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Les segmentations socio-économiques des Arméniens

1.5 Une nébuleuse segmentée ? Critères de distinc- distinc-tion spatiale

1.5.2 Les segmentations socio-économiques des Arméniens

Les données socio-économiques à l'échelle des unités de recensement permettent de comparer plusieurs indicateurs, notamment les revenus annuels médians par mé-nages, la part d'individus vivant sous le seuil de pauvreté, l'accès à la propriété et à l'éducation, ces deux derniers aspects étant généralement corrélés positivement aux revenus.

La représentativité des soixante-dix-neuf unités de recensement et des populations arméniennes y résidant

An d'étudier les caractéristiques migratoires et socio-économiques des popu-lations arméniennes résidant dans les soixante-dix-neuf unités de recensement, il est d'abord nécessaire de comparer les caractéristiques de la population totale de ces unités avec celles du comté de Los Angeles, de la ville de Los Angeles, et de Glendale, pour mesurer la représentativité de ces unités.

Les données présentées dans le tableau 1.15 montrent que la population des soixante-dix-neuf unités de recensement est globalement représentative des

popula-tions du comté de Los Angeles et des villes de Los Angeles et Glendale. Les soixante-dix-neuf unités de recensement étudiées ne présentent pas d'écarts nets avec les moyennes des ensembles spatiaux dans lesquels elles se situent : elles regroupent une part très signicative de personnes nées à l'étranger et environ un cinquième de leur population vit sous le seuil de pauvreté, ce qui est valable également aux autres échelles. La représentativité du secteur étudié est un critère important à connaître avant de commencer l'étude précise des caractéristiques socio-économiques armé-niennes (cf. gure 1.28).

% pour la % à % %

population totale Los Angeles dans le comté de à Glendale des 79 (ville) Los Angeles

unités de recensement Propriétaires 33 32 41 30 Individus sous 17 22 18 15 le seuil de pauvreté Individus 45 41 36 54 nés à l'étranger Individus de plus de 25 ans 29 25 25 32

diplômés (au moins niveau licence) Revenu médian

annuel par ménages 41 125 36 687 42 189 41 805 (en dollars)

Figure 1.27 Tableau : Caractéristiques socio-économiques de la population à diérentes échelles dans le comté de Los Angeles, US Census Bureau, 2000

% pour les % % % Arméniens des 79 à Los Angeles dans le comté à Glendale unités de recensement (ville) de Los Angeles

Individus sous 23 21 20 23 le seuil de pauvreté Individus nés 82 76 75 85 à l'étranger Individus de plus de 25 ans 22 24 25 23

diplômés (au moins niveau licence) Revenu médian

annuel par ménages 35 889 31 738 33 701 28 505 (en dollars)

Figure 1.28 Tableau : Caractéristiques socio-économiques de la population arménienne à diérentes échelles dans le comté de Los Angeles, US Census Bureau, 2000

Ainsi, les données sur les Arméniens des soixante-dix-neuf unités de recensement, comparées aux données sur les Arméniens résidant à Glendale, dans la ville et dans le comté de Los Angeles, sont également représentatives.

Comparaison des caractéristiques socio-économiques des Arméniens et des non-Arméniens des soixante-dix-neuf unités de recensement

Par rapport aux populations non-arméniennes9 des soixante-dix-neuf unités de recensement, les Arméniens sont surreprésentés dans la catégorie des individus nés à l'étranger, deux fois plus en moyenne ; ils sont également plus défavorisés so-cialement, tant en terme de revenus que d'accès à la propriété. Les populations arméniennes sont une fois et demie plus représentées dans la catégorie des individus sous le seuil de pauvreté que les non-Arméniens.

9. Les individus non-arméniens ne constituent pas une catégorie, ils sont extrêmement hétéro-gènes. Sortir les Arméniens de la population totale est un biais statistique. Il s'agit de situer les Arméniens dans l'échelle sociale par rapport à une moyenne, dont ils ont été extraits.

Données

des Arméniens comparées aux non-Arméniens

pour les 79 unités de recensement

Propriétaires 0,9

Individus sous le 1,5 seuil de pauvreté

Individus 2

nés à l'étranger

Individus de plus de 25 ans 0,8 diplômés (au moins niveau licence)

Revenu médian annuel 0,8 par ménage (en dollars)

Figure 1.29 Tableau : Comparaison des données socio-économiques des Arméniens et des non-Arméniens pour les soixante-dix-neuf unités de recensement étudiées, US Census Bureau, 2000

Les coecients présentés ont été calculés comme suit : pour comparer les proportions d'individus sous le seuil de pauvreté, le pourcentage d'individus arméniens sous le seuil de pauvreté par rapport à la population totale arménienne a été divisé par le pourcentage d'individus non-arméniens sous le seuil de pauvreté par rapport à la population totale non-arménienne. Quand le coecient est supérieur à 1, les Arméniens sont plus représentés dans la catégorie étudié, quand le coecient est inférieur à 1, les Arméniens sont sous-représentés, la valeur 1 signiant la similarité.

