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CHAPITRE 2 : FIGURES DU DESTINATAIRE

2. Les apports des méthodes d’analyse des sites d’internet

2.3. Une approche sémiodiscursive

Barats a rassemblé, en 2013, des chercheurs de différentes disciplines pour constituer un ouvrage collectif intitulé Manuel d’analyse du web en Sciences Humaines et Sociales. Le but était de donner des outils pour analyser les observables provenant des sites d’internet, ici

« le web est appréhendé dans ce manuel comme un dispositif sociotechnique au travers duquel peuvent être analysés contenus, pratiques sociales, usages, flux » (Barats, 2013 : 6).

Nous allons prendre particulièrement en compte le chapitre 4 intitulé « Genres de discours et web : existe-t-il des genres web ? » de Maingueneau (2013).

Tout d’abord, en ce qui concerne l’article de Maingueneau (2013), il faudrait commencer par dire que la notion de genre s’avère fondamentale pour l’AD, elle est à la rencontre du lieu social et de l’organisation textuelle (aspects cruciaux pour ceux qui étudient le discours). Afin de définir ce qu’est un genre, Maingueneau (2013) distingue une conception conventionnaliste d’une autre réaliste, selon la première, « il y a genre dès qu’on range dans une même classe des textes sur la base d’une ou plusieurs propriété(s) commune(s), choisies en fonction des objectifs de celui qui opère la classification : on peut décider par exemple que toutes les adresses URL appartiennent à un même genre » (Maingueneau, 2013 : 75). D’après la seconde conception, réaliste ou des genres de discours,

« le genre désigne une activité communicationnelle socialement identifiable, saisie dans sa globalité » (Maingueneau, 2013 : 75). En plus de ce qui a été dit auparavant, les genres vont ainsi dépendre de critères socio-historiques (ou situationnels) ; c’est dans un contexte donné qu’ « un genre de discours prescrit des rôles pour les participants, une finalité, un medium, une organisation textuelle, etc. » (Maingueneau, 2013 : 76).

Or cette dernière conception « réaliste » permet de décrire « les pratiques verbales d’une société, les journaux, les talk-shows, la déclaration d’impôts, les tracts publicitaires, etc. […] considérés comme des genres de discours. » (Maingueneau, 2013 : 76). Les pratiques verbales se divisent en trois catégories, selon Maingueneau (2013), les genres auctoriaux, routiniers et les conversations. En ce qui concerne Les genres auctoriaux, « ils sont imposés au destinataire par l’auteur, et quelquefois par un éditeur et sont explicités par des indications paratextuelles : « essai », « méditation, « aphorisme », etc. […] Ces genres

auctoriaux sont massivement présents dans certains types de discours (littéraire, philosophique, religieux, politique, journalistique… » (Maingueneau, 2013 : 76). Dans les genres routiniers, « les rôles joués par leurs participants sont fixés a priori et, en général, restent stables pendant le processus de communication. Les locuteurs entrent dans un cadre préétabli dont en général ils ne modifient pas les normes » (Maingueneau, 2013 : 77), comme par exemple dans les magazines, les interviews, les formulaires administratifs, les règlements, etc. Certains sont néanmoins plus ritualisés que d’autres. Enfin, quant aux conversations, il s’agit des « interactions orales « ordinaires », qui ne sont pas régulées par des institutions, qui ne fixent pas de rôles aux partenaires ou de scripts stables pour le déroulement de l’activité, leur organisation textuelle et leurs contenus sont habituellement flous et leur cadre évolue sans cesse pendant l’interaction » (Maingueneau, 2013 : 77). Les participants négocient constamment leurs rôles, on peut distinguer des types de conversations mais on ne parle pas de genres de discours, car cette catégorie est moins institutionnalisée que les deux autres.

En plus de ce qui précède il existe, d’après Maingueneau (2013), des hypergenres, qui sont des dispositifs de communication qui dépassent une époque ou un lieu précis comme : le dialogue, la lettre, le journal, « ils imposent des contraintes très pauvres, un simple formatage ; pour catégoriser un texte comme dialogue, par exemple, il suffit de mettre en scène au moins deux interlocuteurs » (Maingueneau, 2013 : 77).

D’ailleurs, les genres sont construits dans un cadre qui, notamment, configure le processus de communication et que Maingueneau (2013) appelle la scène d’énonciation dont on peut distinguer trois composants. La scène englobante, ou le type de discours, c’est une sphère d’activité sociale, par exemple politique, journalistique, littéraire ; la scène générique, qu’assigne une finalité à l’activité de parole, des rôles à ses acteurs, prescrit les circonstances (lieu, moment, longueur, médium) ; et la scénographie, par laquelle l’énonciateur aménage, à travers son énonciation, la situation même à partir de laquelle il prétend énoncer. Il s’agit donc d’un processus en boucle : dès son émergence, la parole suppose une certaine scénographie, qui doit se valider à travers l’énonciation elle-même.

