de réussir en classe et s’efforcent de progresser, indépendamment des résultats de leurs condisciples ». Des perspectives sont

apportées détaillant les caractéristiques applicables d’un jeu équitable dans les critères d’évaluation. On trouve par exemple une dynamique de classe visant à récompenser les élèves pour leurs capacités à progresser, à s’appliquer et à corriger eux-mêmes leurs erreurs, ou encore le fait d’établir un jeu où les critères de réussite sont accessibles à tous. Selon les auteurs réduire l’importance donnée aux simples notes permettrait de réduire conjointement le niveau de stress, de malaise et de tension, voire de souffrance chez de nombreux élèves.

Bonnéry (2007) dénonce également certains dispositifs pédagogiques comme sources d’inégalités, notamment sociales, et de « constructions de difficultés » chez les élèves. Il insiste sur l’importance de ne pas confondre ces dispositifs pédagogiques avec les enseignants eux-mêmes, qui n’en sont que les agents. En effet, il apparaît impératif d’émettre cette distinction essentielle : une remise en question du fonctionnement du système éducatif ne s’adresse en aucun cas de façon directe à ceux qui le composent et le dispensent, ces derniers n’ayant le plus souvent pas d’autres choix que d’en appliquer les modalités telles qu’elles s’imposent à eux : « les choix pédagogiques effectués, malgré l’affirmation institutionnelle de

lutte contre l’échec, ne peuvent assurer la formation nécessaire aux élèves pour réussir leur scolarité. Il ne s’agit évidemment pas de faire porter la critique sur les enseignants eux- mêmes, mais de pointer que les modes de faire dominants actuellement supposeraient une formation qui leur permettrait de mieux comprendre leurs enjeux sociaux, et les conditions de leur exercice qui peuvent éviter de contribuer à creuser les inégalités ». Les difficultés

scolaires rencontrées par exemple au sein des classes populaires sont ainsi, selon l’auteur, en partie construites par l’Ecole elle-même, et ce à l’insu, parfois, de ceux qui en sont les dispensaires : « Dire que les façons d’enseigner participent à la construction des inégalités,

ce n’est pas rendre les enseignants « coupables ». Leurs façons de faire, ainsi conditionnées, leur échappent en partie et peuvent produire des inégalités malgré eux ». Bonnéry élabore

ainsi une critique des politiques d’éducation et de leur impact social ; non seulement au niveau des élèves, mais également au niveau de la société en général dans la constitution et le maintien hiérarchisé de ses classes : « Une lecture rapide et simpliste pourrait laisser croire

que les enseignants sont individuellement ou collectivement « coupables » des effets de ces dispositifs. Ces derniers découlent en résultat de conditions d’exercice, d’injonctions officielles, d’évidences, de conceptions dominantes… qui sont déterminées par les contextes des scolarités d’aujourd’hui et s’imposent discrètement aux praticiens, ce qui limite l’horizon

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de leur choix ». Critique à l’instar de celle émise par Bourdieu et Passeron (1970), pour qui il

existe une « culture scolaire » basée sur la culture de la classe dominante et qui de fait exclu dès le départ la perspective d’une égalité face à l’apprentissage : « selon eux, l’école contribue

à reproduire la hiérarchie des positions sociales, voire à légitimer cette hiérarchie sociale, en transformant les différences sociales initiales en différences sociales ultérieures » (Cannard,

2012). Ce système que l’on peut qualifier d’élitiste laisse peu de place à l’individualité en dehors de l’excellence, seule reconnue, mettant à mal par ses enjeux autant ceux en difficulté que ceux qui réussissent.

Louis et Ramond (2009) offrent pour finir une distinction terminologique des difficultés scolaires : entre « avoir » des difficultés ou « être » en difficulté.

