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5. Discussion

5.1 La lecture-compréhension : un monde fidèle à lui-même

Pour ce qui est de la LC, nous avons repéré deux tendances bien marquées chez toutes les enseignantes visant les habiletés de réception et de production : la construction du sens et la capacité de reformulation.

5.1.1 La LC comme pratique centrée sur la construction du sens

Pour la plupart des informatrices, la lecture-compréhension serait une pratique littéracique où la recherche du sens l‟emporte sur le travail décontextualisé de la langue. Elles ne souscriraient pas à un type de pratiques de la lecture, notamment en LE, où l‟étudiant, « comme par magie », apprendrait à lire en ne s‟appropriant que des éléments grammaticaux étudiés séparément.

Comme nous allons le voir ci-dessous, les déclarations des enseignantes affichent un net intérêt pour les actions didactiques visant la construction du/des sens du texte. A cela s‟ajoutent les réponses du questionnaire où lest items sur la réalisation de fiches grammaticales et de glossaires révèlent les taux les plus bas (une informatrice sur huit) au profit des aspects discursifs (voir Section 1.2.1). Le choix d‟une didactique située (voir Section 1.2.2), mettant l‟accent sur les stratégies de lecture contextualisés

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l‟emporte sur une didactique déclarative mettant l‟accent sur la grammaire (Section 1.1.2). Du moment qu‟il s‟agit d‟un cours de lecture et, qui plus est, en langue étrangère, les aspects linguistiques ne sont délaissés par aucune enseignante mais pris, par sept sur huit, dans leur rapport dynamique et intégré avec le sens véhiculé.

Dans les cas de Sofía et de Flora, elles ne mentionnent pas les aspects linguistiques lors de ces interventions et déclarent ne pas s‟intéresser aux procédés utilisés par les étudiants pourvu qu‟ils arrivent à comprendre ce qu‟ils lisent. Ana, pour sa part, considère que les aspects linguistiques sont subordonnés à la compréhension globale et fine. Elle priorise la construction des concepts et rejette la traduction littérale car elle ne présuppose pas toujours la compréhension. Le manque de connaissances générales ou disciplinaires et un niveau restreint de la langue-culture cible pourrait amener l‟étudiant à faire une possible traduction du texte sans qu‟il y ait eu de compréhension (Arévalo Benito, 2006 : 11), ce qui reviendrait à une désincarnation du sens. Dans le même esprit, Delfina cherche la réflexion chez les étudiants afin qu‟ils puissent dépasser le linguistique et réussir à conceptualiser. Pendant les enseignements, Tamara travaillerait la langue selon la perspective de la linguistique textuelle mais sans constituer une fin en soi, car son objectif pédagogique serait conduire les étudiants à être capables de donner du sens à ce qu‟ils lisent. Elle entend par lecture la construction de sens déclinée en sous-activités sociocognitives comme la mise en rapport du texte avec les contextes, avec d‟autres textes (intertextualité) et avec les connaissances préalables. Comme Tamara, Virginia s‟intéresse à la reconnaissance des éléments linguistiques en fonction de la compréhension. Julia, quant à elle, reconnaît que les étudiants doivent comprendre comment fonctionne « le squelette » de la langue mais que le but des cours est de pouvoir déterminer, par exemple, le sujet abordé dans un texte et non pas un élément grammatical. Voilà pourquoi elle demanderait à ses apprenants de relire à chaque fois pour vérifier le sens et la cohérence du texte produit.

Dans un positionnement plus tranché que les précédents et, surtout, nettement à l‟opposé de celui de Sofìa et Flora, Nadia se refuse à accepter la compréhension d‟un texte sans la connaissance explicite de la grammaire et l‟inclura, comme nous le verrons plus tard, dans les objectifs d‟évaluation. Elle se démarque du reste, les autres enseignantes ne prenant pas la grammaire comme une fin en soi mais comme l‟un des moyens d‟arriver à la compréhension. En reprenant les variables, nous avons constaté que Nadia, contrairement au reste des enseignantes de l‟échantillon, est la seule à ne pas

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avoir suivi de formation pédagogique. Ce qui pourrait probablement expliquer les différences de positionnement.