C’est sur la scénographie que l’auteur va mettre l’accent car c’est ici que l’internet ajoute de nouveaux niveaux72, en ces termes, le web n’est pas juste un support, à l’inverse,

      

72Avant cela, Maingueneau (2013) explique à travers l’exemple d’une lettre écrite par F. Mitterrand, comment, « il met en place sa scénographie sans sortir du cadre imposé par la scène générique du programme [lettre d’ordre familial] : sont ainsi définies par l‘énonciateur l’identité des partenaires et

« le web transforme en fait les conditions de la communication, la manière dont on peut envisager le genre et la notion même de textualité » (Maingueneau, 2013 : 80). Bref, la scène générique est homogénéisée sur internet:

« Les sites, quel que soit leur contenu, sont soumis à un ensemble de contraintes techniques, et cette homogénéisation est renforcée par la nécessité de pouvoir circuler par hyperliens d’un site à l’autre. En raison de ce « lisage » des différences génériques, c’est désormais la scénographie qui joue un rôle clé : le principal souci est la mise en scène de la communication qui mobilise massivement les ressources proprement verbales, multimodales (image fixe, mouvante, son) et les opérations hypertextuelles » (Maingueneau, 2013 : 80).

De plus la scène générique est fragmentée car « on a affaire non à un texte, mais à une mosaïque de modules hétérogènes, ce qui interdit de mettre en correspondance simple un texte et une scène d’énonciation » (Maingueneau, 2013 : 81). Cependant, quand il s’agit d’internet, c’est la scénographie qui mérite une réflexion approfondie que l’auteur divise en deux niveaux : verbal et numérique. La première catégorie est typiquement linguistique (plus, la mise en page, police, etc.) La scénographie numérique est composée en même temps de trois dimensions : iconotextuelle (images), architecturale (le réseau de pages) et procédurale (le réseau d’instructions). A travers l’exemple de la page d’accueil du site web du Figaro, l’auteur explique comment la textualité est subvertie : par la pagination du web (un écran est une vue partielle), l’hétérogénéité énonciative (diagrammes, débuts des articles, publicités, titres, etc.), les modules qui donnent accès à un autre par un clic, la temporalité (tous les contenus qui se renouvellent).

En résumé, « ces caractéristiques mettent à mal le régime classique de la textualité, et le type de généricité qui en est solidaire. L’affaiblissement de la scène générique et la scène englobante sont compensés par l’hypertrophie d’une scénographie numérique » (Maingueneau, 2013 : 84). C’est pour cette raison que Maingueneau (2013) dira que l’on est face à l’hypergenre plutôt qu’à un genre du discours, « ces genres de sites sont en réalité des formatages peu contraignants qui rendent possibles des scénographies très variées » (Maingueneau, 2013 : 84). Pour approfondir cette dernière idée l’auteur prendra pour exemple le blog qui possède des thématiques diverses et « se caractérise par ses contraintes formelles et une relation communicationnelle minimale […]. C’est ce qui explique l’extraordinaire diversité des sites qui se disent « blogs » » (Maingueneau, 2013 : 85).

D’ailleurs cela installe certaines routines du point de vue de la scénographie, l’auteur cite ici l’étude réalisée par Lethi (2011) sur des blogs de professionnels de la politique en France, Lethi (2011) « a ainsi distingué cinq sous-genres [types de scénographie pour Maingueneau,

2013] auxquels recourent les hommes où les femmes politiques : « diary », « scrapbook », « notice-board », « essay » et « polemic » » (Maingueneau, 2013 : 85).

De plus, Maingueneau (2013) insiste sur la moindre importance des scènes englobante et générique sur le web, par exemple toutes deux sont identiques dans le cas du blog d’une prostituée et celui d’un club de football :

« C’est à travers la scénographie que se marquent des différences entre eux : la scénographie numérique : par exemple, le choix des couleurs et des éléments iconiques (dessin, photos) active une certaine image de la source du blog ; la scénographie verbale : le blog du club de football est avant tout un agenda, dont la fonction est de délivrer un certain nombre d’informations pratiques » (Maingueneau, 2013 : 87).

Par ailleurs, ces deux scènes sont indissociables. Par exemple, dans le cas du blog d’une prostituée, sur la page d’accueil, on peut voir un album et ce blog est censé contenir des messages racontant sa vie, messages mis à jour par ses soins.

« Il permet de donner sens à l’activité de communication, en attribuant un certain rôle aux partenaires de la communication, en instaurant une certaine relation, en définissant les circonstances de l’énonciation, et ces choix sont symptomatiques d’une configuration sociale » (Maingueneau, 2013 : 88).

Grâce à l’arrière-plan de la scène englobante et générique, l’auteur énonce qu’ « il se produit un effacement imaginaire de la distinction entre prostituée professionnelle et femme ordinaire, entre clientèle et réseau d’amis : les relations s’établissent entre individus, et non à travers des institutions » (Maingueneau, 2013 : 89).

