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L’exigence par le juge d’une protection totale de l’intégrité physique et mentale des travailleurs

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419. Le droit à la santé et à la sécurité au travail n’existe pas que dans les textes internationaux, européens ou français. Il est aussi l’apanage du juge qui s’efforce d’assurer son effectivité dans toutes ses dimensions y compris celles qui n’ont pas été expressément prévues par la lettre de la loi. Le droit de la santé et de la sécurité au travail a évolué au fur et à mesure des constructions jurisprudentielles, la plus emblématique étant l’obligation de sécurité de résultat fondée sur la directive-cadre 89/391 relative à la prévention des risques professionnels637.

420. Historiquement, ce droit s’est construit, à partir du XIXesiècle, avec le concours

du juge civil638, en amont du législateur639plutôt passif face aux évolutions des risques du travail640, en protégeant les salariés des affres de l’activité professionnelle641. Les débuts de l’industrialisation ont fait leur lot de morts, de blessés, d’invalides du travail642,

637. Marie-Ange Moreau, « L’obligation générale de préserver la santé des travailleurs (ou ne pas oublier l’ancrage communautaire de certains textes) », Droit social, Dalloz 2013.410.

638. « De la fatalité à la prévention, Hygiène, Sécurité et Santé au Travail, Plus d’un siècle d’évolution », in, Conférence débat organisée par le groupe régional d’Île-de-France du comité d’histoire des administrations chargées du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, oct. 2009, p. 12. 639. A. Cottereau, « Droit et bon droit : un droit des ouvriers instauré, puis évincé par le droit du

travail (France, XIXème siècle) », Annales. Histoire, Sciences Sociales 2002.1521.

640. Fr. Hordern, « Du Code civil à un droit spécifique », Cahiers no3 de l’Institut régional du travail,

Université Aix – Marseille II 1991.

641. « La femme pauvre au XIXème siècle. Quels moyens de subsistance ont les femmes ? Travail Manuel, à domicile, à l’atelier, réformes à tenter », Travail, genre et sociétés, 1999, no1, p. 129 s. ; Fr. Choisel, « Le

Sénat du Second Empire et le travail des enfants dans les manufactures », Parlement[s], Revue d’histoire politique 2012.132 ; Fr. Hordern, « Conditions de travail et mouvement ouvrier (1876-1918) », Les cahiers du comité d’histoire, Cahier no5, mai 2001, p. 47 s.

642. Br. Mattei, Rebelle, rebelle ! Révoltes et mythes du mineur 1830-1946, Collection Milieux, Champ Vallon, Presses Universitaires de France, 1993 ; D. de Blic, « De la fédération des mutilés du travail à la fédération des accidentés du travail et des handicapés », Revue Française des Affaires sociales 2008.119

Les fondements du droit à la santé mentale au travail

laissant des familles entières dans la misère. À l’époque, le contrat de louage de services643 était la forme régulière de la relation de travail, contrat par lequel une personne (l’ouvrier) s’engage à mettre son activité professionnelle à la disposition d’une autre personne (un maître) et à travailler sous sa direction moyennant une rémunération déterminée. Cette relation de travail entre le donneur d’ordres et l’exécutant excluait toute réparation des accidents survenus à l’occasion du travail644. En acceptant un salaire en échange d’un service, l’ouvrier acceptait aussi les dangers inhérents à l’activité professionnelle et le maître s’en affranchissait en payant un salaire. Jusqu’à la moitié du XIXesiècle, le juge

refusait tous les recours tendant à une demande de réparation des dommages causés par l’activité confiée par le maître, mais en 1848 la Cour de cassation accepte le recours civil de l’ouvrier en application du droit commun de la réparation fondé sur les articles 1382 et 1383 du Code civil645. La question de l’obligation de sécurité de l’employeur à l’égard de ses employés devient une question d’ordre public. Il s’agit toutefois d’une victoire en demie teinte car l’accident du travail devait emporter la qualification de délit ou de quasi-délit, ce qui exclut le fait du hasard tel que la force majeure ou encore la cause inconnue qui représentaient les trois quarts des accidents. De plus la charge de la preuve pesait sur l’ouvrier. Elle devait être solide, car il a fallu attendre une loi de 1868 pour que le témoignage d’un ouvrier soit placé sur le même pied d’égalité que celui du patron646. Auparavant, l’article 1781 du Code civil énonçait que le maître est cru dans son affirmation. À partir de 1890, la Cour de cassation ouvre le recours au droit pénal647et sanctionne les homicides et blessures involontaires causés de son propre

