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CHAPITRE 2 : FIGURES DU DESTINATAIRE

2. Des traces du destinataire en fonction des types de signes

2.2. Les signes visuels

2.2.2. Les systèmes de connotation

Sur cette sous-partie nous allons nous baser sur deux articles de Barthes, l’un « Le message photographique » (1961) et l’autre « Rhétorique de l’image » (1964). Ce qui nous intéresse ici, est surtout de soulever sa méthode d’analyse, en particulier, appliquée à l’image publicitaire et à l’image de presse. Ceci sera précédé d’un bref rappel de sa théorie des systèmes de connotation (1985).

Dans l’introduction de « L’aventure sémiologique », Barthes (1985) explique trois moments de l’histoire de cette discipline. Le premier correspond à l’émerveillement pour traiter la critique idéologique, le deuxième concerne le besoin de fonder la sémiologie en tant que science au sens de sa systématisation, et le troisième est le texte qui, selon Barthes (1985) :

« Se distingue fondamentalement de l’œuvre littéraire : ce n’est pas un produit esthétique, c’est une pratique significative ; ce n’est pas une structure, c’est une structuration ; ce n’est pas un objet, c’est un travail et un jeu ; ce n’est pas un ensemble de signes fermés, doué d’un sens qu’il s’agirait de retrouver, c’est un volume de traces en déplacement ; l’instance du texte n’est pas la signification, mais le signifiant » (Barthes, 1985 : 13).

Au cours de l’introduction l’auteur reprendra les explications sur le signe de Saussure et Hjelmslev pour parvenir à sa propre définition. Cela nous renvoie notamment à un système de signification qui réunit les concepts de connotation et dénotation. Barthes (1985) déclare que :

« Tout système de signification comporte un plan d’expression (E) et un plan de contenu (C) et que signification coïncide avec la relation (R) des deux plans : E R C […]. Un tel système E R C devient à son tour le simple élément d’un second système, qui lui sera de la sorte extensif ; on aura ainsi affaire à deux systèmes de signification imbriqués l’un dans l’autre, mais aussi décrochés l’un par rapport à l’autre » (Barthes, 1985 : 76-77).

D’après lui, la connotation est un système composé de signifiants et signifiés. D’une part, signifiants de connotation (ou connotateurs), constitués par des signes du système dénoté. Plusieurs signes peuvent former un seul connotateur, « par exemple, pour le ton d’un texte, fait de mots multiples, mais qui renvoie cependant à un seul signifié » (Barthes, 1985 : 78). D’autre part, le signifié de connotation est constitué de fragments d’idéologie, il est généralement global et diffus. Il est en rapport avec la culture, le savoir, l’histoire.

Barthes (1985) déclare que l’objectif de la recherche en sémiologie est précisément « de reconstituer le fonctionnement des systèmes de signification autres que la langue selon le

projet même de toute activité structuraliste, qui est de construire un simulacre des objets observés » (Barthes 1985 : 80).

Dans l’article, « Le message photographique » Barthes (1961) commence par dire que la photographie de presse est un message parce qu’elle possède un émetteur, un canal et un récepteur. D’après Barthes (1961), parmi les composants du message, l’émission et la réception relèvent ponctuellement de la sociologie car « il s’agit d’étudier des groupes humains, de définir des mobiles, des attitudes et d’essayer de lier le comportement de ces groupes à la société totale dont ils font partie » (Barthes, 1961 : 127). Quant à son intérêt, qui rappelons-le n’est pas notre optique, il est placé dans le message lui-même. C’est ainsi le cas de la photographie mais aussi du texte qui l’accompagne (le titre, la légende ou l’article). En bref, pour cet auteur, la photographie est comprise comme un objet autonome observable sur la base d’une analyse immanente.

Dans ce cadre, l’analyse « doit porter d’abord sur chaque structure séparée ; ce n’est que lorsque l’on aura épuisé l’étude de chaque structure, que l’on pourra comprendre la façon dont elles se complètent » (Barthes, 1961 : 128).

Or le message de l’image photographique63 est composé d’un message dénoté (l’analogon) et d’un message connoté compris comme un message supplémentaire, « il s’agit là d’un sens second, dont le signifiant est un certain « traitement » de l’image sous l’action du créateur, et dont le signifié, soit esthétique, soit idéologique, renvoie à une certaine

« culture » de la société qui reçoit le message » (Barthes, 1961 : 128). L’auteur détaille ainsi les procédés de connotation64 :

Truquage : ici Barthes (1961), à travers l’exemple de la photo truquée montrant un dialogue entre un sénateur et un leader communiste, explique que la photographie truquée fait passer, « comme simplement dénoté un message qui est en fait fortement connoté ; dans aucun autre traitement, la connotation ne prend aussi complètement le masque « objectif » de la dénotation » (Barthes, 1961 : 131). Dans cet exemple, le code de connotation est historique car pour l’électorat américain la familiarité des       

63Néanmoins, « l’image n’est pas le réel ; mais elle en est du moins l’analogon parfait » (Barthes, 1961 : 128), il fait référence au paradoxe photographique. Selon Barthes (1961), pour la photographie il est difficile de développer ce message connoté (second) car elle offre comme une mécanique du réel, en étant objective. C’est pour cette raison que « la description d’une photographie est à la lettre impossible […] décrire, ce n’est donc pas seulement être inexact ou incomplet, c’est changer de structure, c’est signifier autre chose que ce qui est montré » (Barthes, 1961 : 129).