Revenus médians annuels et seuil de pauvreté

La carte 1.31 compare les revenus médians annuels des foyers arméniens à la moyenne des revenus médians de la population totale par unité de recensement. Sur la carte, le rouge représente les unités de recensement où les Arméniens gagnent moins que la moyenne des revenus médians annuels, le vert représente le contraire, c'est-à-dire le cas où les ménages arméniens gagnent plus que la moyenne des revenus médians annuels (de 1 à 1,5 fois plus). L'hétérogénéité de Glendale, où s'opposent un sud défavorisé et un nord favorisé, apparaît clairement. Les populations de Lit-tle Armenia et Pasadena sont surreprésentées dans les catégories défavorisées. Les situations sont plus variées dans la vallée de San Fernando, où, à North Hollywood notamment, alternent des unités de recensement où les Arméniens sont soit favorisés ou soit défavorisés par rapport à la moyenne.

En comparant les données sur les revenus aux pourcentages d'Arméniens nés à l'étranger sous le seuil de pauvreté, les clivages observés sont conrmés. Dans le sud de Glendale et à Little Armenia, 40% en moyenne des Arméniens nés à l'étranger sont sous le seuil de pauvreté. En comparaison, le pourcentage total d'individus, arméniens et non-arméniens, vivant sous le seuil de pauvreté s'élève à 22,1% dans la ville de Los Angeles et à 15,5% à Glendale.

Le seuil de pauvreté aux États-Unis est calculé selon diérents critères : le nombre de personnes dans le ménage, le nombre de personnes ayant moins de 18

ans et le revenu médian annuel par ménage. A Little Armenia et pour les ménages arméniens, le revenu médian annuel par ménage est compris entre 9000 et 16 000 dollars, la taille moyenne des ménages est de quatre personnes (US Census Bureau, 2000, données de 1999). En comparaison, le revenu médian annuel par ménage aux États-Unis s'élève à 41 994 dollars (2000) tout type de ménage confondu, 36 687 dollars pour la ville de Los Angeles (1999) et 41 805 dollars pour la ville de Glendale (2000).

Les contrastes sont importants à l'échelle des unités de recensement. Pour l'unité de recensement 3009.01 (cf. annexe 2) à l'est de Glendale, 8,8% des immigrés armé-niens sont sous le seuil de pauvreté et le revenu médian annuel par ménage s'élève à 115 350 dollars (1999). A l'inverse, à Little Armenia l'unité de recensement 1912.03 abrite une population arménienne où 52,6% des Arméniens nés à l'étranger vivent sous le seuil de pauvreté et où le revenu médian annuel par ménage est de 9 153 dollars (1999). Au sud de Glendale, dans l'unité de recensement 3022.01, les indi-vidus arméniens nés à l'étranger sous le seuil de pauvreté atteignent 38,1%, tandis que le revenu médian annuel par ménage est de 14 036 dollars.

Taille du ménage Seuil de pauvreté moyen en dollars

1 9 393 2 12 015 3 14 680 4 18 810 5 22 245 6 25 122 7 28 544 8 31 589 9 ou plus 37 656

Les revenus sont calculés selon une moyenne pour le nombre de personnes de moins de 18 ans par ménage.

Figure 1.30 Tableau : Seuil de pauvreté moyen en fonction de la taille du ménage aux États-Unis, US Census

En recoupant ces résultats aux données précédemment exposées sur les dates d'arrivée aux États-Unis et les pays de naissance, il apparaît que les Arméniens nés en Arménie et arrivés après les années 1990, à dominante à Little Armenia, sont surreprésentés dans les catégories sociales défavorisées.

Figure 1.31 Carte : Comparaison des revenus médians annuels des foyers arméniens et non-arméniens

Propriété privée et éducation : deux indicateurs sociaux complémentaires des revenus

Les données sur le nombre de propriétaires arméniens10, par rapport à la po-pulation arménienne totale occupant un logement (cf. gure 1.33) permettent à nouveau de distinguer Little Armenia, le sud de Glendale et le nord de Glendale. Dans la vallée de San Fernando, les contrastes sont également vériés entre le nord et le sud de North Hollywood.

La carte 1.34 rapportant la proportion de logements occupés par des proprié-taires arméniens à celle des logements occupés par des propriéproprié-taires non-arméniens permet d'aner l'analyse.

