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Liaison affine/projectif

Dans le document Michèle Audin GÉOMÉTRIE (Page 190-196)

GÉOMÉTRIE PROJECTIVE

VI.3. Liaison affine/projectif

Montrons maintenant que cette géométrie sans parallèles est analogue à la géométrie affine, dans un sens précis : un espace projectif est un espace affine auquel on a ajouté quelque chose, une droite projective est une droite affine avec un point en plus, et les relations d’incidence sont, à part ça, les mêmes qu’en géométrie affine. Les arguments restent faciles, on fait toujours de l’algèbre linéaire, mais on va jouer maintenant sur trois niveaux. Il va y avoir un espace vectoriel E de dimension n+ 1, l’espaceprojectif P(E) de toutes ses droites vectorielles, et un (en fait des) espace(s) affine(s) de dimension n qu’on va pouvoir considérer à la fois comme partie(s) deP(E)et hyperplan(s) affine(s) de E.

Introduction : la droite projective Commençons par le cas des espaces projectifs de dimension 1. Considérons donc un plan vectoriel E. La droite projective P(E) est l’ensemble des droites vectorielles de E.

Choisissons une base (e1, e2) de E. Toutes les droites vectorielles deE ont un unique vecteur directeur de coordonnées (x,1), sauf l’axe desx. Dit autrement : toutes les droites vectorielles de E rencontrent la droite affine d’équation y = 1 en un unique point, sauf l’axe des x, qui lui est parallèle (figure 3). On vient d’établir une bijection entre la droite projective P(E) privée d’un de ses points (l’axe des x) et la droite affine y = 1. On peut donc identifier la droite affine en question au complémentaire d’un point dans la droite projective(1).

Inversement, on peut considérer qu’on a obtenu la droite projective en ajoutant un point à la droite affine. Il est traditionnel d’appeler ce point point à l’infini : dans les cas réel ou complexe, l’application :

(droite affiney= 1)∪ {∞} −−−→ P(E)

(x,1) −−−→ la droite vectorielle engendrée par (x,1)

∞ −−−→ la droite vectorielle engendrée par (1,0) est un homéomorphisme, si l’on munit l’espace de gauche de la topologie de com-pactifié d’Alexandrovde la droite(2).

e1

e2

y= 1

x

Figure 3

z

O F F

Figure 4

Le plan projectif

On procède de la même façon avec un espaceE de dimension3: on choisit une base dans laquelle les coordonnées des vecteurs sont notées (x, y, z). Appelons F le plan vectoriel d’équation z = 0 et F le plan affine de direction F dont

(1)J’y reviendrai, mais on pourra déjà remarquer que la droite affine y= 1, la bijection et le point manquantdépendent du choix de la base.

(2)C’est-à-dire telle que la famille des complémentaires des compacts de la droite affine soit une base de voisinages de(voir [7]).

l’équation est z = 1. Une droite vectorielle ℓ de E rencontre F en un unique point... sauf si elle est contenue dans F, auquel cas elle ne le rencontre pas du tout (figure 4). On a donc une bijection entreP(E)−P(F)etF. Inversement, on peut considérer qu’on obtient le plan projectifP(E)en ajoutant au plan affineF la droite projective P(F). Celle-ci est dite droite à l’infinideF.

En coordonnées, les points (x, y,1) sont ceux de F, les points à l’infini sont ceux de coordonnées(x, y,0).

Le cas général : complétion projective d’un espace affine Soit F un espace affine de dimension n. On commence par le plonger comme hyperplan affine dans un espace vectoriel E de dimensionn+ 1. On peut le faire de façon tout à fait intrinsèque, mais c’est inutilement abstrait, alors on choisit une origine surF, qui devient ainsi un espace vectorielF et on considère l’espace vectoriel E = F ×K. On appelle F l’hyperplan vectoriel d’équation xn+1 = 0 (xn+1 est la coordonnée sur le facteur K) et on identifie F à l’hyperplan affine d’équation xn+1 = 1(on considère ainsi que F =F × {1}).