Le premier tient en le fait que tout apprentissage comporte une dimension d’effort et d’obstacle, qui n’est pas inhérente au sujet : « l’expression « il a des difficultés, voire une

difficulté » a un sens qu’il s’agit d’analyser : le verbe « avoir » propose un sens de possession, voire de caractéristique « détachable » de la personne. Ce qui veut dire que rien n’est joué, que des solutions peuvent être apportées ». Pour eux, la difficulté est de plus

inhérente à l’apprentissage en soi, scolaire de surcroît, par le fait que l’apprentissage est une démarche subjective alors qu’en contexte scolaire celui-ci s’applique à une norme groupale d’enseignement collectif. Dans ce cas : « la difficulté scolaire est avant tout l’incapacité ou le

refus de l’élève d’adhérer à un processus d’apprentissage qui lui est proposé plus que la rencontre avec un obstacle que représenterait l’objet d’apprentissage lui-même ». Cette

démarche peut même parfois s’avérer saine, lorsqu’elle suit une volonté d’individuation et d’affirmation de soi de l’enfant ou de l’adolescent.

Le second relève quant à lui des caractéristiques de l’élève lui-même ; avec des difficultés d’ordre médical, un handicap ou une déficience ; soit des difficultés endogènes : « ce qui n’est pas le cas de « l’élève en22 difficulté ». Ici, il y a une idée d’emprise, d’inclusion. L’élève est dans la difficulté, il en est prisonnier. C’est la raison pour laquelle cette expression concerne un élève qui rencontre des difficultés scolaires liées aux apprentissages et dont l’origine est tributaire des données qui leur sont extérieures, complexes et plurielles dans leur nature ».

Les auteurs différencient ensuite totalement les difficultés scolaires de l’échec

scolaire : « Distinguons pleinement cette notion de l’échec scolaire. Celui-ci a une connotation définitive, d’irrémédiable. C’est un état qui s’impose comme un aboutissement

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négatif. Il se pose comme immuable, il n’y a plus de dynamique possible autour de l’élève ».

L’échec scolaire ; à la différence des difficultés scolaires pour lesquelles il est toujours possible de trouver des réponses, d’aménager des solutions ; relève en effet selon eux du système scolaire lui-même. Ceci du fait qu’un sujet ne peut pas « être » en échec, ou ne peut l’être que face à une situation donnée, tout en gardant la capacité de rebondir après, ailleurs : « cette notion d’échec scolaire, si elle peut se justifier et se légitimer au sein du système

scolaire lui-même par ce qui serait un arsenal limité de réponses d’ordre structurel et pédagogique, n’est pas concevable si l’on se place sur le plan de l’élève derrière lequel se trouve le sujet, à savoir l’enfant ou l’adolescent. Parler ici d’échec c’est évoquer une sorte d’achèvement de l’individu, c’est nier le progrès, l’évolution, le concept fondamental de l’éducabilité permanente de l’être humain ». C’est donc bien le système scolaire qui reste en

échec avec le départ du sujet, dans sa rupture avec celui-ci et non le sujet lui-même : « L’échec scolaire est donc pour nous une réalité liée au système scolaire, à son inadaptation

à une partie de la population qui lui est confiée et ne peut caractériser un élève : celui-ci peut, en matière scolaire, vivre une souffrance, être dans l’obligation de faire un deuil mais on ne peut en aucun cas parler d’échec, pas même scolaire car maints exemples montrent des parcours d’apprentissages réussis y compris dans des domaines scolaires et ce, après interruption d’une scolarité considérée comme un échec ». Cette distinction est ainsi

essentielle en ce qu’elle situe les rôles portés par chacun : « L’échec scolaire, c’est ainsi

l’échec d’un système et non pas celui d’un individu. Cette notion n’est aucunement en lien avec celle de difficulté scolaire. Leurs supports sont différenciés : l’un est porté par le système scolaire, l’autre par l’élève ». Ainsi, dans le cadre de notre problématique, nous nous

intéresserons plus particulièrement à l’échec scolaire compris ici comme dépendant du système scolaire insuffisant à répondre aux besoins du sujet.

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