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3.2 L’´evolution de l’analyse musicale

3.3.1 Les techniques transformationnelles

La vision structuraliste que porte l’´evolution mettant l’accent non plus sur les objets ´etudi´es mais sur les relations entre les objets touche aussi la th´eorie et l’analyse musicale.

L’apparition du concept de structure en math´ematiques, allant jusqu’`a engen- drer de nouvelles th´eories (comme la th´eorie de cat´egories [EM45]), mais surtout en linguistique, bien qu’ind´ependants dans leur nature et leur conception vis-`a-vis des th´eories qui se d´eveloppent en musique, ont influenc´e certains travaux d’ordre musicologique.

Ici apparaissent deux approches de l’analyse (de l’analyste mˆeme) d´ecrites par le s´emioticien Qu´er´e qui souligne la complexit´e engendr´ee par ce point de vue, que ce soit par les possibilit´es de cr´eer un grand nombre de segments ou de relations :

≪La structure, en fin de compte, est un pari comme un autre, ax´e fon-

damentalement sur la dialiectique du connu et de l’inconnu, laquelle se double concr`etement de l’opposition et du cheminement entre le (plus) simple et le (plus) complexe. Aux contraintes qu’elle se donne (crit`eres d’ad´equation, principe d’empirisme), la structure ajoute ces fac¸ons qu’elle a d’affiner sa repr´esentation et d’´etendre son efficace. Deux grandes orientations se dessinent ici, l’une qui multiplie les ar- ticulations et les agencements, et l’autre qui transforme la taxinomie en topologie dynamique o `u les termes – les valeurs – sont affaire de positions et de parcours [. . . ] Le risque alors, s’il existe, n’est pas dans le simplisme ; il serait plut ˆot dans la complication `a outrance≫[Qu´e92].

L’analyse paradigmatique, d´efinie par le linguiste Ruwet [Ruw72], envisage le code musical sous un double aspect : l’aspect taxinomique concernant l’inventaire des ´el´ements constitutifs de ce code et l’aspect fonctionnel qui cherche `a trouver des r`egles de combinaison et de transformation entre eux. Cette d´emarche s´emiotique, o `u la proc´edure de segmentation sur des crit`eres param´etriques d’´equivalence (r´ep´etition et transformation) fait donc ´echo `a la Set Theory.

Un des repr´esentants majeurs de la d´emarche s´emiotique en musique est Jean- Jacques Nattiez. Nous montrons un exemple reprenant les id´ees de Ruwet avec pour objectif la r´ealisation d’une analyse paradigmatique de Syrinx de Debussy [Nat75], dont nous pr´esentons la partition sur la figure 3.7 et l’analyse correspon- dante sur la figure 3.8

Les diverses unit´es relev´ees par Nattiez ne sont pas des entit´es statiques, comme le voudrait une conception purement taxinomique de la forme musicale, mais sont plut ˆot des structures variables qui se transforment tout au long de la pi`ece. Elles sont regroup´ees en classes m´elodiques (d´esign´ees par les lettres A, B, C, D et E) qui sont form´ees sur la base des crit`eres de transformation et d’´equivalence m´elodique et rythmique.

Figure 3.7 – Syrinx de Debussy pour fl ˆute. Les fl`eches repr´esentent les points de segmentation des motifs utilis´es par Nattiez tir´e de [Nat75].

Figure 3.8 – Les classes m´elodiques A, B, C, D et E donn´ees par l’analyse paradig- matique de Syrinx de Debussy pour fl ˆute effectu´ee par Nattiez tir´e de [Nat75].

Figure 3.9 – Un extrait d’une analyse d’un chorale de Bach suivant les principes de la th´eorie g´en´erative tonale repr´esentant un arbre prolongationnel, structure hi´erarchique, tir´e de [Ler04].

Le concept de transformation cependant n’est jamais formul´e rigoureusement dans ce cadre analytique et reste grandement d´ependant de crit`eres propres `a l’analyste pas toujours explicit´es.

L’influence linguistique, et plus particuli`erement de Noam Chomsky12 a

d´ebouch´e sur la cr´eation d’une grammaire g´en´erative dont la conception th´eorique est d’´elaborer des mod`eles des langues et du langage pour s’´eloigner d’une vision de la linguistique se contentant d’´etablir des classifications d’´el´ements. Cette no- tion, li´ee aux m´ecanismes perceptifs, sera l’hypoth`ese de d´epart de l’approche g´en´erative de Fred Lerdahl et Ray Jackendoff [LJ85]. Leur th´eorie g´en´erative de la musique ´etablit des r`egles de regroupement et de pr´ef´erences bas´ees sur les principes tonaux et d´ecrit une structure hi´erarchique de la musique sous forme d’arbre prolongationnel dont nous montrons un exemple sur la figure 3.9.