Chaque droite vectorielle de E qui n’est pas contenue dansF rencontre F en un unique point. On obtient une bijection entre F etP(E)−P(F). L’hyperplan projectifP(F)s’appelle l’hyperplan à l’infinideF. On remarquera qu’il n’est pas dansF et qu’il est constitué des directions des droites affines de F.

Droites affines, droites projectives Gardons les mêmes notations et considérons maintenant les droites affines de l’espace affine F. Soit D une telle droite. Il existe un unique plan vectoriel qui contient cette droite, le sous-espace (affine) deE engendré par 0 etD(figure 5).

Appelons-lePD. Comme tout sous-espace vectoriel deE, il définit un sous-espace projectif (ici une droite) de P(E), l’ensemble P(PD) de ses droites vectorielles.

Par le plongement deF dansP(E), la droiteDdeF est envoyée dans la droite projective associée àPD, que l’on peut voir comme sa complétion projective.

On a donc aussi une bijection entre l’ensemble des droites affines de F et l’en-semble des droites projectives deP(E)qui ne sont pas contenues dans l’hyperplan à l’infiniP(F).

Intersections de droites dans le plan Soit F un plan affine de direction F. On vient de construire un plan projectif P qui est la réunion de F et de la droite projective P(F), la droite à l’infini de F. Faisons la liste des droites projectives de P. Il s’agit des images des plans vectoriels de l’espace vectoriel de dimension 3. Il y a donc la droite à l’infini, en

PD

xn+1

D D

O F F

Figure 5

d’autres termesP(F), et toutes les autres droites proviennent des droites affines de F auxquelles on ajoute un point (qui d’ailleurs est sur P(F)). Si D est une droite affine deF, on note ∞D ce point.

Remarque VI.3.1. La droite à l’infini est l’ensemble des droites vectoriellesDdeF, c’est-à-dire l’ensemble des directions des droites affines deF. Chaque point de la droite à l’infini est une direction de droites parallèles dans F.

Nous avons vu (dans la proposition VI.2.1) que deux droites projectives d’un plan projectif se coupent toujours. Testons cet énoncé sur notre liste de droites.

– La droite à l’infini et la droite provenant de la droite affine Dse coupent au point∞D : en vectoriel, on considère l’intersection du planPD et du planF, c’est la droite vectorielleD, qui est à la fois la direction deD... et le point à l’infini∞D

de D(j’ai utilisé les notations de la figure 5).

– Considérons maintenant deux droites affines non parallèles D etD. Elles se coupent en un point M de F. Les droites projectives qui leur sont associées se coupent en un point qui n’est autre que la droite vectorielle engendrée par−−→OM.

– Si D etD sont parallèles, les plans vectoriels PD etPD se coupent le long de leur direction commune D, en d’autres termes les droites projectives associées ont le même point à l’infini∞D : deux droites parallèles se coupent à l’infini.

Choix de l’infini

Dans un plan projectif, il n’y a pas de droite à l’infini. En d’autres termes, toute droite peut être choisie comme droite à l’infini. Considérons plus généralement l’espace projectifP(E). Choisissons un hyperplanFquelconque dansEet retirons

àP(E)l’hyperplan projectif correspondantP(F). Le résultat est un espace affine F dirigé parF et dont l’hyperplan à l’infini est P(F).

Concrètement, tout hyperplan peut être considéré comme hyperplan à l’in-fini. Cette remarque a de nombreuses applications. Plutôt que de la théoriser de manière absconse, donnons-en tout de suite deux applications, des démonstra-tions des formes les plus générales des théorèmes de Pappus et Desargues comme conséquences des cas particuliers simples vus au chapitre I. Nous reviendrons sur la question du choix de l’infini après les démonstrations de ces deux théorèmes.

