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On trouve rarement une seule espèce d'oxyde de tantale dans un échantillon de pegmatite. Au contraire, on observe très couramment diverses associations d'oxydes, dont certaines sont classiques et ont été abondamment décrites dans la littérature. Au cours de cette thèse, j'ai pu toutefois observer des associations extrêmement complexes qui n'avaient jamais été décrites jusqu'alors. Ces associations sont importantes car elles permettent d'établir les séquences de cristallisation et donc les paragénèses entre oxydes, ce qui est une première étape dans la compréhension des processus qui contrôlent la précipitation des diverses générations d'oxydes de tantale.

Chapitre 2: Données minéralogiques et texturales sur les minéralisations en Ta de Tanco

1. Séquences de cristallisation

Avant de chercher à comprendre l'origine, magmatique ou hydrothermale, des minéralisations en tantale, il est important de contraindre les séquences de cristallisation de ces oxydes. En cela, les textures complexes observées dans la Pegmatite Inférieure (discutées dans la partie III du chapitre 3) sont particulièrement intéressantes et permettent d'établir des paragenèses assez fines. Černý et Ercit (1985) ont été les premiers à caractériser l'évolution paragénétique des minéraux de tantale dans les pegmatites à éléments rares. En particulier, ils décrivent les innombrables possibilités de précipitation, remplacement et altération, qui forment des séries différentes pour chaque type de pegmatite. Certains minéraux de tantale sont reconnus pour être des phases tardives de basse température, en remplacement de leurs précurseurs (e.g.,

rankamaite-sosedkoite, alumotantite, lithiotantite, calciotantite, Černý et Ercit 1989), mais aucun de ces minéraux n'a été rencontré à Tanco. La séquence de cristallisation suivante: ferrocolombite → manganocolombite → manganotantalite → cassitérite → wodginite → microlite a été proposée par Černý et al. (1985) (on notera toutefois que les auteurs ne présentent pas les critères paragénétiques qui les mènent à cette séquence), et cette séquence

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Figure 20: deux types d'association MGW-MGC contraints par la chimie des phases: a) les deux phases sont co-cristallisées, et leurs rapports Ta* sont différents. b) MGW remplace MGC et leurs Ta* sont similaires. Figures discutées au Chapitre 3, Partie III.

Chapitre 2: Données minéralogiques et texturales sur les minéralisations en Ta de Tanco générale est maintenant reconnue comme une tendance de cristallisation primaire universelle (e.g., Spilde et Shearer 1992, Tindle et al. 1998). Cette tendance est globalement vérifiée à Tanco, et les conclusions de ma thèse permettent d'affiner cette séquence paragénétique type (cf. Chapitre 3, Synthèse).

La reconnaissance visuelle des phases primaires par rapport aux phases secondaires est un exercice qui pose souvent problèmes. La chimie des phases peut alors aider à contraindre les séquences paragénétiques et parfois même l'origine primaire ou secondaire des phases. Il est évident que pour comprendre les paragenèses, il aurait été plus simple de s'appuyer sur des données expérimentales: 1) coefficients de fractionnement des éléments majeurs (Nb, Ta, Fe, Mn, Sn, Ti) entre les différentes phases, 2) influence des éléments volatils sur ces coefficients de fractionnement, 3) domaines de stabilité de chaque phase, et ce dans le milieu particulier (riche en F et Li) des pegmatites à éléments rares. Or ces données, qui ne peuvent être établies qu'expérimentalement, sont largement manquantes aujourd'hui, et on doit se contenter d'observations texturales et de tendances chimiques pour élaborer des paragenèses.

Černý et al. (1986) établissent des paragénèses entre oxydes sur la base de la distribution des éléments entre les phases coexistantes. J'ai aussi été amenée à déterminer certaines paragenèses non identifiables par les textures grâce à la composition chimique des phases tantalifères impliquées. En effet, on peut partir de l'idée que chaque phase a ses « préférences cristallochimiques » et que sa composition globale correspond à un domaine de stabilité P-T donné. Ainsi, deux phases qui précipitent en même temps à l'équilibre auront des rapports atomiques distincts, puisque les coefficients de fractionnement des éléments sont nécessairement différents pour chacune des deux phases, et ces rapports évolueront régulièrement dans chaque phase avec la cristallisation fractionnée.

Si on prend l'exemple de l'association MGC-MGW, il semble que le rapport des coefficients de partage Kd(Ta)/Kd(Nb) soit légèrement plus élevé pour les MGW que pour les MGC (Abella et al. 1995). Ainsi, lorsque les deux phases se développent simultanément (co-cristallisation, voir Fig. 20a), elles montrent alors des rapports Ta/Nb différents, plus élevés dans les MGW que dans les MGC. Par contre, lorsque MGW remplace MGC (Fig. 20b), les rapports Ta/Nb des deux phases sont similaires. De façon générale, quand une phase remplace une phase préexistante, on peut penser que la phase remplaçante aura des rapports d'éléments tout à fait différents de la phase préexistante puisqu'elle cristallise à partir d'un nouveau milieu. Mais dans le cas des oxydes de tantale, Nb et Ta étant des éléments peu mobiles, leurs rapports ne changent pas ou peu, et seuls les éléments mineurs Fe, Mn ou Ca montrent des teneurs différentes.

