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CHAPITRE 2 : FIGURES DU DESTINATAIRE

2. Des traces du destinataire en fonction des types de signes

2.2. Les signes visuels

2.2.4. Les effets des images

Dans cette partie, nous voudrions surtout présenter comment il est possible de dépasser la disjonctive classique d’une part, sur l’analyse des images comprises comme des textes : Qu’est-ce que les images signifient ?, et d’autre part, sur les effets que les images peuvent provoquer : Comment est-ce que les images nous influencent ? Pour ça, l’approche d’Arquembourg (2010) nous semble pertinente, au sens, qu’elle permet de répondre à la question Comment est-ce que nous communiquons au moyen des images ? Son but est « de restituer les images au cœur des interactions et des échanges communicationnels pour lesquels elles constituent des signes » (Arquembourg, 2010 : 165). Autrement dit, l’enjeu des significations et des effets consiste à « se demander ce que les images accomplissent dans les interactions, ce qu’elles « performent » au sens le plus large du terme » (Arquembourg, 2010 : 165).

A cet effet, Arquembourg (2010) propose de questionner les deux termes clés que sont les effets et la signification. Pour parler des effets, elle fait appel à aux actes de parole d’Austin. Pour rappel, Austin « va passer d’une catégorisation des verbes [constatifs et performatifs, primaires et explicites] à une catégorisation des actes de parole que l’auteur répartit en trois groupes : les actes locutoires, illocutoires et perlocutoires67 » (Arquembourg, 2010 : 167-168). La question des effets s’avère ici cruciale, on va donc distinguer entre effets des performances illocutoires, conséquences et objectifs des actes perlocutoires, ainsi que leurs suites ou réponses.

Selon Arquembourg (2010), « l’achèvement d’un acte illocutoire entraîne, de fait, des effets » (Arquembourg, 2010 : 168), il est essentiel d’être compris et pour cela la signification (sens + référence) et la valeur (la manière dont l’acte doit être interprété) sont vitaux. D’ailleurs, effets et conséquences diffèrent des suites. D’après Arquembourg (2010), il s’agit d’une réponse faite à ces actes et, « dans l’acte illocutoire la suite, c’est-à-dire la réponse, est totalement disjointe de l’acte d’énonciation par un locuteur. Les perlocutoires sont plus complexes à analyser car ils peuvent comporter des objectifs et produire des suites

      

67Pour rappel, l’acte illocutoire accomplit quelque chose en le disant ; en disant cela, je l’avertissais d’un danger ; cela se joue sur les effets et c’est instantané ; il s’agit d’une action sur l’énonciation.

L’acte perlocutoire, effectue quelque chose par le fait de dire ; par le fait de dire cela, je le convainquis d’un danger ; cela se joue sur les conséquences et c’est dans un deuxième temps ; il s’agit d’une action sur les choses (Arquembourg, 2010).

distinctes de ces objectifs » (Arquembourg, 2010 : 169). Comme par exemple le compliment, l’aveu et le mensonge68, où compréhension de l’acte de parole est vitale.

D’après Arquembourg (2010), « la valeur d’un acte de parole est coproduite par les interactants […]. On pourra alors se demander quels indices sont produits par le locuteur au sujet de la manière dont ce qu’il énonce doit être interprété et comment l’allocutaire s’empare de cette valeur » (Arquembourg, 2010 : 171). A cet effet, Arquembourg (2010) intègre les images à cette théorie du langage au sens large69, afin de comprendre « ce que les images font à des sujets engagés dans des activités communes. L’accord sur les conséquences est ici fondamental car c’est lui qui détermine la signification » (Arquembourg, 2010 : 173).

Par ailleurs, en ce qui concerne la définition de l’image comprise comme un signe, l’auteure s’inspire de la théorie de Peirce dont nous allons rappeler deux idées. La première étant que selon Peirce, « tout peut faire signe, une main qu’on agite au départ d’un train, une girouette qui tourne au vent, aussi bien qu’un symbole mathématique. Mais tout ne fait pas signe de la même façon, ni pour les mêmes raisons » (Arquembourg, 2010 : 173), rappelons-nous de la triade, priméité, secondité, tiercéité. La seconde idée est que d’après Peirce :

« Le signe est défini par ce qu’il fait, c’est-à-dire rendre présentes certaines des qualités de son référent, indiquer quelque chose ou relier des phénomènes par une règle, loi ou habitude. Un signe se range dans telle ou telle catégorie, non pas de manière intrinsèque et par nature, mais en vertu de ce qu’il accomplit » (Arquembourg, 2010 : 175-176)

Rappelons- nous ici de la triade des catégories, icône, indice et symbole. L’image peut donc faire icône mais aussi indice ou symbole, cela va dépendre, au sens de Dewey, de la communauté d’action investie dans une activité commune (Arquembourg, 2010).

En s’intéressant au contexte de la guerre en Irak en 2003 et la révélation faite par la télévision irakienne et puis par Al Jazeera, de la capture de prisonniers américains dont l’opinion publique américaine ne connaissait pas l’existence, l’auteure analyse une séquence       

68Le compliment, ne doit pas se faire à travers des performatifs explicites ou des indices trop appuyés pour le garantir, sinon on risque de tomber dans la flatterie ; dans le cas de l’aveu, les effets, les conséquences et la suite dépendront des circonstances d’énonciation, pensons aux aveux publics sur une scène policière ou judiciaire ; dans le cas du mensonge le locuteur doit produire des indices d’assertion vrais, pour l’allocutaire, la découverte de la vérité repose sur le sens de l’énoncé et sur la valeur.

