• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 : Corrosion des alliages d’aluminium, étude bibliographique

III. Protection contre la corrosion

III.1. Les revêtements passifs – propriétés barrières

Pour que la corrosion soit initiée, il faut que les espèces corrosives liquides, ioniques et gazeuses (H2O, O2, Cl-) atteignent la surface du métal. L’évaluation de la perméabilité est donc indispensable pour améliorer les propriétés barrières des matériaux41. Plusieurs modèles ont été développés pour tenter d’expliquer la perméabilité. Le premier, assez simple est celui de Graham (1886) qui décrit la perméation comme une succession de 3 étapes42 :

1. Adsorption des molécules dans le polymère

2. Diffusion de la zone la plus concentrée à la moins concentrée 3. Désorption des molécules de l’autre côté du film

La perméabilité (P) est donc proportionnelle au coefficient de diffusion (D) et à celui de solubilité (S) : P  D.S

Bien que ce modèle ait été amélioré depuis pour s’adapter à des systèmes plus complexes42, il permet d’appréhender les phénomènes mis en jeux.

Les études sur les revêtements protecteurs portent sur de nombreux matériaux comme les oxydes ou les polymères organiques. Ces derniers, peu chers et dont la diversité des précurseurs permet une grande variabilité des propriétés sont au cœur de la recherche sur les films barrières et les phénomènes de diffusion. Comme pointé du doigt dans la revue de Sangaj43 les relations entre la perméabilité des polymères et les propriétés anticorrosion sont cependant encore assez mal comprises car les systèmes développés sont souvent très complexes :

- La composition des revêtements est souvent très hétérogène (matrice, pigments, inhibiteurs de corrosion, charges inorganiques,…). La combinaison de ces composants, associée à la diversité des précurseurs moléculaires pouvant être utilisés pour la matrice polymérique a forcément une influence sur la perméabilité.

- L’eau, les ions ou les produits de corrosion qui diffusent inévitablement dans le matériau au cours du temps peuvent le modifier et donc altérer ses propriétés.

39 - Lors de la préparation et du dépôt des revêtements, de nombreuses techniques peuvent être utilisées. Le séchage, l’évaporation du solvant, les traitements thermiques ou photochimiques,… influent sur la microstructure.

- L’adhésion est un critère important, parfois difficile à décorréler des propriétés barrières lors des études de durabilité. Cependant les fonctions chimiques conduisant à une bonne adhésion (plutôt à caractère hydrophile pour interagir avec l’oxyde ou le métal) sont souvent incompatibles avec des barrières à l’eau (plutôt à caractère hydrophobe).

- La corrosion dépend de la présence d’eau, d’oxygène et d’ions agressifs comme les chlorures à la surface du métal. La taille, la polarité, les interactions de ces derniers avec les matériaux sont différentes. Il est donc nécessaire d’identifier quels sont ceux qui interviennent dans l’étape cinétiquement déterminante de la corrosion et de trouver des compromis dans la synthèse des revêtements.

Même s’ils ne sont pas exhaustifs, les quelques critères évoqués ci dessus illustrent bien la complexité de ces systèmes et le lien fondamental qu’il peut exister entre la composition, la

microstructure et les propriétés barrières.

Une question se pose donc : peut-on quantifier et caractériser les hétérogénéités (taille, quantité, distribution dans le matériau,…), qu’elles soient de nature chimique ou morphologique afin d’appréhender les mécanismes de perméation à l’intérieur de ces matériaux ? En effet, les interactions entre les espèces agressives et la matrice ne sont pas encore parfaitement comprises et les techniques de caractérisation actuelles ne permettent pas de séparer facilement les phénomènes mis en jeu : s’agit-il d’adsorption, d’absorption, de condensation capillaire dans les pores résiduels, etc. ?

En élargissant les recherches à d’autres domaines que la corrosion comme les membranes de désalinisation ou le packaging, il est cependant possible d’obtenir quelques pistes permettant de rationaliser la synthèse de films barrières performants44.

Transport de l’eau

H2O est une petite molécule, susceptible de former des liaisons hydrogène et qui condense facilement. Pour ces raisons, la perméabilité des polymères à l’eau est un phénomène compliqué ayant reçu beaucoup d’attention.

40 Si l’on s’intéresse à l’interaction de l’eau avec les fonctions de la matrice, Hayward45 différencie dans ses travaux l’eau « liée », fixée à la matrice de l’eau « libre », pouvant se déplacer dans le matériau. Il met en évidence que la fonctionnalisation de polymères époxy/amine par des halogènes permet de limiter la proportion d’eau liée. Des études comme celles de Takeshita46 couplant DSC et ATR FTIR ont quant à elles permis d’identifier différents types d’interactions entre les molécules d’eau et la matrice du revêtement. Elles peuvent être liées au polymère par des liaisons hydrogènes ou des interactions de Van der Waals dont la force dépend de la polarité du matériau47. Ces molécules peuvent être liées à la matrice sous forme moléculaire ou clustérisées et d’autres peuvent se déplacer dans les pores, seules ou via la sphère de solvatation de différents ions présents en solution.