fait ou du fait des choses sous sa garde (les machines). La preuve d’une maladresse, imprudence, négligence ou inobservation des règlements en matière d’hygiène, d’emploi des femmes et des enfants et de durée de travail était toujours requise. Cependant, en matière pénale, l’ouvrier n’est pas seul : le ministère public enquête sur les circonstances de l’accident et sur les lieux de travail. Les victimes, les ayants-droit, le ministère public et les compagnies d’assurances poursuivent les employeurs indélicats. C’est alors qu’une

643. Philippe Lefebvre, « Subordination et « révolutions » du travail et du droit du travail (1776-2010) », Entreprises et histoire, 2009, no57, p. 45 s.

644. Cette forme de convention s’apparente, à ce que nous connaissons aujourd’hui avec le contrat de prestations de services entre une entreprise et un autoentrepreneur.

645. Art. 1382 du Code civil créé par la loi du 19 février 1804 : Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Article 1383 du Code civil créé par la loi du 19 février 1804 : Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

646. A. Castaldo, « L’histoire juridique de l’article 1781 du Code civil : « La maître est cru sur son affirmation » », Revue historique de droit français et étranger, avr. 1977, v. 55, no2, p. 211 s.

647. Cass. crim., 5 déc. 1890, Bulletin 1890 no247.

L’exigence par le juge d’une protection totale de l’intégrité physique et mentale des travailleurs

loi est adoptée en 1898648en matière de responsabilités des accidents du travail649avec le soutien du patronat. Cette loi pose les principes de responsabilité patronale et d’une réparation forfaitaire des accidents du travail. Désormais, la victime d’un accident du travail n’a plus à apporter la preuve d’une quelconque faute de l’employeur, mais, cette loi prévoit dorénavant que « les ouvriers et employés ne peuvent se prévaloir, à raison des accidents dont ils sont victimes dans leur travail, d’aucunes autres dispositions que celles de la présente loi ».

421. En matière civile, le principe de la réparation forfaitaire strict a subsisté jusqu’en 2002, date à laquelle le juge a assoupli la définition de la faute inexcusable de l’employeur. Jusque-là, la définition issue de la jurisprudence Veuve Villa650de 1941 était appliquée : « la faute inexcusable doit s’entendre d’une faute d’une gravité exceptionnelle, dérivant d’un acte ou d’une omission volontaires, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l’absence de toute cause justificative ». L’arrêt de 2002 a assoupli cette définition qui ne requerrait plus l’exceptionnelle gravité. Le juge souhaitait ainsi assurer une meilleure indemnisation des préjudices subis651.

422. Les obligations de l’employeur en matière de risques psychosociaux n’ont cessé de croître à la faveur du juge qui s’allie aux travailleurs contre les dérives des employeurs et les organisations du travail dévastatrices. Le juge s’est adapté à la singularité française du rapport au travail et des souffrances engendrées pour protéger les travailleurs des répercussions parfois graves que peut avoir le travail sur leur santé. Les obligations en santé au travail découlent de la législation qui détermine les responsabilités en matière de risques psychosociaux (Section I). Hormis la législation spécifique, le juge a déterminé un certain nombre de principes pour protéger contre toute atteinte à la santé mentale et à la dignité des travailleurs (Section II).

648. Loi du 4 sept. 1898 concernant les responsabilités dans les accidents du travail.

649. Cette loi a été étendue aux maladies professionnelles par la loi du 25 octobre 1919, JORF du 27 octobre 1919, p. 11973.

650. Cass. ch. réunies, 15 juillet 1941 : DC. 1941, jurisp. p. 117, note Rouast.

651. « Commentaire de la décision no2010-8 QPC - 18 juin 2010 », Les cahiers du Conseil constitutionnel,

Les fondements du droit à la santé mentale au travail

Section I. Les responsabilités en matière de risques

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