64Nous allons surtout les utiliser ces procédés de connotation, plus ou moins évidents, pour analyser les photographies des spectacles de théâtre.

interlocuteurs est reprochable, le signifiant de cette photographie étant l’attitude de conversation entre les deux personnages.

Pose : sur la base d’une photo de campagne de Kennedy sur laquelle le candidat prend la pose en priant. Barthes signale que dans ce cas :

« C’est la pose même du sujet qui prépare la lecture de signifiés de connotation : juvénilité, spiritualité, pureté ; la photographie n’est évidemment signifiante que parce qu’il existe une réserve d’attitudes stéréotypées qui constituent des éléments tout faits de signification (regard au ciel, main jointes) » (Barthes, 1961 : 131).

Objets : dans ce cas, le sens connoté surgit de la pose des objets photographiés qui provoquent une association d’idées, par exemple dans une photographie de François Mauriac pour Paris Match les objets tels que : une fenêtre ouverte sur des toits de tuile, un paysage de vignoble, un album de photographies, une loupe, un vase de fleurs etc…, forment une composition sur le thème des attaches terriennes de Mauriac (développée dans le texte qui accompagne la photo). Ici, « la connotation « sort » en quelque sorte de toutes ces unités signifiantes, cependant « captées » comme s’il s’agissait d’une scène immédiate et spontanée, c’est-à-dire insignifiante » (Barthes, 1961 : 132).

Photogénie : dans ce cas « le message connoté est dans l’image elle-même,

« embellie » (c’est-à-dire en général sublimée) par des techniques d’éclairage, d’impression et de tirage » (Barthes, 1961 : 132). Des effets signifiants comme le flou sont toujours porteurs de sens.

Esthétisme : à travers l’exemple de la photo de Cartier-Bresson du Cardinal Pacelli, Barthes (1961) explique comment le photographe « a construit la réception du Cardinal Pacelli par les fidèles de Lisieux comme un tableau d’ancien maître […]. [Car] la photographie renvoie (malicieusement) à l’idée même de tableau » (Barthes, 1961 : 133).

Syntaxe : il s’agit des séquences photographiques. Ici « le signifiant de connotation ne se trouve plus alors au niveau d’aucun des fragments de la séquence, mais à celui (suprasegmental, diraient les linguistes) de l’enchaînement) » (Barthes, 1961 : 133).

Par ailleurs, Barthes (1961) traite les rapports entre texte et image sous forme de trois remarques principales. La première est que le texte connote l’image et qu’en ce sens

« l’image n’illustre plus la parole ; c’est la parole qui, structurellement, est parasite de l’image » (Barthes, 1961 : 134). La deuxième est que la connotation dépendra également du

texte, « plus la parole est proche de l’image, moins elle semble la connoter » (Barthes, 1961 : 134), par exemple la légende d’une photographie participe à sa dénotation, le texte double l’image. La troisième traite sur l’impossibilité de doubler l’image, il peut amplifier la connotation ou produire un nouveau signifié « car dans le passage d’une structure à l’autre s’élaborent fatalement des signifiés seconds » (Barthes, 1961 : 135). Plus tard, Barthes (1964) parlera plutôt des fonctions entre texte et image, à savoir d’ancrage et de relais. La première fonction, d’ancrage, traite du fait que toute image est polysémique il existe des techniques comme le message linguistique pour aider à choisir le bon niveau de perception, donc de faire un ancrage. La deuxième fonction de relais signale que texte et image sont dans un rapport complémentaire, « les paroles sont alors des fragments d’un syntagme plus général, au même titre que les images et l’unité du message se font au niveau supérieur » (Barthes, 1964 : 45). Or ces cas sont plutôt observés au cinéma, dans les dessins humoristiques ou bandes dessinées.

L’auteur conclut en rappelant que le code de connotation est historique ou culturel,

« les signes y sont des gestes, des attitudes, des expressions, des couleurs ou des effets, doués de certains sens en vertu de l’usage d’une certaine société » (Barthes, 1961 : 135). Autrement dit, le lien entre signifiant et signifié (la signification) est historique tout en dépendant du savoir du lecteur.

Dans « Rhétorique de l’image » Barthes (1964) étudie en particulier l’image publicitaire qui a la caractéristique d’être intentionnelle. Sur la base de la publicité de Panzani, Barthes (1964) commence par répertorier les signes, d’abord, les messages linguistiques ensuite les images symboliques. Tout d’abord, les messages linguistiques sont la légende, les étiquettes. En particulier le signe Panzani est un message double (constitué d’une dénotation et d’une connotation) qui livre « par son assonance, un signifié supplémentaire qui est, si l’on veut, l’ « italianité » » (Barthes, 1964 : 41). Ensuite, concernant les signes iconiques codés, il soulève : le retour du marché, qui a une valeur de fraîcheur des produits ainsi que de préparation ménagère ; et les signes comme la tomate, le poivron, les couleurs jaune, vert, rouge de l’affiche, qui sont le signifié de l’Italianité ; le rassemblement des objets a la valeur d’un service culinaire total « comme si d’une part, Panzani fournissait tout ce qui est nécessaire à un plat composé, et d’autre part, le concentré de la boîte égalait les produits naturels qui l’entourent » (Barthes, 1964 : 41) ; puis la scène évoque les peintures alimentaires, c’est la nature morte, le signifié est donc esthétique.