La distinction demeure entre le nord et le sud de Glendale, mais une partie signicative de Little Armenia, de North Hollywood et l'intégralité de Montebello montrent que le nombre de propriétaires est plus élevé que pour le reste de la population (en moyenne 1,8 fois plus).

10. Les données présentées, extraites du recensement fédéral de 2000, ne donnent pas le nombre d'individus arméniens propriétaires mais le nombre de logements occupés par des propriétaires. Ce nombre est rapporté à celui du nombre total de logements occupés.

Figure 1.33 Carte : Taux de propriété immobilière chez les Arméniens à Los Angeles

Figure 1.34 Carte : Propriété des logements : comparaison des Arméniens aux non-Arméniens

Figure 1.35 Carte : Comparaison du niveau d'éducation entre les Arméniens et les non-Arméniens

Les données sur le niveau d'éducation des Arméniens comparé aux non-Arméniens, précisément le nombre d'individus disposant d'un niveau licence [bachelor] ou plus (cf. carte 1.35), montrent que les Arméniens ont un niveau d'étude globalement moins élevé que les non-Arméniens. Paradoxalement c'est au sud de Glendale et à Little Armenia que la population arménienne possède dans quelques unités de recensement un niveau d'éducation plus élevé.

Il en est de même à North Hollywood. Ces données ne permettent pas de conclure à des distinctions spatiales nettes ; elles ne renforcent pas clairement les observa-tions menées à partir des indicateurs sur les revenus et le nombre de propriétaires et vont dans le sens d'une certaine hétérogénéité des Arméniens.

Les caractéristiques migratoires et socio-économiques des Arméniens dans le comté de Los Angeles, à diérentes échelles, sont particulièrement hétérogènes. L'hétérogénéité concerne tant leurs origines, leurs dates d'arrivée, que leurs lieux d'implantation à Los Angeles et leurs niveaux économiques. Cette diversité, associée à une structure spatiale en nébuleuse, s'inscrit-elle dans le modèle établi par l'école de Chicago ?

Selon le modèle des aires naturelles de Robert Park et Ernest Burgess (cf. gure 2.1), les résultats devraient montrer une forte concentration spatiale des immi-grés proche du downtown dans un quartier pauvre [inner-city11]. Or, la carte 1.5.1 montre bien une répartition des immigrés arméniens dans plusieurs espaces, notam-ment suburbains, le sud de Glendale et la vallée de San Fernando, qui s'ajoutent à Little Armenia.

Glendale qui a près de la moitié de ses habitants (42%) nés à l'étranger déclarant une origine arménienne correspond-elle au Little Sicily ou au ghetto juif décrit dans le Chicago du XIXe siècle, qui ont servi à fonder la notion d' enclave ethnique ? Glendale, Little Armenia : des enclaves arméniennes à l'échelle du comté de Los Angeles ?

Le modèle de l'enclave ethnique, hérité du modèle concentrique de Chicago et théorisé par Alejandro Portes et Robert Bach (1985) à partir de Little Havana à Miami, explique en eet le fonctionnement des espaces de forte concentration im-migrée : un groupe ethnique particulier domine l'économie locale et regroupe une majorité d'individus nés à l'étranger issus d'une même origine. Dans le contexte nord-américain anglophone, le terme d' enclave , sert à désigner des espaces ré-sidentiels et commerciaux de regroupement immigré et de descendants d'immigrés proches du centre [downtown]. Or, Glendale n'est pas un quartier d'inner-city à

11. L'inner-city est une portion d'espace urbain opposée classiquement à la suburb, la banlieue. Cette catégorie désigne le downtown (le centre des aaires, caractérisé souvent par une forte densité de tours) et les espaces paupérisés proches du downtown. L'inner-city désigne donc les espaces pauvres opposés aux espaces de classes moyennes et aisées supposées vivre dans les banlieues pavillonnaires. Ces catégories sont remises en cause par l'émergence de suburbs pauvres, par la gentrication des espaces péri-centraux, et particulièrement à Los Angeles, autrement dit par une remise en cause profonde du modèle centre-périphérie.

proximité immédiate du downtown (ce qui est décrit pour les quartiers d'immigra-tion à Chicago, proches du Loop) mais une ville suburbaine de 200 000 habitants (cf. gure 1.6), loin des vitrines commerciales telle que Little Havana à Miami ou les Chinatowns. Glendale possède entre autres activités économiques un des sièges américains de Nestlé. En outre, la population arménienne à Glendale, qui n'est pas majoritaire, partage l'espace avec de nombreux autres groupes immigrés et non immigrés.

