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Chapitre 2 – Changements environnementaux et rapports de pouvoirs : une approche de political ecology

3 Les critiques de la political ecology

La political ecology a été confrontée à trois principales critiques. La première concerne la part de plus en plus réduite attribuée aux enjeux proprement écologiques. Certains travaux insistent sur le fait que la political ecology est parfois réduite à une analyse des politiques à l’égard de l’environnement (Vayda et Walters, 1999 ; Bassett et Zimmerer, 2003 ; Walker, 2005). On peut sans doute considérer cette critique comme dépassée aujourd’hui, dans la mesure où certaines études continuent d’apporter une attention particulière aux processus écologiques à l’œuvre dans les situations qu’elles étudient (Bouleau, 2017). D’autres auteurs revendiquent pleinement leur appartenance à la radical political ecology, un pan qui assume plus clairement son détachement de l’héritage de sciences de l’environnement (Heynen et al., 2006 ; Blanchon et Graefe, 2012).

La deuxième critique vise justement la diversité des travaux de political ecology qui amène P. Walker (2006) à se demander si la political ecology ne ressemblerait pas de plus en plus à « un étalement intellectuel désarticulé auquel on aurait collé une étiquette accrocheuse30 ». En réponse, P. Robbins (2012) considère la political ecology comme une « communauté de pratiques31 » qui se caractérise par « un type de discussion, de texte ou

not slake the thirst of a burgeoning global pop nor alter the recklessness of every other modern consumer. On the other hand, control has been ceded to new technocratic elites and the gadgets they wield. In these figures, we invest our hopes for any kind of alternative. It is them who will build our low-carbon cities, based on assessments of carbon outputs and the abstract quantification of qualities of life”.

30 “ political ecology may come to appear as little more than disarticulated intellectual sprawl under a catchy label”.

de récit, [qui nait] des efforts de recherche pour exposer les forces à l'œuvre dans les luttes écologiques et documenter les alternatives de subsistance face aux changements32».

Enfin, la dernière critique vient de ce que la political ecology n’a jusque-là trouvé que peu d’écho auprès des gestionnaires, des activistes ou plus largement dans la société civile (Walker, 2006 ; 2007). En effet, revendiquant une approche complexe et hybride, elle se heurterait à sa propre capacité limitée à proposer des récits alternatifs qui fonctionnent aussi bien que ceux qu’elle déconstruit, que ce soit la « bombe démographique », « la tragédie des communs » ou encore « la main invisible du marché ». Mais comme se rétorque à lui-même P. Walker (2006), « il n’y a aucune raison pour que la political ecology ne puisse pas raconter de bonnes histoires elle aussi33 »…

En France, si un grand nombre de géographes proposent de mobiliser l’approche de la political ecology pour proposer une géographie de l’environnement renouvelée (Blanchon et Graefe, 2012 ; E. Comby, 2015 ; Chartier et Rodary, 2016 ; Flaminio, 2018 ; Drapier, 2019), elle a cependant été critiquée par L. Laslaz dans un article paru en 2017 dans la revue L’Espace politique sous le titre « Jalons pour une géographie politique de l’environnement ». Dans cet article, L. Laslaz veut montrer que la géographie française possède déjà les outils et concepts nécessaires à des analyses pertinentes des questions environnementales. S’appuyant sur l’ouvrage de C. Raffestin (1980), Pour une géographie du pouvoir, et s’inscrivant dans le cadre de la géographie politique, il montre que l’étude des rapports de pouvoir dans les problématiques environnementales pourrait donc s’appuyer avant tout sur le riche héritage de la géographie française. C’est pourquoi L. Laslaz propose une géographie environnementale, détachée de « la tutelle de la political ecology », qui serait une géographie politique de l’environnement. Il la définit ainsi :

la branche de la géographie, et plus spécifiquement de la géographie politique, qui analyse les phénomènes spatiaux (l’espace entendu comme social ici) relatifs à l’environnement, ce qui implique l’étude des programmes et des planifications, des actions et des réglementations conditionnant l’être ensemble des sociétés dans leur rapport à l’environnement. Elle s’intéresse aux acteurs et à leurs stratégies d’intervention, de déploiement et d’opposition, à leurs rapports de force et de pouvoir, puisque la construction sociale de l’environnement ne peut supposer que ce dernier soit un acquis consensuel.

32 “ a kind of argument, text or narrative, born of research efforts to expose forces at work in ecological struggles and document livelihood alternatives in the face of changes”.

On retrouve bien ici les propositions de la political ecology (voir aussi Blot et Besteiro, 2017 qui comparent political ecology et analyse relationnelle telle que proposé par Raffestin). Cependant, la différence notoire réside, d’après l’auteur, dans ce que le géographe qui réfléchit en termes de géographie politique de l’environnement est dans une position « dégagée » vis-à-vis de son objet d’étude, alors que la political ecology serait porteuse d’une « ambition à la fois scientifique, politique, et citoyenne » et d’idéologies qui traduirait donc « un parti pris initial extra-scientifique ». En effet, ainsi que le reconnait J. Clark (2001), il y a un risque de dogmatisme dans l’approche de political ecology qui peut cependant être corrigé par la mise en œuvre d’une « critique qui soit à la fois impitoyable [par la solidité des méthodes qu’elle emploie, et la rigueur de l’analyse] et bienveillante34 [notamment en prêtant attention à d’autres perspectives, à d’autres idées] ».

Pour ma part, il me semble intéressant de retenir que mobiliser les outils et les concepts de la political ecology permet d’entrecroiser géographique politique – étude des relations de pouvoirs (Raffestin, 1980 ; Rodary, 2003) – et géographie sociale – analyse des inégalités mais aussi des représentations (Di Méo, 2016) – pour considérer l’environnement comme un problème politique et un construit socio-culturel.