Le théorème de Pappus Voici l’énoncé général du théorème de Pappus. On remarquera qu’il est plus simple que celui donné dans l’exercice I.59 : il est inutile de supposer que les droites se coupent, puisqu’on est en projectif... ou on est en affine et deux droites parallèles se coupent sur la droite à l’infini.

Théorème VI.3.2. Soient D et D deux droites et soient A, B et C trois points de D, A, B et C trois points de D. Soient α, β et γ les points d’intersection de BC et CB, CA et AC, et AB et BA respectivement. Alors α, β et γ sont alignés.

A

B

C

A

B

C Figure 6. Théorème de Pappus

Démonstration. On considère la droite projectiveαγ comme droite à l’infini. En d’autres termes, on étudie le problème dans le plan affine obtenu en retirant cette droite au plan projectif. Dire que BC etCB se coupent sur la droite à l’infini, c’est dire qu’elles sont parallèles, de même AB etBA sont parallèles et on n’a plus qu’à appliquer la version affine faible (le théorème I.4.5) pour conclure : CA etAC sont parallèles et donc se coupent sur la droite à l’infini... c’est dire que le point β est sur αγ.

On trouvera une démonstration « complètement projective » du théorème de Pappus dans l’exercice VI.15.

Le théorème de Desargues

On peut procéder exactement de la même manière pour démontrer le théorème de Desargues (même remarque quant à la simplicité de l’énoncé par rapport à celui de l’exercice I.60) :

Théorème VI.3.3. SoientABC etABC deux triangles. Soientα,β etγles points d’intersection des droites BC etBC,CA et CA, AB etAB. Alors les points α,β etγ sont alignés si et seulement si les droitesAA,BB etCC sont concou-rantes.

A

A

B B

C C

Figure 7. Théorème de Desargues

Démonstration. On suppose que les trois points alignés et on envoie la droite qu’ils déterminent à l’infini. On applique la version affine faible (c’est-à-dire le théorème I.4.6) et on en déduit que les trois droites sont concourantes. On peut démontrer la réciproque comme conséquence du sens direct, mais je ne vais pas le faire ici : il y a un argument typiquement projectif et extrêmement élégant que je garde pour la bonne bouche (voir le § VI.4).

On peut construire la géométrie (affine ou projective) grâce à des propriétés d’incidence, droites concourantes, points alignés, qui suffisent à définir toutes les structures présentes, en particulier à reconstruire le corps de base (comme dans le théorème fondamental de la géométrie affine, ici l’exercice I.67). Le théorème de

Pappus est la propriété qui affirme que ce corps est commutatif, celui de Desargues donne l’associativité de la multiplication (voir [3]).

Choix de l’infini (suite) Les lecteurs peuvent se demander pourquoi, dans aucun des deux énoncés VI.3.2 et VI.3.3 ci-dessus, on n’a précisé si on se plaçait dans un plan affine ou dans un plan projectif. Pour répondre à cette question, reproduisons côte à côte la figure 6 de ce chapitre et la figure 12 du chapitre I.

A Figure 8. Pappus au chapitre VI

A

Figure 9. Pappus au chapitre I La figure de gauche est dessinée dans un plan affine E (celui qui prolonge la feuille de papier). On complète ce plan en un plan projectif P en lui ajoutant une droite à l’infini. Elle est ainsi dessinée dans un plan projectif dont nous ne voyons pas la droite à l’infini. Ensuite, on retire à P la droite en pointillés. Le résultat est un plan affineE, celui dans lequel notre figure se présente comme la figure de droite. On aura donc compris que les deux figures sont dessinées dans deux plans affines différents E etE du plan projectif P.

Mais... les deux figures sont, quand même, dessinées sur la même feuille de papier. Il n’est donc pas absurde de vouloir les considérer dans le même plan affine (c’est bien ce qu’a fait la dessinatrice). Dans ce cas, la philosophie serait plutôt de considérer que l’une est obtenue à partir de l’autre par une transformation convenable. On y reviendra au § VI.5.

Dans le document Michèle Audin GÉOMÉTRIE (Page 190-196)