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Partie III. Zonations et fractionnements Nb-Ta et Fe-Mn

2. Les processus de fractionnement Nb→Ta et Fe→Mn

Dans ce paragraphe, je ne parlerai que des processus de fractionnement qui permettent la séparation de Nb par rapport à Ta et de Fe par rapport à Mn. Le fractionnement des éléments Nb et Ta par rapport aux autres éléments n'a pas sa place ici, car à ce stade d'évolution du magma pegmatitique, ces deux éléments sont déjà extrêmement fractionnés par rapport aux autres. Les processus d'enrichissement en éléments rares en général ont été traités dans le Chapitre 1, Partie II (p. 25).

a. Fractionnement Nb→Ta

Les processus de fractionnement dans les oxydes de Nb-Ta des granites et pegmatites à éléments rares, essentiellement au niveau des éléments majeurs Nb-Ta et Fe-Mn, sont bien connus à ce jour. De nombreux auteurs se basent sur ces fractionnements pour établir leurs modèles d'évolution des granites et pegmatites (Černý 1982b, 1991d, Černý et Ercit 1989, Tadesse et Zerihun 1996, Mulja et al. 1996, Aurisicchio et al. 2002). En particulier, l'augmentation de Ta par rapport à Nb dans les minéraux de Nb-Ta est un processus universel qui a été bien étudié (Černý et Turnock 1971, Grice et al. 1972, Foord 1976, Voloshin 1983, von Knorring et Condliffe 1984, Černý et Ercit 1985, Černý et al. 1985, 1986, Ercit 1986, Lumpkin et al. 1986, Černý 1989, Spilde et Shearer 1992, Linnen et Keppler 1997, Novak et al. 2003). Les minéralisations en Nb-Ta étant presque toujours associées spatialement et génétiquement à des roches intrusives évoluées riches en Li-F, la corrélation entre la richesse en fluor de la roche hôte et son fort degré de minéralisation en Ta a très vite été soulignée (e.g., Černý et Ercit 1985, Spilde et Shearer 1992). Notamment, Černý et Ercit (1985) ont remarqué, en observant les tendances de fractionnement des minéraux de tantale dans de nombreuses études régionales, que l'enrichissement en F était corrélé avec le fort enrichissement du rapport Ta/Nb, mais aussi du rapport Mn/Fe, avec le fractionnement. De plus, Wang et al. (1982) ayant montré que les complexes fluorés de Nb-Ta sont stables jusqu'à

Chapitre 2: Données minéralogiques et texturales sur les minéralisations en Ta de Tanco de basses températures, Černý et al. (1986) ont proposé que ces complexes soient à l'origine du fractionnement Nb→Ta à grande échelle (i.e., dans un système granite-pegmatites). Mais le fait que les fractionnements Nb-Ta soient universels et peuvent avoir lieu aussi bien dans des systèmes riches en F qu'appauvris indiquent que la teneur en F n'est pas le seul paramètre à intervenir dans le fractionnement Nb-Ta, comme on le verra plus loin.

Linnen (1998) a évalué l'évolution de la solubilité des métaux rares (Ta-Nb-Zr-Hf-W) avec la teneur en Li et F dans des magmas granitiques saturés en eau. Ses conclusions sont que les solubilités de MnNb2O6 et de MnTa2O6 augmentent d'un facteur 2 à 3 avec l'ajout de 2 wt% Li2O (par contre les solubilités relatives de Nb et Ta ne changent pas avec la teneur en Li). Il estime qu'à 600°C, la composition d'un magma pegmatitique est saturée en colombite mais pas en tantalite. Par contre, la saturation en tantalite aura lieu si Li et F sont enlevés du magma. Il conclut que la minéralisation en Ta est due au fait que Ta est retenu dans le magma à cause des fortes concentrations en Li et F. La baisse brutale de la solubilité de la colombo-tantalite par perte de Li explique en même temps l'état désordonné de cette phase (i.e., la sursaturation brutale en Nb-Ta entraîne une cristallisation rapide).

Les travaux expérimentaux récents de Keppler (1993), Linnen et Keppler (1997) et Linnen (1998) indiquent que le facteur principal du fractionnement est une plus grande solubilité, dans les magmas peralumineux, de la tantalite par rapport à la colombite, conduisant à la précipitation tardive de phases enrichies en Ta à des températures relativement basses.

Linnen et Keppler (1997) ont expérimenté la solubilité de MnNb2O6 et de MnTa2O6 dans des magmas granitiques, peralcalins à peralumineux, secs à saturés en eau, entre 800 et 1035°C et 800 et 5000 bars. Ils montrent que les solubilités augmentent avec le contenu en alcalins du magma, avec la température et avec le contenu en H2O. En extrapolant leurs données à 600°C, ils trouvent une solubilité de 70 à 100 ppm pour MnNb2O6 et de 500 à 1400 ppm pour MnTa2O6.

Bien qu'il ne soit plus nécessaire d'évoquer les complexes fluorés pour expliquer le fractionnement Nb-Ta, le fluor a quand même un rôle important dans ce fractionnement. En effet, les expériences de Keppler (1993) montrent que le zircon et le rutile, qui sont connus pour être des pièges de HFSE, ont des solubilités qui augmentent avec l'augmentation de F.