En bref, ces signes « forment un ensemble cohérent, car ils sont tous discontinus, obligent à un savoir généralement culturel et renvoient à des signifiés dont chacun est global

(par exemple, italianité), pénétré de valeurs euphoriques » (Barthes, 1964 : 42). Une troisième matière en dehors de la linguistique et des images précédemment citées, est représentée par les objets réels de la scène ou le message littéral, appelé par Barthes (1964) l’iconique non codée qui s’attache seulement à la perception de l’image et non à une connaissance historique ou culturelle comme c’était le cas pour les signes précédents. En résumé, selon cet auteur :

« Ce que spécifie ce troisième message, c’est en effet que le rapport du signifié et du signifiant est quasi-tautologique ; sans doute la photographie implique un certain aménagement de la scène (cadrage, réduction, aplatissement), mais ce passage n’est pas une transformation (comme peut l’être un codage) ; il y a ici perte de l’équivalence (propre aux vrais systèmes de signes) et position d’une quasi-identité » (Barthes, 1964 : 42).

Cependant, Barthes (1964) explique qu’il est impossible de séparer ces deux messages (culturel et littéral) car « le message littéral apparaît comme le support du message

« symbolique » » (Barthes, 1964 : 43), la distinction est alors seulement opératoire car l’image est composée d’une caractéristique littérale (dénotée), ainsi que de l’image symbolique (connotée).

D’ailleurs, d’après lui, un message littéral s’obtient quand on enlève les signes de connotation, cependant les messages symboliques peuvent imprégner toute l’image :

« Les interventions de l’homme sur la photographie (cadrage, distance, lumière, flou, filé, etc.) appartiennent toutes en effet au plan de connotation ; tout se passe comme s’il y avait au départ (même utopique) une photographie brute (frontale et nette, sur laquelle l’homme disposerait, grâce à certaines techniques, les signes issus du code culturel » (Barthes, 1964 : 46-47).

De plus, et comme dans le cas de l’affiche de Panzani, la connotation se naturalise dans l’image dénotée. Pour conclure, l’auteur rappelle que même face à la variabilité de lectures qui peuvent exister la lecture n’est par anarchique, « elle dépend des différents savoirs investis dans l’image (savoirs pratique, national, culturel, esthétique) et ces savoirs peuvent se classer, rejoindre une typologie » (Barthes, 1964 : 48). Le problème qui apparaît ici est l’absence d’un langage particulier pour exprimer ces signifiés. Voilà pourquoi Barthes (1964) propose de faire des inventaires des systèmes de connotation, soit d’images, de paroles, d’objets, de comportements.

Nous voudrions ajouter quelques réflexions de Joly (2005) dans « L’image et les signes » qui à notre avis, enrichit l’approche de Barthes, en proposant des catégories pour étudier la composition interne du message visuel, en particulier du message publicitaire :

Composition axiale : présente le produit dans l’axe du regard et au centre du message.

Composition focalisée : présente le produit décentré, ce qui peut jouer avec la surprise du spectateur.

Composition séquentielle : elle organise un parcours du regard sur l’ensemble de l’annonce par exemple, en partant du haut à gauche, haut à droite pour arriver en bas à gauche et en bas à droite. Selon Joly (2005), ce type de message est métaphorisant, afin d’attribuer des qualités au produit.

Angle de prise de vue : il est susceptible de surprendre ou non les attentes du spectateur, typiquement la plongée écrasante et la contre-plongée magnifiante.

La pose du modèle : cela dépendra notamment de l’interprétation que l’on fait vis-à-vis des signes culturels (codes des objets, des vêtements, des lieux, etc…). La pose de face avec le regard tourné vers le spectateur par exemple, suscite davantage l’implication du spectateur et cherche à provoquer son adhésion. La pose de profil, accentuera la position du spectateur, qui a l’impression d’assister à un spectacle ou peut servir à narrativiser l’image fixe, il la place entre un avant et un après.

Tout comme Barthes, Joly (2005) s’intéresse aux rapports entre texte et image, en en distingue trois, à savoir le rapport de congruence, et non de redondance à la différence de Barthes, car pour elle, les signes n’ont pas de significations fixes ; le rapport d’opposition, sur la base de la surprise il peut y avoir une prolifération de la signification globale du message ; et le rapport de prédominance, cela dépendra des contextes de contrats de communication.

Même si ces catégories sont pensées pour le message publicitaire, nous considérons qu’elles peuvent être extrapolées à d’autres messages. Dans notre cas les photographies du spectacle dans les sites d’internet, les affiches, ainsi que les vidéos.