En plus de la question des genres de discours, Maingueneau (2013) aborde celle de la textualité, il y aurait « des textualités distinctes, en fonction de la relation qu’ils [les régimes oral, imprimé, numérique] entretiennent avec la généricité » (Maingueneau, 2013 : 89). Il existe donc deux grands types de textualités, l’une orale, l’autre écrite ; en ce qui concerne les deux premières formes de textualité orale, l’une est non planifiée, c’est-à-dire, la conversation ordinaire et l’autre, planifiée, est divisée en deux sous-types : une oralité dialogale et une oralité monologale. Quant à la textualité écrite, il en existe deux principaux types, une linéaire et une autre tabulaire (par exemple, le texte au sein d’une image). On peut ajouter un troisième type de textualité, une textualité navigante intrinsèque de l’hypertexte.

Selon Maingueneau, « c’est l’internaute qui fabrique l’hypertexte qu’il « lit » (Maingueneau, 2013 : 89).

Pour conclure, Maingueneau (2013) réitère l’idée que « les activités de parole participent des configurations historiques associées à certaines technologies de la communication », en ce sens, la distinction entre ce qui existe déjà et ce qui est nouveau, n’est plus féconde car « le web, au contraire, a tendance à brouiller ces frontières, par une exacerbation à la fois de la scénographie et de l’hypergenre » (Maingueneau, 2013 : 91).

Remarques conclusives : des outils adaptés à l’égard de nos objets et nos problèmes

On constate que ces auteurs sont d’accord sur certains aspects. D’une part, sur le fait que le support a des conséquences sur la manière dont on communique, c’est-à-dire, sur le cadre énonciatif qui coordonne le rôle de chaque participant. D’autre part sur le fait que les signes visuels (photos, vidéos ou signes numériques) ainsi que textuels (descriptions, slogans, titres) sont en rapport avec la façon dont la navigation est configurée auparavant. En ce cadre, de l’organisation de la forme et du contenu73 va dépendre la façon dont sont conçus les destinataires. L’une des principales originalités que ces objets apportent est la textualité sur l’écran. Indépendamment de la manière dont on décide de nommer ce phénomène74, le texte sur l’écran comporte des aspects qui nécessitent d’autres outils afin de les identifier.

Par ailleurs, si on examine plus en détail le point de vue des auteurs cités précédemment, on observe que l’approche par strates de Rouquette (2009) lui a permis d’identifier globalement les sites web municipaux, ainsi que d’arriver à la conclusion qu’il existe une tendance unificatrice de ces mêmes sites. Face à notre corpus des sites de théâtres, en particulier, des pages concernant la description d’un spectacle, l’énonciation et l’univers (graphisme) s’avèrent fondamentaux, ces aspects doivent acquérir une valeur centrale dans l’analyse. L’approche par types de signes (iconique, linguistique, plastique) nous semble pertinent quand on pense aux pages d’accueil des théâtres75. Néanmoins en ce qui concerne plus particulièrement les signes linguistiques, ni les rubriques, ni les liens ne peuvent être inclus car justement ces signes permettent la navigation en les renvoyant à d’autres statuts : ceux de signes passeurs76. A l’inverse, les signes linguistiques peuvent plutôt renvoyer aux articles ou, dans notre cas, à la description proprement dite d’un spectacle. L’approche de Stockinger (2005) sur les scénarios sémiotiques compris comme le contenu, l’expression ou       

73De l’architexte pour Bonaccorsi, 2013.

74Lisibilité pour Rouquette, 2009, textualité navigante pour Maingueneau 2013, écrit d’écran pour Bonaccorsi, 2013.

75Même si on sait que les signes auditifs sont moins importants dans ce cas-là.

76D’après le texte de Bonaccorsi, 2013

la mise en scène et l’appropriation nous paraît utile. Ses premières analyses lui permettent de distinguer 5 types de scènes récurrents sur les pages d’accueil de n’importe quel site (identification, autopublicité, lieu d’accueil), ce qui est transposable aux sites des théâtres. La quatrième partie de son modèle visant à étudier la mise en scène ou le scénario sémiotique en 5 aspects, la structure logique-textuelle, les éléments d’expression du contenu de la prestation, la forme eidétique de la région d’édition, la structure chromatique de la région d’édition et la structure topographique, s’avère elle aussi intéressante à transposer aux sites de théâtre. Ces aspects sont nécessaires dès lors que l’on observe la configuration sémiotique que propose chaque site de théâtre. En ce qui concerne le texte de Maingueneau (2013), ce sont notamment les aspects concernant la scénographie verbale et numérique qui peuvent être appliqués aux sites web de théâtres. Cependant il nous semble impératif d’appliquer son approche du genre pour les sites web de théâtre, en séparant l’analyse par scènes (englobante et générique) ainsi que scénographie, dans ce contexte, d’après trois types de signes : visuels, numériques et langagiers.

Or, si on en revient à notre but principal le plus adéquat nous paraît être situé au niveau méthodologique, à l’intersection entre l’analyse du discours et la sémiotique. Une approche sémiodiscursive nous permettra d’une part, d’interpréter comment le destinataire est traité dans le cadre d’un site de théâtre et de l’autre, de comprendre comment tous les signes spécifiques et non-spécifiques des sites internet fonctionnent comme une mise en pratique pour représenter un lieu social, celui des publics de théâtre.