Sangaj43 détaille dans son article de revue différents paramètres pouvant influencer la perméabilité des polymères. Parmi ceux-ci sont par exemple listés la polarité et les liaisons hydrogènes, l’encombrement stérique des chaines latérales, la cristallinité, … D’un point de vue structural, plus un polymère est réticulé et hydrophobe, moins l’eau à de chance de diffuser. Cependant, l’expérience a montré qu’ils gonflent tous en présence d’eau48 et s’il est possible de limiter ce gonflement en utilisant des matériaux hydrophobes, il est quasiment impossible de l’éviter. Comme la quantité d’eau nécessaire pour initier la corrosion à l’interface avec le métal est faible44, il est aussi important de porter attention à la diffusion des autres espèces corrosives.

Transport de l’oxygène

O2 est une molécule apolaire qui interagit assez peu avec les polymères. En présence d’oxygène, la matrice ne subit généralement pas de réarrangement et c’est plutôt la diffusion qui gouverne la perméabilité49. Comme pour l’eau43, ce sont les paramètres structuraux des polymères comme la polarité, l’encombrement stérique des chaines latérales ou la cristallinité dont dépend la perméabilité. Les effets ne sont cependant pas les même : si l’on prend l’exemple de la polarité, les matériaux hydrophiles présentent une perméabilité à l’oxygène plus faible que les matériaux hydrophobes43. En effet, la densité de ces polymères hydrophiles a tendance à être renforcée, en particulier grâce à des liaisons H et donc à diminuer le volume disponible pour la diffusion. Ces propriétés sont antagonistes avec celles de barrières à l’eau ; afin d’optimiser un matériau, il est donc primordial de trouver un compromis entre la diffusion des gaz et des liquides41.

A part jouer sur la fonctionnalité des matériaux, un moyen utilisé par exemple dans l’industrie alimentaire pour limiter la diffusion est l’ajout de matériaux anisotropes denses dans la

41 matrice. Comme schématisé sur la Figure 13 inclure des composés lamellaires denses comme les argiles induit de la tortuosité et augmente donc le chemin à parcourir entre la surface et le métal50,51.

Figure 13 : Influence de la morphologie des charges sur le chemin de diffusion : (a) charges conventionnelles et (b) charges lamellaires orientées.

Transport ionique

Le transport ionique a beaucoup été étudié dans le domaine des membranes de désalinisation52 ou la biophysique53 mais finalement assez peu dans celui de la corrosion. Il semble cependant pertinent de s’inspirer des conclusions faites dans ces domaines pour appréhender celui qui nous intéresse.

Comme suggéré par les travaux de Nakamura54, il semblerait que le passage des ions dans une matrice polymère dépende des interactions à l’échelle moléculaire plus que des propriétés diélectriques globales du matériau. Pour qu’un ion (et sa sphère d’hydratation) puisse passer au travers d’un film dense, la présence de fonctions polaires est donc nécessaire. Concernant leur mouvement, Keith55 évoque des phénomènes de « hopping ». Autrement dit, le déplacement des ions se ferait par une succession de formation / rupture de liaisons électrostatiques avec les fonctions polaires de la matrice. Ainsi, le paramètre important qu’est la distance entre chaque groupes peut être ajusté en jouant sur la concentration des fonctions polaires dans le milieu44,55.

Dans le cas des membranes de « Donnanc »56, la sélectivité ionique peut être contrôlée en ajoutant une charge opposée à l’ion à bloquer, à l’intérieur de la matrice57. Bien que cette approche soit assez peu évoquée dans la littérature sur les revêtements anticorrosion, il est possible de s’en inspirer en imaginant des systèmes polymériques possédant des chaines pendantes dont la charge partielle négative repousserait les Cl-. Hugues58 évoque d’ailleurs cette option dans un article de revue sur la protection des métaux. Ce principe de membrane semi-perméable pourrait ainsi, d’après Croll44, expliquer en partie pourquoi les revêtements en polychlorure de vinyl possédant des fonctions C-Cl

c Membrane semi perméable au passage des ions mettant en application l’effet Gibbs-Donnan, du nom des deux physiciens ayant mis en évidence ce phénomène.

42 sont si efficaces pour la protection des aciers ou pourquoi les polyuréthanes (C=O-) ont une durée de vie légèrement supérieure aux époxy.

En plus de la polarité des fonctions composant le polymère, sa microstructure joue un rôle primordial. En effet, les matériaux n’étant jamais complètement réticulés / condensés, ils contiennent intrinsèquement des défauts (pores, fissures, cavités, jonctions entre différentes phases…) qui sont des zones propices à la diffusion des espèces agressives59. Ainsi, la quantité et la taille de ces domaines, ajoutés aux hétérogénéités de composition sont des paramètres clés qu’il ne faut pas oublier de considérer lors du design des matériaux.