Or, selon le modèle de Chicago, cette enclave devrait être un lieu unique de regroupement, ce que l'étude à l'échelle des unités de recensement et des quartiers, notamment dans la ville de Los Angeles, inrme (cf. gure 1.10 page 33).

Quant à Little Armenia, quelle place y occupent les individus se déclarant armé-niens ? La population arménienne, malgré le nom du quartier, est minoritaire. Les habitants étrangers du quartier sont nés à 52% au Salvador alors que les personnes nées en Arménie ne représentent que 17% de la population née à l'étranger. Little Armenia n'est pas le seul espace d'installation actuelle des immigrés arméniens à Los Angeles ni l'espace historique de leur implantation12. Ériger Little Armenia en en-clave centrale et Glendale en périphérie assimilatrice où les Arméniens seraient nettement plus dispersés, ne fonctionne pas davantage. Les pourcentages respectifs d'Arméniens à Little Armenia et à Glendale par rapport à la population totale sont proches. Plutôt que d'ériger l'un ou l'autre en centre, il est probablement plus juste de parler d'une distribution bicéphale, voire polycentrique (Alba, Logan, Stults, Marzan, Zhang, 1999, Clark, 2000, Phillips, 2007). Des centres s'opposent à des pé-riphéries, chaque terme étant pensé au pluriel. Le terme [polycentric] est utilisé de manière récurrente par des chercheurs étudiant Los Angeles (Gordon, Richardson, 1996, Clark, 2000). L'article du géographe William Clark (2000), qui travaille no-tamment sur les répartitions résidentielles des immigrés à Los Angeles, est intitulé Monocentric to Polycentric : New Urban Forms and Old Paradigms 13. L'auteur montre, à partir des contextes nord-américains et européens, combien le modèle centre-périphérie est dépassé mais il maintient une analyse des centralités . Son propos se fonde en grande partie sur la théorie des edge-cities 14 (Gareau, 1991, Ghorra-Gobin, 1997 b, 2003), qui a largement contribué à la critique du modèle centre-périphérie. L'analyse des regroupements arméniens à Los Angeles permet de distinguer plusieurs pôles , sans que l'un d'entre eux puisse être un centre ; on peut donc parler de multipolarité . L'émergence d'un centre ne peut être justiée

12. Il est dicile de distinguer un espaces historique d'installation de l'immigration arménienne à Los Angeles. A partir de la date d'inauguration des églises, il apparaît que Montebello soit la ville de l'agglomération de Los Angeles qui ait abrité le plus anciennement une présence arménienne ; la cathédrale Holy Cross a été inaugurée en 1923. Le quartier d'Inglewood, au sud de la ville de Los Angeles, où a été inaugurée l'église apostolique St James en 1942, et le quartier de Boyle Heights, avec l'inauguration en 1945 de l'église catholique arménienne Our Lady Queen of Martyrs , apparaissent également comme des espaces historiques d'installation.

13. Du monocentrique au polycentrique : nouvelles formes urbaines et vieux paradigmes . 14. Traduit en français par ville-lisière , l'edge-city est un terme fondé en 1991 par Joel Garreau, alors qu'il était journaliste au Washington Post, pour désigner des formes de centralités périphériques , c'est-à-dire des espaces suburbains concentrant des activités économiques telles

par le seul examen des statistiques démographiques : un centre devrait regrouper non seulement une part signicative d'Arméniens mais devrait disposer aussi de fonctions centrales .

A partir des données statistiques recueillies, on peut avancer que le modèle de l'enclave tel qu'il a été envisagé par les premiers sociologues de Chicago et refor-mulé par Alejandro Portes principalement, ne s'applique pas à la répartition des Arméniens. Il n'existe pas une enclave où les Arméniens seraient majoritaires, mais plusieurs espaces de concentration où ils sont minoritaires, à des degrés divers. Ces constats sont fondés sur des données quantitatives, or les études de Chicago se sont fondées sur des statistiques mais aussi et surtout sur des données qualitatives notamment des récits de vie (Chapoulie, 2001). La partie II viendra compléter les données quantitatives en exploitant les résultats de l'enquête qualitative que j'ai menée. Mais auparavant, le chapitre qui suit analyse précisément les caractéris-tiques des diérents modèles spatiaux qui ont servi à expliquer l'organisation et le fonctionnement d'une ville immigrée , de Chicago à Los Angeles. Que signie notamment le passage du modèle d'une enclave unique à la métaphore d'une mo-saïque ou d'un archipel d'enclaves ? Les analyses contemporaines sur Los Angeles (Soja, 2000, Dear, 2000) contredisent-elles le modèle classique de l'enclave hérité des études sur Chicago menées au début du XXe siècle ?

Chapitre 2

L'ambiguïté de la mosaïque : du

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