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Les responsabilités en matière de risques psychosociau

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423. La loi de modernisation sociale de 2002 introduisant le harcèlement moral et la santé mentale dans la législation du travail a ouvert la voie à la judiciarisation des risques psychosociaux. Désormais, le contentieux relatif au droit de la santé mentale au travail se porte devant le juge civil et/ou le juge pénal. Devant la juridiction civile, la victime recherche la réparation des préjudices subis par la condamnation de l’employeur à des dommages-intérêts. Le juge pénal652, quant à lui, prononce une sanction liée à la commission d’une infraction qualifiée. Le harcèlement moral, par exemple, relève aussi bien des juridictions civiles que pénales, mais le contentieux se fait plus souvent au civil qu’au pénal car, pour qu’une sanction pénale soit prononcée, il faut que l’acte litigieux réponde à trois critères cumulatifs constitutifs de l’infraction : l’élément légal (la loi prohibant de tels comportements), l’élément matériel (la preuve des faits allégués) et l’élément moral (l’intention de l’auteur des actes litigieux). Ce dernier critère n’est pas toujours évident à prouver car le harcèlement organisationnel est diffus, en cascade et relève parfois plus d’une grave désorganisation de l’entreprise que d’une volonté réelle de nuire (détruire) à autrui. Même s’il serait plus juste de sanctionner de tels comportements plutôt que de payer des dommages-intérêts, les problématiques juridiques se résolvent plus couramment en argent. La santé et la dignité du travailleur constituent alors des contre-valeurs pécuniaires. Cette solution n’est donc pas satisfaisante au regard des atteintes portées à la personne d’autrui en situation de subordination et donc de vulnérabilité, mais elle constitue, pour l’instant, la seule réponse capable de faire avancer la cause de la prévention des risques des atteintes à la personne.

424. Certains employeurs provisionnent le risque juridique et la réparation partielle ou intégrale des préjudices subis par les employés. Les provisions pour risques et charges sont dévoyés pour calculer les risques du non-respect des droits des travailleurs. Quand le risque juridique et financier coûte moins cher que le respect des droits, une bonne gestion, purement comptable et à court terme, impose de faire passer les droits des travailleurs après la course à la productivité aux risques et périls des employés. Une ordonnance de 2015653 a voulu vainement endiguer cet état de fait en plafonnant, de surcroît, les

652. Si une action judiciaire est intentée à la fois au civil et au pénal, le fait de ne pas obtenir la condam- nation de l’auteur des faits devant le juge de la répression, n’enlève pas la possibilité d’obtenir des dommages-intérêts devant la juridiction civile.

653. Ordonnance no2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des

relations de travail.

L’exigence par le juge d’une protection totale de l’intégrité physique et mentale des travailleurs

dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse654. Il aurait fallu, dès lors, pour le salarié demander également réparation des préjudices subis issus des harcèlements moral ou sexuel, discrimination, non-respect de l’égalité professionnelle, ceux-ci étant exclus du plafonnement des dommages-intérêts. Souvent l’employeur aura eu recours à des manœuvres dolosives visant à pousser le salarié à démissionner655, cette tentative ayant échoué, le licenciement est alors prononcé sur des éléments montés de toutes pièces ou n’étant pas de nature à pouvoir le justifier. Pourtant, toutes les manœuvres dolosives ne sont pas toujours recherchées dans les demandes faites auprès du juge, les avocats préférant utiliser le moyen du licenciement sans cause réelle et sérieuse à l’appui de leurs arguments. Les indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse peuvent alors être considérées (sans leur plafonnement) comme une « sécurité juridique » pour l’employeur, car elles constituaient un forfait regroupant un ensemble large d’atteintes aux droits des travailleurs, quand bien même leur montant n’était pas prédéfini. Le plafonnement des indemnités appelle à considérer l’ensemble des risques professionnels ayant atteint le salarié et des entorses faites aux droits fondamentaux, notamment ceux relatifs à la santé mentale des employés. Le plafonnement des indemnités de licenciement était donc une fausse bonne idée car le niveau de vigilance du juge augmente proportionnellement à la carence du législateur656 dans la protection des travailleurs. Heureusement, aussi bien pour l’employeur que pour l’employé, le Conseil constitutionnel a finalement rejeté l’article 266 de la loi du 6 août 2015657, la limitation apportée à la réparation des dommages causés en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse étant contraire au droit. Malheureusement, les ordonnances du 22 septembre 2017 visant à réformer le Code du Travail ont passé en force le plafonnement des indemnités contre lequel se rebellent de nombreux conseils des prud’hommes qui invoquent, dans leurs jugements, des dispositions issues du droit social européen et international pour accorder aux salariés des indemnités allant au-delà du barème fixé par les ordonnances. L’arbitrage sur ce point par la Cour de cassation est, à ce jour, attendu.

425. Le juge veille au respect de la loi, et si la loi de 2002 a inséré le harcèlement moral dans les risques professionnels à charge de prévention pour l’employeur, le juge ne s’est pas cantonné à ce seul type de risque psychosocial : stress ; burn-out ; violences ;

654. Amicus curiae concernant l’article 87 D du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, Syndicat de la Magistrature, Syndicat des avocats de France, Juillet 2015. 655. Cass. soc., 11 juill. 2012, pourvoi no11-19971.

