• Aucun résultat trouvé

3. Cadre méthodologique

3.1 Les représentations sociales

Nous nous proposons, ici, d‟examiner le concept de représentation sociale. Cet aperçu théorique trouve sa place dans cette partie empirique car les concepts dont il est question ici sont d‟ordre méthodologique. Effectivement, les dimensions théoriques de la lecture-compréhension et de son évaluation, thématiques au cœur des pratiques des répondants, nous les avons minutieusement décrites dans la première partie. Les aspects théoriques des RS œuvrent, à notre avis, comme des concepts opératoires pour le cadre méthodologique. Si notre but est celui d‟examiner les traces des représentations (constituants de la vie psychique des répondants) sur les thématiques déjà mentionnées, il s‟agit de proposer ici un positionnement sur la manière d‟envisager les RS. C‟est alors à partir du modèle retenu que nous allons orienter l‟analyse des verbalisations.

3.1.1 Parcours définitionnel

A cheval entre la Psychologie Sociale et la Sociologie et objet d‟intérêt de nombreuses disciplines, les approches concernant les RS sont tellement variées que son champ est qualifié de « jungle » (Bihan-Poudec, 2013 : 157) et de « fourre- tout conceptuel » (Bertrand, 1993 : 102). Voici un survol sur les définitions afin d‟essayer de cerner ce concept aux multiples facettes et le rendre opérationnel à notre recherche.

Mettant l‟accent sur l‟interaction individu-monde social et l‟influence réciproque qu‟ils exercent l‟un sur l‟autre, Abric (1989 : 188) définit les RS comme

« un ensemble organisé d’opinions, d’attitudes, de croyances et d’informations se référant à un objet ou une situation. Elle est déterminée à la fois par le sujet lui- même (son histoire, son expérience), par le système social et idéologique dans lequel il est inséré, et par la nature des liens que le sujet entretient avec le système social ».

69

Cette définition s‟apparente à celle de Sere (2013) dans le sens où l‟on souligne l‟impact des caractéristiques du sujet dans la conformation de la RS et le caractère situé du processus.

« Une représentation sociale est toujours une représentation d’un objet pour quelqu’un. […] Le sujet lui-même, avec son histoire et son vécu, le système social et culturel du sujet et la nature des liens entre le sujet et ce système qui déterminent la représentation » (Sere, 2013 : 16).

Un aspect non-traité (ou peut-être sous-entendu) par ces auteurs dans la formation d‟une représentation, mais repris Jodelet (2003 : 53) et par Miras (2014), est celui des implications affectives. En effet, nous intervenons dans le processus de construction des RS avec toutes nos ressources y compris les émotions qui « sont à la fois un filtre entre nos représentations du monde et la manière dont nous le percevons, mais également un déclencheur de processus neurocognitifs » (Miras, 2014 : 32).

Une RS n‟est pas universelle mais elle n‟est pas non plus le fruit exclusif d‟une individualité. Suivant Py (2002 : 14-15) nous postulons que dans toute représentation il y a incontestablement une dimension individuelle, évolutive du fait de l‟interaction et des particularités du sujet, mais aussi et surtout, une dimension doxique, c‟est-à-dire, conventionnelle et relativement stable sans quoi la représentation ne serait pas sociale et la communication ne serait pas réussie. Raiter (2002) explique ce rapport comme une « tension » entre la quête d‟individualité et la nécessité de communiquer.

« Il existe […] une tension entre la possibilité pour chaque membre d’une communauté d’avoir des représentations différentes (du fait de l’âge, des groupes d’appartenance, etc.) et le besoin de communiquer donc de partager des représentations pour garantir la cohésion de la communauté. Un grand nombre se concrétisent dans des lois. D’autres, plus évidentes, ne figurent pas dans les documents, telles que «ce n’est pas bien de mentir, il faut former une famille »17 Raiter (2002 : 19).

Pour différencier ces deux dimensions, Gajo (2002 : 40) préfère parler de préconstruction et de co-construction. Etant implicites et stables, les RS donnent facilement accès aux références communes et sont actualisées dans le discours (préconstruction). Etant explicites et changeantes, elles permettent la négociation pour et par le discours (co-construction). Cet aspect des RS nous interpelle tout particulièrement étant donné que nous allons travailler avec des entretiens, c‟est-à-dire,

17

70

avec des instances d‟interaction où les préconstruits seront constamment re-négociés dans un processus de co-construction pour garantir une intelligibilité (Gajo, 2000 : 41).

