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Les villes, laboratoires de l’adaptation au changement climatique

Dans le contexte d’une urbanisation qui va croissante à l’échelle de la planète – selon l’Organisation des Nations Unies, en 2050, 70% de la population planétaire vivra en ville – c’est dans les villes que les conséquences du changement climatique devraient se faire sentir pour le plus grand nombre. Les villes se trouvent donc au cœur d’une contradiction : elles ont à la fois un poids considérable dans les émissions de GES et sont une force motrice du changement climatique, mais elles sont aussi les lieux les plus exposés aux problèmes environnementaux. Les villes sont particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique : la forte concentration de population, la densité importante d’infrastructures et de biens matériels ainsi que la complexité d’organisation du système

urbain multiplient les enjeux face aux aléas climatiques, qu’ils correspondent à des vagues de chaleur, des sécheresses qui posent des problèmes d’approvisionnement en eau, des inondations ou des cyclones (Boyer, 2020a).

Dans le cadre des politiques d’atténuation des émissions de GES, certaines villes ont pu agir sur la forme urbaine (maîtriser l’étalement urbain par exemple), les mobilités (privilégier les modes piéton ou cycliste) et les bâtiments (réviser le code de la construction et de l’habitation pour améliorer l'efficacité énergétique) (Bulkeley et Betsill, 2003 ; Otto-Zimmermann, 2011 ; Bulkeley, 2013). Le GIEC mais aussi l’ONU considèrent les villes comme des laboratoires de l’adaptation au changement climatique (UN-Habitat, 2011). L’échelle des villes leur semble particulièrement pertinente pour mettre en place des stratégies d’adaptation. En effet, elles fonctionnent comme des systèmes intégrés dans lesquels les différents réseaux (d’eau, d’électricité, de transport, etc) ainsi que le tissu économique et social sont imbriqués et fonctionnent ensemble (Pelling, 2010 ; Tommasi et Boyer, 2018). Les maires des grandes villes du monde se sont d’ailleurs réunis dans des réseaux de coopération transnationale dans le but de lutter contre les émissions de GES et de promouvoir l’adaptation au changement climatique. Dès 1993, est créé le réseau International Council for Local Environmental Initiatives qui vise à mettre en œuvre des stratégies d’atténuation à travers le programme Climate Protection. Puis en 2005, le maire de Londres est à l’initiative de la création du Cities Climate Leadership Group (C40) qui regroupe aujourd’hui une centaine de grandes métropoles (parmi lesquelles New-York, Los Angeles, Mexico, Paris, Milan, etc) (Zeppel, 2013) et représente 600 millions d’habitants, 25% du PIB mondial et 70% des émissions de GES selon le site Web du réseau12, rejoint par Phoenix en janvier 2020. La mise en œuvre de l’adaptation est caractéristique du processus de « climatisation du monde » remarqué par S. Aykut (2020) : la question climatique se diffuse dans des domaines de plus en plus nombreux de nos sociétés (débats politiques, luttes sociales ou activité des entreprises privées). En effet, elle ne tient pas qu’au seul pouvoir municipal mais implique d’autres catégories d’acteurs, des acteurs privés et notamment une mobilisation forte de la société civile (pressions des ONG militantes environnementalistes, émergence de figures de proue comme Greta Thunberg en 2018) qui porte les réflexions sur les changements sociaux, politiques et culturels. A l’échelle de la ville, les associations écologistes locales peuvent jouer un rôle clé pour inciter une

municipalité à mettre en œuvre une action de lutte contre le changement climatique (Bulkeley et al., 2015). Elles promeuvent bien souvent des mesures simples à mettre en œuvre, inspirées des savoirs vernaculaires et mobilisant des technologies à faible intensité énergétique et matérielle appelées low-tech (Bihouix, 2014) dans le but de façonner une ville plus sobre qui puisse consommer moins de ressources et produire moins de déchets dans ses activités et dans la production de l’espace urbain même (Florentin et Ruggeri, 2019). L’adaptation est donc une forme d’« expérimentation » : elle correspond à un ensemble de tentatives pour « démontrer, expérimenter, apprendre et questionner les possibilités de réponses au changement climatique à travers une multitude d'interventions, de projets et de dispositifs différents13 » (Bulkeley et al., 2015).

En effet, contrairement à ce que l’omniprésence de l’expression « adaptation au changement climatique » laisse croire, dans la plupart des villes, les politiques d’adaptation au changement climatique n’en sont qu’à un stade exploratoire. En effet, leurs mises en place se heurtent à plusieurs difficultés (Moser et Ekstrom, 2010). Tout d’abord, le terme d’adaptation reste globalement assez imprécis et donne lieu à diverses interprétations, ce qui freine sa traduction en stratégies opérationnelles (Simonet, 2015). Ensuite, si la mise en œuvre des politiques d’atténuation s’appuyait sur des cadres préexistants (plans d’urbanisme, de politiques de transport ou encore de lutte contre la pollution de l’air), ce n’est pas le cas des politiques d’adaptation qui ne disposent pas de bases préfabriquées (Bulkeley et Betsill 2003; Bertrand et Richard, 2014) et sont donc à construire de toutes pièces. La ville considérée comme un système intégré permet la mise en œuvre d’actions cohérentes à l’échelle urbaine mais peut aussi être à l’origine d’inerties dans les réponses à apporter aux effets du changement climatique en lien avec la lourdeur de la bureaucratie municipale et la définition des priorités politiques locales (Bulkeley, 2010). Enfin, cette vision de la ville reste toute théorique dans la mesure où, notamment dans les pays en développement, une partie de la croissance urbaine se fait de façon informelle et donc peu maîtrisée. Ce sont ainsi surtout les villes riches qui peuvent aujourd’hui mettre en œuvre des politiques ambitieuses d’adaptation au changement climatique (Davis, 2002). Elles sont des acteurs puissants qui disposent de moyens d’action importants.

13 “municipalities, private and civil society actors seek to demonstrate, experience, learn and challenge what it might mean to respond to climate change through a multiplicity of interventions, projects and schemes”.

5. Critiques de l’adaptation au changement climatique : un concept