A la lumière de ces verbalisations, la lecture-compréhension est comprise comme une pratique centrée sur la construction du sens, exigeant un degré d‟intégration élevé et impliquant des opérations à haut coût cognitif (Gaonach, 1990 : 89). Plus en rapport avec la curiosité épistémologique prônée par Freire (2008 : 32) qu‟avec la traduction littérale ou la simple automatisation des éléments grammaticaux ou la mémorisation du vocabulaire. Cette construction se fonderait sur : le développement de processus cognitifs de conceptualisation ; la mise en rapport interactive et stratégique entre les connaissances du lecteur, le contexte de production et de réception et les éléments de la surface textuelle ; et l‟enseignement implicite de la grammaire de la langue cible.

Ces résultats seraient le reflet de la grande influence qu‟ont eu les recherches sur l‟énonciation, la linguistique textuelle, l‟analyse du discours et, notamment, les apports de l‟Interactionnisme socio-discursif, dans le domaine de la lecture-compréhension en Argentine, depuis les années quatre-vingt-dix jusqu‟à présent et qui considèrent : les textes comme des productions sociales situées analysables du point de vue énonciatif et de son architecture ; les lecteurs comme acteurs sociaux qui co-élaborent ces instruments sémiotiques leur permettant de réfléchir sur le monde et d‟agir sur lui ; la lecture comme une activité consubstantielle de la sphère de la praxis où la lecture trouve sa motivation » (Klett, 2007a : §19) ; et les interventions formatives explicites comme des facteurs majeurs du développement humain.

5.1.2 La LC comme pratique bilittéracique visant la capacité à reformuler Dans les cours de lecture-compréhension de FLE, comme nous l‟avons déjà signalé, les textes proposés appartiennent à l‟espace francophone et sont écrits en français alors que les activités de rédaction exigées se font toujours en espagnol (voir Section 1.3.2). Ces activités ne visent pas la traduction car il s‟agit de dialoguer avec les textes et construire des savoirs disciplinaires. Bottineau (2017) souligne que les pratiques didactiques des langues autres que la maternelle tendent parfois « à désincarner, désocialiser et surformaliser la production d‟objets langagiers » (2017 : 280). Voilà pourquoi, Ana, faisant appel à son expérience, ne se servirait pas de la traduction parce que, à ses yeux, elle n‟est pas garante d‟une compréhension

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significative. De son côté, Nadia serait la seule à utiliser la traduction dans ses cours. Elle fait ressortir sa singularité en disant que, même si ce type d‟exercice n‟est pas préconisé, il lui a donné de bons résultats. Toutefois, nous avons remarqué qu‟il s‟agirait plus d‟une reformulation que d‟une traduction. Ana insiste sur la capacité à communiquer ce qui a été compris, reconnaissant ainsi qu‟il s‟agit de deux opérations cognitives bien différentes. Pour elle, la compréhension se traduirait par la clarté de l'expression, ce qui ne va pas toujours de soi. L‟effort que représente le fait de mettre

noir sur blanc les idées retenues lors de la lecture est résumé par Nadia comme le

« paradoxe la lecto-compréhension » [R7 : S237] car elle dit avoir « la sensation que, des fois, ils comprennent tout le texte mais ils ont beaucoup de mal à répondre à certains points [R7 : S237]. Les attentes de Sofía seraient comblées si ses étudiants réussissent à comprendre et à exprimer le compris en utilisant les moyens dont ils disposent. Dans le même sens, comprendre un texte, c‟est, pour Flora, pouvoir reformuler les idées principales, pour Julia, savoir s‟exprimer et, pour Virginia, rédiger en langue maternelle ce qu‟ils ont compris. Tamara, pour sa part, privilégie le résumé et la synthèse, des genres textuels qui exigent des opérations de reformulation.

La lecture-compréhension, comme pratique bilittéracique visant la capacité à reformuler, apparaît donc comme le meilleur moyen de rendre compte de l‟appropriation du sens et, de ce fait, comme un levier de choix pour la construction des savoirs disciplinaires