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La survie des villages face à l’absence d’infrastructure

Dans le document L’abandon du canton de Jiloca (1950-1970) (Page 73-78)

Chapitre 3 : Un espace potentiellement exploitable : le canton du point de

C) Les défis environnementaux du canton de Jiloca, « citadelle des vents, des rocs et du soleil »

3) La survie des villages face à l’absence d’infrastructure

Les villages doivent ainsi faire face au désintérêt de l’administration. Entre désaveu et confrontation, les communes adoptent des réactions différentes à l’égard du pouvoir provincial. Celles-ci n'accordent pas la même importance aux demandes de l’État. L’exploitation des formulaires188 de 1953 (chapitre 3, A) varie d'un village à l’autre. Prenons pour exemple ceux de Guadalviar et de Jatiel ; la municipalité de Guadalviar l'a rempli de manière précise en développant plusieurs de ses réponses pour faire connaître ses besoins tandis que celle de Jatiel

187 Biblioteca nacional del Fomento – Ministerio de Obras públicas - 628 DOH : Plan nacional de abastecimiento y

saneamiento de la cuenca del Ebro (1966)

188 Archives Historiques Provinciaux de Teruel - GC 375 / 1 : Correspondances concernant l'aménagement

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a ignoré la plupart des questions. A la question « Est-ce que la construction d'une laiterie, d'une industrie de conserves, d'une entreprise d'assèchement vous intéresse ? », la municipalité répond « cela n'en vaut pas la peine », ce qui témoigne d'une forme de désaveu de la commune vis à vis des demandes du pouvoir central. Les différentes utilisations que font les villages des formulaires montrent que les municipalités n'accordent pas la même importance aux prérogatives de l’État. De plus, ces formulaires, très normés, s'adressent à des entités administratives différentes comme le prouve la catégorie des « Abattoirs » qui ne concerne que des municipalités de plus de 1500 habitants. Les formulaires sont donc destinés à un ensemble de communes aux réalités différentes189. La province de Teruel forme en effet un ensemble géographique hétérogène qui regroupe des entités administratives allant du hameau aux villages de plus de 1400 habitants. Dès lors, sa diversité morphologique peut influer, voire conditionner, les rapports qu'entretiennent administration locale et centrale190. Entre utilisation des canaux de communication légaux et ignorance, les possibilités pour l'échelle locale de faire connaître ses besoins sont assez limitées. Malgré une résignation générale, les villages tels que Monroyon et Pozondon préfèrent protester contre l'ignorance de l'Administration. Certaines correspondances, bien que minoritaires, infirment l'idée d'une passivité des municipalités qui, certainement plus pour des raisons de survie que pour des motivations politiques, choisissent la voie de la protestation191. A deux reprises le G.C.T envoie le Délégué Provincial des Syndicats de Teruel surveiller les faits et gestes des habitants des villages protestataires. Une lettre du Ministère du Logement demande au G.C.T de trancher dans le conflit qui l'oppose à la commune de Pozodon le 27 avril 1959. Tandis que le ministère accuse la municipalité de fraude, la seconde s'insurge contre la non prise en compte de sa demande d'approvisionnement en eau. En effet, le 2 février 1959, l'Ingénieur Directeur répond dans une lettre à une demande datée du 20 février du G.C.T concernant l'approvisionnement en eau du village de Monroyon. L'Ingénieur Général conteste les protestations du village qui l'accuse de ne pas avoir pris en compte sa demande, puis se défend en affirmant qu'il n'avait jamais été question d'une quelconque demande d'aide technique, et encore moins de conditions de vie aussi extrêmes que celles décrites dans la lettre de Monroyon au G.C.T. L'état parcellaire de la correspondance ne nous permet d'établir précisément les échanges qui ont eu lieu entre

189 Topalov, Christian, « Introduction » dans Topalov Christian (dir), L’aventure des mots de la ville : à travers le

temps, les langues, les sociétés, Paris, R.Laffont, 2010

190 Idée développée dans: Yusta, Mercedes, La guerra de los vencidos: el maquis en el Maestrazgo turolense (1940

– 1950), Zaragoza, Institución Fernando el católico, 2001, 182p

191 GCT 446 / 1 – Correspondances concernant l'approvisionnement en eau, la reforestation, l'électrification etc

(1957 - 1959) – dossier n°1, correspondances entre le Gouverneur Civil de Teruel, les mairies et les entreprises chargées de l'approvisionnement en eau

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l'Ingénieur Général, le G.C.T et la municipalité du village. Toutefois, le maire de Monroyon envoie une lettre au G.C.T le 3 juillet 1959 dans laquelle il réitère sa demande d'approvisionnement en eau et sa volonté d'intégrer ce projet au Plan de la Commission Provincial des Services Techniques de 1960. La demande n’aboutit jamais pour ces communes qui n’ont toujours pas d’eau en 1960.

Le canton est un espace peu peuplé, de faible densité où les conditions de vies sont dure. Critiquée pour son archaïsme et son absence de modernité, les pouvoirs publics se désintéressent de la province de Teruel et de ses territoires, montagneux, secs et marginaux. La concentration parcellaires et l’approvisionnement en eau tardent à être effectifs tout comme la tentative de connaissance des besoins et nécessités des campagnes du territoire national. Ces sources attestent toutefois de l’intérêt du régime pour les campagnes productives qui servent de vitrine à la gloire du régime à un moment où l’Espagne sort de son isolement.

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En somme, cette premier partie est un panorama de la situation sociale du canton utile à l’appréhension des mutations des décennies à venir. L’étude exhaustive des registres de population nous a permis de mettre en lumière l’hétérogénéité d’un espace rural où domine un système d’exploitation agro-silvo-pastoral. La famille et le travail terre sont les piliers d’une société encore traditionnelle en 1950 qui entre progressivement en contradiction avec les projets politiques de l’administration franquiste. C’est un monde rural complexe qui s’offre à nous dans ces sources. Le mariage, les naissances, la vieillesse sont autant de moments qui affectent la vie des individus et qui demandent un ajustement, souvent fait en fonction des opportunités qui s’offrent à eux. Ils dévient alors de la majorité statistique. Ces phases de transition obscurcissent la réalité sociale d’un canton méconnu de l’administration. Par ailleurs cette transition ne se limite pas à l’échelle individuelle des choix de vie et s’applique aussi à la décennie des années 1950, durant laquelle l’idéologie de l’autarcie d’après-guerre cohabite avec le réformisme naissant des technocrates.

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Partie 2 : Le dépeuplement des villages du canton de Jiloca (1950 –

Dans le document L’abandon du canton de Jiloca (1950-1970) (Page 73-78)