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Le lien entre le développement de la mémoire et celui du langage

III. LA MEMOIRE CHEZ L’ENFANT

1. Les aspects développementaux

1.3. Le lien entre le développement de la mémoire et celui du langage

1.3.1. Le langage

a. Définition

« Le langage est la capacité, spécifique à l’espèce humaine, de communiquer au

moyen d’un système de signes vocaux (ou langue) mettant en jeu une technique corporelle

complexe et supposant l’existence d’une fonction symbolique et de centres corticaux génétiquement spécialisés. Ce système de signes vocaux utilisé par un groupe social (ou

communauté linguistique) déterminé constitue une langue particulière. » (Dictionnaire de

49 b. Développement

Le développement du langage n’est pas le cœur de notre travail. Cependant, il va influencer le développement mnésique et particulièrement celui de la mémoire sémantique. Lors de situation de communication, l’individu opère des tâches langagières avec autrui. Il nomme des objets, évoque des sentiments, parle d’une personne connue, échange autour d’un fait d’actualité … Autant de choses qui se rapportent au fonctionnement des systèmes mnésiques. La traduction verbale de la mémoire dépend donc du langage.

Il est difficile d’étudier les performances mnésiques des enfants avant l’acquisition du langage ou avec un langage non efficient. Pour stocker et consolider un souvenir, l’enfant doit pouvoir le raconter. Ainsi, les capacités mnésiques dépendent d’un système langagier avec un stock lexical suffisant et des capacités narratives. Les enfants de moins de 4 ans ont des capacités à se souvenir plus importantes que celles à pouvoir les exprimer. Il faut donc être vigilant et différencier capacités de mémoire et capacités à communiquer ce qui a été mémorisé. Chez le jeune individu, il est donc important de considérer son

développement langagier pour appréhender relativement ses capacités mnésiques (Tableau

1).

Moyenne

d’âge Particularités du langage Indices du développement mnésique

3-4 mois Babillage Mémoire procédurale

perceptivo-motrice

Emergence de la mémoire de travail 6 mois Répétition de syllabes simples Jeux vocaux

9 mois Compréhension des 1ers mots

Emergence de la mémoire sémantique

11 mois Production des 1ers mots

18 mois Accélération du développement lexical 1ères combinaisons verbales

Emergence d’une pré-mémoire épisodique (événementielle) 2 ans Développement d’éléments morphosyntaxiques

3 ans Développement parallèle lexical et morphosyntaxique Construction de phrases

Efficience du système de représentation perceptive 6-7 ans Utilisation du genre/nombre et Phrases complexes

identification du coréférent du pronom

Développement des fonctions exécutives favorisant les possibilités

de mémoire de travail Emergence de la mémoire

épisodique

50 Le langage est une fonction extrêmement complexe qui implique un réseau d’autres fonctions cognitives telles que la mémoire, l’attention, les perceptions… Ainsi, l’efficience du système langagier est en lien avec celle des autres fonctions. Face à un trouble du langage ou un trouble de la mémoire, il est donc nécessaire de considérer le développement de l’ensemble du « cosmos » de l’enfant. L’image d’un « cosmos » illustre l’intrication entre langage, mémoire, praxo-gnosies, logique, attention, affects, conception du temps et de l’espace. La dynamique de cet ensemble permet le développement neuropsychologique de l’individu.

Des études ont exploré l’influence d’un déficit mnésique sur les processus neurolinguistiques. Alors que le fonctionnement du langage est souvent étudié indépendamment des autres fonctions mentales supérieures, Ullman (2004) met en place un modèle intégratif (Tableau

2

). Il analyse les processus langagiers et praxo-gnosiques selon les différentes mémoires à long terme, déclarative versus non-déclarative.

MEMOIRE NON-DECLARATIVE

Procédurale MEMOIRE DECLARATIVE

Sémantique, épisodique, autobiographique

Maîtrise des codes phonologiques et syntaxiques de la langue, Constitution de la « grammaire ».

Maîtrise de la forme auditive (verbale) et visuelle des mots,

Constitution du stock lexical et accès au sens.

Réalisation de schèmes moteurs habituels Résolution de tâches cognitives

quotidiennes.

Réalisation de schèmes moteurs nouveaux, Résolution de tâches cognitives avec prise

de décision inhabituelle. Pas d’effort conscient

Mode automatique d’où faible coût

attentionnel Effort conscient

MEMOIRE DE TRAVAIL Mise en relation des 2 systèmes Importance du système exécutif

Tableau 2 - Langage et systèmes mnésiques sous-jacents d’après Ullman (2004)

1.3.2. Intrication des troubles langagiers et des

troubles mnésiques

Dans le cadre de certaines pathologies, il est difficile de faire la part des choses entre présence de trouble langagier, de trouble mnésique, de trouble attentionnel… Un enfant présentant de grosses difficultés à raconter précisément ses vacances se souvient peut-être très bien de celles-ci mais ne peut les narrer à cause d’un déficit langagier.

51 Giraudat et al. (2015) ont mené une étude sur les capacités de consolidation mnésique de souvenirs chez des enfants sains et des enfants présentant des troubles du langage (dysphasie et dyslexie) ayant une dizaine d’années. L’ensemble des sujets présentait des capacités de récupération de souvenirs épisodiques mais les performances des enfants avec troubles langagiers étaient inférieures. Le langage influence donc les capacités de la mémoire épisodique.

Ullman et Pierpont (2005) appréhendent d’une manière novatrice les facteurs étiologiques des troubles spécifiques du langage. La dysphasie pourrait s’expliquer par un déficit de la mémoire procédurale avec perturbation de l’automatisation des règles phonologiques et syntaxiques et perturbation de l’acte de parole avec atteinte de la mémoire de travail. La dyslexie s’illustre par une difficulté lors de la lecture et une extrême lenteur pour décoder. Un déficit de la mémoire procédurale pourrait donc être aussi suggéré, particulièrement pour les dyslexies phonologiques où la conversion graphème/phonème (qui renvoie au code phonologique) est déficitaire. La dyslexie de surface peut être envisagée avec un déficit de l’accès au stock lexical et du sens, propre à la mémoire déclarative.

L’hypothèse de cette altération spécifique de la mémoire procédurale expliquant des troubles langagiers et praxo-gnosiques n’est pas exclusivement validée à ce jour. Des études obtiennent des résultats dans ce sens (Lum & al., 2012 ; Hedenius & al., 2011) ; d’autres des résultats contradictoires (Lum & Bleses, 2012 ; Gabriel & al., 2011). Ces contradictions peuvent s’expliquer par la grande difficulté méthodologique d’évaluer la mémoire procédurale dans sa dimension purement langagière. Ainsi, cette hypothèse reste au cœur de recherches contemporaines.

Récemment, Ullman (2015) a poursuivi l’analyse de son modèle intégratif en

s’attardant sur l’impact de la mémoire déclarative dans plusieurs pathologies : les dyslexies, les troubles spécifiques du langage oral, les troubles du spectre autistique, les troubles obsessionnels compulsifs et le syndrome Gilles de la Tourette. La mémoire déclarative aurait un rôle compensatoire, au regard des déficits des processus procéduraux.