Dans un magma haplo-granitique saturé en eau à 800 °C et 2 kbar, la solubilité de TiO2 augmente de 0,26 wt% sans F à 0,47 wt% avec 6 wt% de F. La solubilité de ZrO2 augmente de 100 ppm à 0,25 wt% dans le même domaine de F.

Au cours de la différenciation d'un magma felsique, les HFSE sont fractionnés dans les minéraux réfractaires précoces tels le zircon et le rutile, ce qui enlève une grande partie des HFSE du magma dés les stades précoces de son évolution. L'effet de F sur la solubilité de ces

Chapitre 2: Données minéralogiques et texturales sur les minéralisations en Ta de Tanco minéraux permet de retarder leur cristallisation, et de concentrer les HFSE dans le magma jusqu'à des stades tardifs de l'évolution magmatique. En particulier, le rutile peut contenir d'importantes quantités de Nb et Ta. Comme Linnen et Keppler (1997) montrent que Nb est incorporé préférentiellement à Ta dans les phases accessoires (e.g. le rutile) des granites peralumineux, cela explique l'enrichissement en Ta par rapport à Nb dans les roches granitiques fortement différenciées, et dans la croûte continentale en général.

b. Fractionnement Fe→Mn

Le fractionnement Fe→Mn est beaucoup moins étudié dans la littérature. Traditionnellement, on invoque une complexation préférentielle de Mn avec F (Bailey 1977) pour expliquer sa séparation de Fe et sa précipitation tardive (e.g., Černý et Ercit 1985, Černý et al. 1986). Cette hypothèse se fonde sur le fait que le fort fractionnement Fe-Mn qui précède le fractionnement Nb-Ta dans les MGC de nombreuses pegmatites (von Knorring et Condliffe 1984, Černý et al. 1986, Spilde et Shearer 1992, Černý et Nemec 1995, Mulja et al. 1996, Tadesse et Zerihun 1996, Novak et Černý 1998, Raimbault 1998, Belkasmi et al. 2000), coïncide avec la forte activité de F (F est alors enrichi dans les micas, les phosphates ou la tourmaline). Ce processus de complexation dans le fractionnement Fe-Mn a depuis été remis en cause (London 1982, Mulja et al. 1996) et finalement, c'est l'augmentation de l'activité des alcalins qui provoquerait le fractionnement Fe-Mn. Des évolutions inverses dans le rapport Fe/Mn des MGC sont rarement observées, et elles sont alors interprétées comme le résultat d'un enrichissement tardif en Fe lié à des processus hydrothermaux (Novak et Černý 1998, Novak et al. 2003).

Cependant, les expériences récentes de Linnen et Cuney (2005) montrent que l'enrichissement en Fe par rapport à Mn est le résultat «normal» du fractionnement des MGC, car la ferrotapiolite est plus soluble que la manganotantalite. Ce résultat, qui est à l'opposé de l'évolution magmatique traditionnellement observée, implique nécessairement que d'autres phases porteuses de Fe-Mn doivent contrôler le contenu en Fe-Mn du magma, une idée qui avait déjà été évoquée par d'autres auteurs (Lahti 1987, Raimbault 1998, Mulja et al. 1996, Zhang et al. 2004). Une phase commune des pegmatites à éléments rares est la tourmaline, qui montre une préférence pour Fe par rapport à Mn (Selway et al. 2000a, London et al. 2001). L'augmentation du rapport Mn/(Mn+Fe) dans les MGC pourrait donc être contrôlée par la cristallisation de la tourmaline. Pourtant, la tourmaline n'est pas toujours présente dans les pegmatites à éléments rares, et les MGC montrent quand-même l'enrichissement en Mn (Tindle et Breaks 2000), donc la cristallisation de la tourmaline ne peut pas expliquer cette

Chapitre 2: Données minéralogiques et texturales sur les minéralisations en Ta de Tanco tendance à elle-seule. La cristallisation de la muscovite peut également jouer un rôle dans la mesure où elle atteint des proportions importantes dans les granites et pegmatites à éléments rares. Elle aussi montre une nette préférence pour Fe que pour Mn. Raimbault et Burnol (1998) reportent des coefficients de partage entre la muscovite et un magma rhyolitique 4 fois plus élevés pour Fe que pour Mn. London et al. (2001), eux, reportent des coefficients de partage entre la tourmaline et un magma beaucoup plus élevés (au moins 10 fois?) pour Fe que pour Mn.

Les deux phases, tourmaline et micas, jouent donc un rôle dans l'évolution des rapports Fe/Mn des oxydes de Ta. Lorsque la tourmaline cristallise dans le magma, le magma résiduel s'appauvrit en Fe beaucoup plus rapidement que quand la muscovite est la phase dominante. Cela explique les variations de composition des MGC, et notamment le changement de pente entre les deux droites de tendance de la figure 10 de la première publication.

Après avoir caractérisé la minéralogie du tantale, les paragenèses entre oxydes et leur évolution chimique avec le fractionnement, il s'agit maintenant de contraindre les processus qui gèrent leur précipitation. Contrairement aux concepts que j'ai présenté jusqu'ici et qui sont bien documentés dans la littérature, les processus à l'origine des minéralisations en tantale sont très peu connus, et le but de cette thèse est de contribuer à leur compréhension.

Chapitre 3: Étude des processus minéralisateurs en