656. A. Supiot, « Un faux dilemme : la loi ou le contrat ? », Droit Social, Dalloz 2003.59.

657. Décision no2015-715 DC du 5 août 2015 relative à la Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des

Les fondements du droit à la santé mentale au travail

souffrance sont aussi présents dans la jurisprudence. L’employeur doit veiller à la santé physique et mentale de ses employés, mais la vigilance des risques psychosociaux ne s’impose pas qu’à lui. Il existe des responsabilités de l’employeur (§1) et également des responsabilités de travailleurs (§2) en matière civile et pénale, même si celles de l’employé ne peuvent décharger l’employeur de la sienne.

§ 1. Responsabilités de l’employeur

426. Les textes juridiques posent nombre d’obligations à la charge de l’employeur, mais l’effectivité du droit ne s’opère, pour certaines entreprises, que sous la menace du recours au juge, qu’il soit civil (A.) - pouvant déstabiliser une entreprise (le coût d’une condamnation pour faute inexcusable pouvant être très élevé pour un petit établissement) - ou pénal (B.) - pouvant ouvrir un casier judiciaire.

A. La responsabilité civile de l’employeur

427. La responsabilité civile de l’employeur peut être recherchée selon qu’une at- teinte à la santé est constatée ou qu’elle risque de se produire. En cas d’accidents du travail ou de maladies professionnelles avérés, la victime bénéficie d’une réparation forfaitaire, régime institué par la loi de 1898 et poursuivi par la sécurité sociale658. Celle-ci est automatique au travailleur pour tout accident ou maladie, subi dans l’exercice de ses fonctions sans avoir à prouver la faute de l’employeur 659. Elle est cependant minimale dans la mesure où elle ne comporte que la prise en charge du salaire de la victime pendant son arrêt de travail (si la convention collective le prévoit) et les soins médicaux afférents, à l’exclusion d’autres préjudices. L’indemnisation de la victime n’est donc que partielle et le régime d’indemnisation fait figure d’exception au principe de réparation intégrale des dommages causés par un tiers sur sa personne. Cette indulgence faite à l’employeur vient aujourd’hui en contradiction avec son obligation de sécurité de résultat. En effet, le régime de réparation forfaitaire660avait été institué afin que la victime n’ait pas à

658. Loi no46-2426 du 30 octobre 1946 sur la prévention et la réparation des accidents du travail et des

maladies professionnelles.

659. P.-Y. Verkindt, « La santé au travail, quelques repères pour un droit en mouvement », Droit ouvrier, mars 2003, p. 82 s.

660. Plusieurs rapports préconisent le passage du système de réparation forfaitaire à la réparation intégrale. R. Masse, Réflexions et propositions relatives à la réparation intégrale des accidents du travail et des maladies professionnelles, Commission spécialisée en matière de maladies professionnelles du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels, 2001 ; M. Yahiel, Vers la réparation intégrale des accidents du travail et des maladies professionnelles, Rapport à l’intention de Madame

L’exigence par le juge d’une protection totale de l’intégrité physique et mentale des travailleurs

prouver la faute de l’employeur, mais, avec la nouvelle exigence du juge instituant un résultat en matière de prévention des risques professionnels, toute atteinte à la santé du travailleur relève nécessairement d’une faute de l’employeur puisqu’il y a eu une faille dans son système de prévention - si tant est qu’il en ait mis un en place - qui a permis la réalisation d’un risque psychosocial.

428. La responsabilité civile de l’employeur en cas de risques psychosociaux est de deux ordres : d’une part, elle peut s’ancrer dans le système de réparation forfaire si les dommages causés obtiennent la qualification d’accident du travail ou de maladie professionnelle661. D’autre part, en dehors de tout ATMP, le travailleur peut obtenir

des dommages-intérêts pour les préjudices subis.

1. De l’obligation de moyens à l’obligation de sécurité de résultat en matière de risques psychosociaux

429. En droit positif, l’employeur est débiteur d’une obligation de sécurité de résultat à l’égard de ses employés, c’est-à-dire que quels que soient les moyens de prévention des risques psychosociaux mis en place, l’employeur est responsable de toute atteinte à la santé des travailleurs662. La prévention doit parvenir à un seul résultat : garder l’individu sain, au risque, pour l’employeur, de se faire condamner, si les critères sont réunis, pour faute inexcusable663. Celle-ci était prévue dès la loi de 1898 en ces termes :

« Lorsqu’il est prouvé que l’accident est dû à la faute inexcusable du patron ou de ceux qu’il s’est substitué dans la direction, l’indemnité pourra être majorée »664. La possibilité d’obtenir une meilleure réparation des préjudices subis par l’accident du travail ou la

Élisabeth Guigou, Ministre de l’Emploi et de la Solidarité, Avril 2002 ; M. Laroqe, La rénovation de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles, Rapport remis à M. Fillon, Ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité et présenté par le comité technique de pilotage de la réforme des accidents du travail, mars 2004

661. J.-P. Teissonnière, « Contentieux civil : un long siècle d’absence », Droit ouvrier, mars 2003, p. 104 s. 662. Patrick Morvan, « Securitas om nia corrum pit ou le principe selon lequel il incombe à l’employeur

de protéger la sécurité et la santé des travailleurs », Droit social, Dalloz 2007.674.

663. Le bénéfice de la faute inexcusable réside dans la réparation de l’ensemble des préjudices subis et couverts par la sécurité sociale auxquels s’ajoutent ceux reconnus par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 juin 2010. Sont pris en compte : les souffrances physiques et morales ; les préjudices esthétiques et d’agrément ; le préjudice sexuel ; le préjudice financier ; le préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ; le préjudice d’anxiété (mais ce dernier est très restreint dans son application) ; etc. Tous les dommages causés à l’individu doivent être réparés dès lors que la faute inexcusable de l’employeur est reconnue.

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