Pour leur part, Moliner et al. (2002 : 13), en définissant les RS comme « un ensemble d‟éléments cognitifs (opinions, informations, croyances) relatifs à un objet social » renforcent l‟aspect cognitif du phénomène. Mais Raiter (2002 : 14-15) nous prévient que

« si le mécanisme de production est identique pour tous les êtres humains, tous n’ont pas la même conception du monde. Et ce parce que nous ne recevons pas les mêmes stimulus, nous ne les percevons pas de la même manière, nous n’y portons pas le même intérêt et, surtout, tous ces stimulus (une fleur, une scène de violence, etc.) sont médiés linguistiquement dans la communication par les images que nous ont été transmises » (Raiter, 2002 : 114-15)18.

Malgré l‟universalité des processus cognitifs, les RS ne peuvent pas exister en dehors de l‟interaction humaine médiée par le langage. Et lorsque Raiter parle d‟ « images » et de « transmission », ces mots trouvent leur écho dans ceux de Saussure dans sa définition de langue comme « un trésor déposé par la pratique de la parole dans les sujets appartenant à une même communauté » (Saussure, 1971 : 30). Ce qui ratifie encore une fois le lien indissoluble entre discours et RS et la pertinence de l‟analyse du discours comme méthode d‟analyse.

Pour Jodelet (1989 : 36), la RS est « une forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d‟une réalité commune à un ensemble social ». Dans sa définition, l‟auteure fait ressortir la visée pratique des RS, c‟est-à-dire, l‟orientation qu‟elles donnent à nos actions et la construction d‟une identité partagée. La définition de Moscovici (1969) nous intéresse par le détail qu‟elle offre des fonctions des RS :

« Un système de valeurs, de notions et de pratiques ayant une double vocation. Tout d’abord, d’instaurer un ordre qui donne aux individus la possibilité de s’orienter dans l’environnement social, matériel et de le dominer. Ensuite d’assurer la communication entre les membres d’une communauté en leur proposant un code pour leurs échanges et un code pour nommer et classer de manière univoque les parties de leur monde, de leur histoire individuelle ou collective » (Moscovici, 1969 : 7).

En effet, par l‟organisation du psychisme (Mannoni, 2016 : 4) les RS offrent un moyen de rendre intelligible le monde permettant au sujet d‟orienter son agir et, en tant que

71

« produits élaborés par la mentalité collective culturellement déterminée » (Ibidem), elles garantissent l‟intercompréhension et la survie de l‟identité communautaire.

La définition de Moscovici ci-dessus peut être complétée par celle de Doise (1986 : 85) qui met en valeur une autre fonction qui est celle de générer des « prises de position liées à des insertions spécifiques dans un ensemble de rapports sociaux ». Encore une fois le lien étroit entre l‟individuel et le social, la tradition et le contexte. Ce qui revient à dire que les RS peuvent être « abordées à la fois comme le produit et le processus d‟une activité d‟appropriation de la réalité extérieure à la pensée et d‟élaboration psychologique et sociale de cette réalité » (Jodelet 2003 : 54). La nature pragmatique des RS s‟explique par la capacité des individus et des groupes à donner du sens à la réalité pour agir sur elle.

Synthèse de positionnement du Volet 3.1

Les RS constituent un ensemble organisé d‟attitudes, de croyances, d‟opinions et d‟informations que l‟on a d‟une situation ou d‟un objet (Abric, 1989 : 188). Ces formes de connaissance, de reconnaissance, de jugement et de sentir sont socialement construites, partagées et intériorisées. Leur caractère stable est actualisé dans le discours et leur caractère évolutif et négocié pour et par le discours. La position de Mannoni (2016) résume toutes les postures en postulant que les RS sont des régulateurs sociaux, car toute représentation est traversée par la tension qui résulte de sa dimension doxique et de sa dimension individuelle. Afin d‟insister sur le caractère incontournable des RS pour la vie mentale et la vie en société de l‟être humain, il finit par dire qu‟elles sont « des régulateurs de vie tout court » (Mannoni, 2016 : 88).