12. Qui cr´ea par ailleurs une grammaire transformationnelle qui n’a pas de lien avec son pendant musical.

Figure 3.10 – Le Tonnetz, mod`ele g´eom´etrique de l’espace des hauteurs de Riemann, tir´e de [Rie14].

La th´eorie transformationnelle dans le cadre tonal

Le th´eoricien Hugo Riemann propose au d´ebut du XXe si`ecle un mod`ele

g´eom´etrique de l’espace des hauteurs dans le cadre tonal, le Tonnetz (figure 3.10 [Rie14], avec les hauteurs en notation allemande). Cette grille repr´esente un pa- vage par les classes de hauteurs en d´ecoupant l’espace en quintes pythagoriciennes au niveau horizontal, et en le divisant en lignes obliques de tierces majeures et mineures.

Sur cette repr´esentation s’est d´evelopp´ee une th´eorie transformationnelle to- nale, appel´ee th´eorie n´eo-riemannienne [Coh98] dont une approche compl`ete a ´et´e pr´esent´ee par Edward Gollin [Gol00]. L’espace analytique permet d’envisager des parcours qui d´efinissent des r´eseaux dont un exemple est montr´e sur la figure 3.11.

Figure 3.11 – Un exemple de r´eseau analytique dans l’analyse n´eo-riemanienne tir´e de [Pec07], o `u les sommets repr´esentent des classes de hauteurs li´ees entre elles par des transpositions ou inversions.

La th´eorie transformationnelle dans le cadre atonal

La perspective transformationnelle dont David Lewin est `a l’origine [Lew82a] veut proposer un cadre int´egrant les concepts de la Set Theory en les g´en´eralisant avec des outils alg´ebriques. Son Syst`eme d’Intervalles G´en´eralis´es (Generalized Interval System ou GIS en anglais) qui est le fondement de sa th´eorie s’applique aussi bien aux hauteurs et aux rythmes, qu’`a d’autres objets musicaux tels des fonc- tions tonales ou des profils m´elodiques. Voici comment Lewin voit cette intention analytique :

≪D’une certaine fac¸on, pour des raisons historico-culturelles, il est

plus facile pour nous d’entendre des ≪intervalles≫ entre objets indi-

viduels que d’entendre les relations transpositionnelles entre eux [. . . ] Nous avons tendance `a concevoir les objets primaires de notre espace musical comme des ´el´ements atomiques individuels plut ˆot que des ph´enom`enes articul´es dans un contexte musical, comme des ensembles, des s´eries m´elodiques, etc.13 [Lew82a].

Il faut pr´eciser que cette formalisation s’applique aussi bien `a l’analyse tonale qu’atonale. Pour clarifier et pour reprendre un terme d´ej`a employ´e, devrions-nous dire que Lewin pose les bases d’une th´eorie transformationnelle

≪syst´ematique≫ car elle ne s’appuie pas sur un genre ou un style particulier

musical, contrairement `a la th´eorie n´eo-riemanienne.

Figure 3.12 – Un exemple de r´eseau transformationnel tir´e de [Lew82b], I, K et J d´esignant des inversions. L’ensemble de classes de hauteurs de d´epart est l’ensemble nomm´e X.

En se replac¸ant dans le cadre de la Set Theory, la port´ee graphique et dyna- mique de l’analyse transformationnelle apparaˆıt sur un r´eseau qui place clairement le concept de transformation dans le processus d’analyse (figure 3.12), contraire- ment `a une analyse statique qui ´enum`ere et rep`ere les ´el´ements du catalogue `a l’instar d’Allen Forte. Dans cette derni`ere, l’analyse s’apparente `a une d´emarche taxinomique o `u l’analyse d´eploie un r´eseau de relations ensemblistes. D´esormais, elle acquiert un caract`ere ≪op´erationnel≫ qui met en ´evidence des propri´et´es

structurelles entre ensembles de classes de hauteurs uniquement en termes de transformations.

Bien que la Set Theory puisse ˆetre interpr´et´ee `a l’int´erieur d’un paradigme alg´ebrique [And03], cette approche reste attach´ee `a la notion d’ensemble plut ˆot que de structure. La th´eorie transformationnelle permet de se focaliser sur cette notion de transformation li´e au caract`ere alg´ebrique de la formalisation de Lewin. Cette perspective offre alors une utilit´e d´ecisive dans la lecture analytique d’œuvres atonales [Str03] pour lesquelles les th´eories musicales ant´erieures ne fournissaient pas d’outil appropri´e (tout en rappelant que cette m´ethode a un sens en musique tonale, cf. la th´eorie n´eo-riemannienne issue de ces consid´erations).

Figure 3.13 – La repr´esentation type nœuds/liens et la matrice d’adjacence du mˆeme graphe.