69D’après une définition plus large du langage inspirée de Dewey qui inclut « un grand nombre d’existences physiques qui ne se réduisent pas aux mots » (Arquembourg, 2010 : 172), les rites, les cérémonies, les monuments et les produits des arts industriels et des beaux-arts. Cela permettra d’étudier « les comportements communs qui sont déterminés par le langage. La signification des termes serait à chercher dans ce que cela fait à des sujets, mais aussi dans la manière dont ils

du journal télévisé du 20 heures de France 2 où ont été divulguées ces images provenant de la télévision irakienne ainsi qu’un fragment de la télévision américaine dans lequel les images n’avaient pas encore montrées, en concluant sur comment la dimension symbolique est prise en compte plus que l’indiciel des images. Ceci est notamment lié au fait de rendre public, elle dit :

« Le fait de rendre public constitue un acte de langage particulier, plus proche d’un acte illocutoire que d’un acte perlocutoire, et dont l’efficacité est garantie par l’existence d’un appareillage sociotechnique et politique à la fois vaste et complexe. Cet acte ne peut prendre effet que pour autant que des communautés d’action sont concernées, en l’occurrence, des publics » (Arquembourg, 2010 : 184).

Pour l’auteure cela s’insère plus largement dans le fait que les images ne sont pas seulement descriptives, et qu’au contraire elles portent des actes de langage comme : prévenir, dénoncer, avertir, etc., et le fait de rendre public est très proche d’un acte illocutoire. De plus, tout dépendra de l’usage que la communauté d’action fera des images :

« Chaque public ne réagit pas tant aux images en elles-mêmes qu’aux actes dont elles sont partie prenante et aux objectifs réels ou supposés qu’ils imputent aux auteurs de ces actes.

L’image alors devient éloquente dans le cadre d’engagements communs, de références et d’histoires communes, de droits et d’obligations mutuels » (Arquembourg, 2010 : 186).

A travers cette analyse Arquembourg (2010) montre, entre autres, que les théories d’Austin et de Peirce sont appropriées pour aborder ce qu’elle appelle l’action des images.

En bref, comme nous avons pu le voir tout au long de cette partie, les auteurs cités vont prendre en compte différents aspects du signe afin de théoriser et de trouver des outils d’analyse différents en fonction de leur point de vue. Malgré les divergences, tous s’accordent sur le fait que la sémiotique ne recouvre pas seulement l’étude des formes de production des signes langagiers, mais aussi les images comprises comme des signes, par exemple « une photographie (signifiant) représentant un joyeux groupe de personnes (référent) peut signifier, selon le contexte, « une photo de famille » ou, dans une publicité,

« joie » ou « convivialité » (signifiés) » (Joly, 2014 : 27).

Nous avons commencé par la théorie de Peirce (1978), qui s’intéresse tout d’abord aux faits de l’expérience lui permettant de faire l’analogie du fonctionnement de la théorie sémiotique. Il décompose le processus sémiotique (ou semiosis) en trois aspects qui sont le

signe, l’objet et l’interprétant. En fonction du rapport qu’établit le signe avec l’objet, Peirce (1978) sépare en icône, indice et symbole les différents types de signes. Cette trilogie peut servir à l’analyse des signes visuels des sites d’internet, notamment des logos des festivals, des images des spectacles, des vidéos des spectacles ou des vidéos d’entretiens à la compagnie de théâtre, des affiches, etc. Nous allons notamment penser ces signes en termes de degrés (Morris, 1946) et non pas en prenant en compte la nature intrinsèque des signes mais en fonction de ce qu’ils accomplissent (Arquembourg, 2010).

Pour sa part Barthes (1961) traite des systèmes de signification divisés en connotatif et dénotatif. D’après lui, l’objectif de la sémiotique est de reconstituer le fonctionnement de ces systèmes. En fonction de nos données, nous allons conserver pour l’analyse les six procédés de connotation que Barthes (1961) identifie à partir de la photographie de presse : le trucage, la pose, les objets, la photogénie, l’esthétisme et la syntaxe. D’ailleurs, Joly (2005) inspiré aussi du message publicitaire, traite de la manière dont les signes s’organisent sur une image, c’est-à-dire, les différents types de compositions face à la figure d’un spectateur, à savoir, la composition axiale, focalisée, séquentielle ainsi que l’angle de prise de vue. Tout ceci va ainsi être employé pour analyser les signes visuels de nos corpus.

Ensuite les apports d’Eco (1972, 1988) sur le fonctionnement des codes culturels sont vitaux au moment d’opter pour une recherche internationale. D’après lui les rapports entre objet et signe s’avèrent toujours plus ou moins conventionnels, c’est-à-dire, les codes de reconnaissance d’une icône peuvent changer en fonction de la culture, en ce sens, les rapports de signification son conventionnels (et non motivés). Pour sa part, Arquembourg (2010) propose de dépasser une recherche exclusive sur les effets ou sur les images entendus comme textes, et applique une méthode à la fois sémiotique sur la base de la théorie des signes de Peirce, et l’approche pragmatique, reposant sur la théorie d’actes de parole d’Austin. Ce qui traverse la recherche d’Arquembourg (2010) et qui nous semble nécessaire d’inclure à la lumière de notre recherche est le fait que les signes ainsi que les actes de parole dépendront de l’usage que fait la communauté d’action ou les publics au sens de Dewey (2010).