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Les stratégies de départ des propriétaires

Dans le document L’abandon du canton de Jiloca (1950-1970) (Page 106-109)

Chapitre 6 : La propriété foncière, une institution en mutation

A) Les stratégies de départ des propriétaires

L’hypothèse de départ est que les différentes structures migratoires seraient causées par des disparités de structure foncière, elles-mêmes à l’origine d’organisations familiales diverses. Ce chapitre est construit à partir du cadastre et des registres d’Olalla et Collados, dont la population n’a pas la même structure familiale et migratoire.

1) La terre conditionne le départ

A Collados comme à Olalla, les grands propriétaires sont moins mobiles que les petits et ont un taux de départ inférieur ou égal à la moyenne (54% et 68%). Les grandes familles semblent donc plus enclines à rester que les plus pauvres contraints au départ (Annexe 11)

Ces deux tableaux montrent toutefois que les comportements migratoires varient selon les villages. Les petits propriétaires sont tantôt au-dessus, tantôt en dessous de la moyenne, signifiant que le facteur foncier ne suffit pas à expliquer les stratégies des ménages. La terre est un facteur de sédentarité plus déterminant à Olalla qu’à Collados où les puissants du village partent autant que les plus pauvres. En effet, le taux de départ des sans terre est supérieur à la moyenne d’Olalla, contrairement à Collados où il est égal à la moyenne. Les sans terres partent autant que les grands propriétaires. Autrement dit, à Olalla, la probabilité du départ diminue avec la taille de

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l’exploitation. La propriété accroît l’attachement des agriculteurs à leur espace de vie. Les locataires sont eux animés par la volonté d’y accéder pour s’élever socialement. Néanmoins, les petits exploitants sont paradoxalement plus enclins à partir à Collados qu’à Olalla où leur taux de départ est inférieur à celui de la moyenne. 80% d’entre eux quittent Collados, contre 62% pour Olalla.

2) Le départ des sans terre : la cause du dépeuplement précoce d’Olalla

Si l’on change maintenant de perspective et que l’on compare le taux de départ à la composition de la population de 1950 (Annexe 11), il en ressort que l’exode des sans terres d’Olalla est la cause du son dépeuplement précoce. 44% des habitants n’ont pas de terres et les ¾ d’entre eux quittent le village. Leur départ a des conséquences démographiques beaucoup plus importantes que celui des très grands propriétaires agricoles, qui représentent moins d’un cinquième de la population. A Collados, la population se répartie en trois catégories, les grands exploitants, les moyens et les sans terre. Sur un tiers de non-propriétaire, la moitié quitte le village. Leur départ a donc des conséquences moindre sur la démographie du village.

Ainsi, les agriculteurs d’Olalla semblent plus pauvres que ceux de Collados où les grands et moyens représentent une part plus importante de la population (24% et 38%). Ces terres leurs assurent une stabilité et une source de revenus pérennes qui leurs permettent de se maintenir au village plus longtemps.

3) Des stratégies migratoires conditionnées par la propriété et la famille

Les migrations n’ont pas la même forme d’une catégorie sociale à une autre. Si la propriété conditionne le départ, les stratégies diffèrent selon la position dans des villageois. Les tableaux suivants mettent en évidence la répartition des propriétaires en 1950 en fonction de la forme de la migration. Les catégories sont celles utilisées précédemment dans l’étude sur l’exode rural des ménages. Ces tableaux regroupent tous les habitants des villages, actifs et inactifs (Annexe 12). Les migrations individuelles sont plus courantes chez les moyens, grands et très grands propriétaires. Au contraire les migrations collectives sont unanimes et diffèrent d’un statut social à un autre C’est ainsi que la disparition de ménages entiers diminue avec la taille de la propriété. Les moins bien dotés ont une plus grande propension à disparaitre des registres que les plus riches rendant le départs des grands exploitants plus progressif.

De plus, les enfants impulsent le départ toutes classes confondues. Plus d’un tiers des migrations des grands propriétaires est déterminé par le départ d’un ou plusieurs d’entre-eux. Les stratégies

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migratoires des plus riches sont ainsi plus diversifiées et témoignent d’un plus grande amplitude dans la prise de décision. En effet, les ménages des grands propriétaires se maintiennent aux villages entre 1950 et 1960 en conservant une personne sur place pour s’occuper du patrimoine. Les migrations patri et matrilinéaires satisfont tous les ménages quel que soit leur taille. Elles entrainent la décomposition progressive des ménages et satisfont la préférence des habitants pour les départs collectifs.

La différence vient surtout des plus humbles qui n’adoptent pas le même comportement migratoire. Si l’on compare le tableau de Collados par ménages et par individus (Annexe 13), nous nous rendons compte qu’un ménage de très grand propriétaire voit partir un de ses membres et qu’un second ménage migre selon une logique patrilinéaire. Il s’avère que la seconde propriétaire (patrilinéaire) est le seul membre du ménage à posséder une très grande propriété alors que les autres sont inscrits comme propriétaires de taille moyenne. Ce phénomène observé à Collados est causé par la présence de ménages complexes qui abritent plusieurs générations différemment dotées. Le jeune couple qui reste dans le foyer des parents peut être doté d’un petit lopin de terre et est inscrit comme petit propriétaire tout en appartenant à un ménage aisé. Les sans terres et les petits propriétaires bénéficient ainsi à Collados d’un soutien familial intergénérationnel en appartenant au même ménage que leurs enfante. Ceci explique les variations entre les tableaux par individus et par ménages. A Olalla, les ménages nucléaires sont dominants - mais pas majoritaires - et deux propriétaires ne vivent pas sous le même toit. La variable foncière semble donc avoir plus de poids à Olalla qu’à Collados où la structure familiale complexe facilite la solidarité familiale. Les ménages ne disparaissent que très peu contrairement à Olalla où les registres de population ne font plus état des plus pauvres. La forme du ménage est ainsi prépondérante pour comprendre les stratégies migratoires adoptées en fonction du statut social.

4) Une stratégie conditionnée par le nombre d’enfants

Le nombre d’habitants moyen par ménage est plus important à Collados qu’Olalla (Annexe 14) Dans les deux cas, les ménages des grands exploitants ont plus d’enfants que la moyenne et migrent proportionnellement moins que les ménages pauvres. Il semble plus simple pour eux de se décomposer au grès des opportunités tout en assurant la continuité du patrimoine au village. Les petits propriétaires et les sans terre regroupent toutes les conditions de la mobilité, un travail non-fixe, l’absence de bien foncier et un nombre d’enfants relativement réduit. Précaires, il est plus facile pour eux de partir trouver un emploi ailleurs et n’ont pas à lutter pour préserver les

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biens familiaux. Collados ne compte qu’un ménage de petits exploitants ayant neuf enfants, expliquant la moyenne élevée du nombre de résidents. Si avoir peu d’enfants permet une plus grande mobilité, en avoir beaucoup offre de plus grandes possibilités d’adaptation. Cela expliquerait que les migrations patrilinéaires soient si importantes à Collados, les hommes partent plus facilement accompagné d’un des membres de la famille, sans la laisser démunie à court terme. Les ménages partent moins soudainement, mais finissent tout de même par quitter définitivement le village dix ans plus tard. A Collados, la variable familiale semble ainsi être plus forte que le facteur foncier.

Dans le document L’abandon du canton de Jiloca (1950-1970) (Page 106-109)