Chapitre 2: Données minéralogiques et texturales sur les minéralisations en Ta de Tanco Dans le cas de la surcroissance d'une phase sur une autre (e.g., tapiolite sur MGC+MGW de la figure 20a), les rapports atomiques seront aussi différents, mais pour une raison différente, à savoir la phase tardive cristallise à partir d'un magma plus évolué par rapport à la phase précoce. C'est dans ce cas-là qu'il est difficile de trancher entre de la co-cristallisation ou de la surcroissance. Un diagramme comme celui de la figure 16 permet d'indiquer si la cristallisation a eu lieu à l'équilibre ou pas entre deux phases, grâce aux variations dans les pentes des droites de jonction entre les rapports Ta/(Ta+Nb) de chaque phase (par exemple, pour l'association MGC et ferrotapiolite, la figure 16 montre une cristallisation essentiellement à l'équilibre).

2. L'association MGC/MGW

Dés les stades les plus précoces de minéralisation en tantale, MGC et MGW sont couramment associés en intercroissance (e.g., Fig. 20). De la même façon que Spilde et Shearer (1992) et Tindle et Breaks (1998), on interprète ces intercroissances comme de la co-cristallisation (voir discussion du Chapitre 3, Partie III). Certaines associations MGC-MGW sont toutefois ambiguës et suggèrent plutôt le remplacement de MGC par MGW (e.g., Fig. 20b). Cette alternative n'est pas exclue puisque je montre dans la séquence paragénétique de Tanco que les MGW « relaient » les MGC dans les stades tardifs de la minéralisation, et ces phases tardives peuvent donc cristalliser en surcroissances sur les MGC préexistants.

3. Association tapiolite/MGC

Dans les pegmatites en général, la tapiolite ne se trouve jamais seule dans un gisement; elle est toujours accompagnée d'autres oxydes de Ta comme les MGC, MGW, cassitérite ou microlite. L'association ferrotapiolite-tantalite peut être discutée dans le contexte des travaux expérimentaux présentés précédemment. L'étude systématique des paires de ferrotapiolite + tantalite (Černý et al. 1989a, Wang et al. 1997, Novak et al. 2000) montre que dans la majorité des cas, les deux phases ont cristallisé simultanément. Les expériences de Turnock (1966) montrent qu'il est «logique» de trouver les 2 phases associées quand le système ne permet pas de former de phase intermédiaire (condition sub-solidus). Par exemple, à (relativement) basse température (e.g., < 500°C, ce qui correspond aux derniers stades de cristallisation de la pegmatite de Tanco), lorsque les oxydes de tantale atteignent un niveau extrêmement avancé de fractionnement, les MGC devraient être enrichis en Fe-Ta (puisque les solubilités des pôles Nb et Mn sont inférieures à celles des pôles Ta et Fe, cf. paragraphe sur le fractionnement plus bas). Mais la tantalite pure ne pouvant contenir plus d'une certaine

Chapitre 2: Données minéralogiques et texturales sur les minéralisations en Ta de Tanco quantité de Fe, ce fer cristallise sous forme de ferrotapiolite. On peut ainsi expliquer l'association très courante tantalite-ferrotapiolite dans les zones évoluées de Tanco (e.g., Fig. 20a).

Černý et al. (1989b) rapportent des spécimens de l'Ouganda dans lesquels les paires ferrotapiolite-ferrotantalite sont le produit de démixtion (exsolutions). Suite à une cristallisation primaire rapide et en déséquilibre, la ferrotantalite, de composition initiale dans le domaine biphasé (cf. Fig. 16), s'est ultérieurement rapprochée de l'équilibre (sans toutefois l'atteindre) et d'un état plus ordonné, en exsolvant de petites quantités de ferrotapiolite. La ferrotapiolite exsolvée se concentre préférentiellement en bordure de grains. Dans le granite de Suzhou (Chine), Wang et al. (1997) observent le même phénomène: la phase initiale, métastable, se rééquilibre chimiquement et conduit à des exsolutions de tapiolite-ferrotantalite. Enfin, de la tapiolite secondaire tardive est reportée par Wise et Černý (1996). Ils l'interprètent comme de la recristallisation à partir de reliques d'une génération plus précoce.

Mon observation des associations tapiolite/MGC ne me permet pas de conclure à une origine par exsolution. Par contre, les deux phases se trouvent parfois en intercroissances, ce qui permet de penser qu'elles ont cristallisé simultanément. Dans la figure 16, le fait que les joints (tie-lines) liant les phases coexistantes montrent une consistance dans leurs pentes suggère des conditions de cristallisation à l'équilibre, alors que les joints ayant des pentes très divergentes (e.g., ligne en pointillés) traduisent un déséquilibre (Černý et al. 1986, 1992). La majorité de la tapiolite observée à Tanco a donc très probablement cristallisé à l'équilibre avec la tantalite avec laquelle elle est associée.

De la même façon que pour l'association MGC/MGW, il existe toutefois des cas particuliers où la tapiolite semble cristalliser en surcroissance sur les MGC (e.g., Fig. 20a). Ceci s'explique par le fait que la tapiolite est une phase tardive à Tanco qui a pu persister même après la cristallisation des dernières phases de MGC.

4. Association du microlite avec les MGC, MGW et tapiolite

Bien que le microlite se trouve souvent seul en phase primaire dans un échantillon de pegmatite (e.g., Spilde et Shearer 1992, Tindle et Breaks 1998), le remplacement d'un oxyde de Ta par le microlite reste le phénomène le plus couramment observé en ce qui concerne cet oxyde (Černý et Turnock 1971, Černý et Ercit 1985, Černý et al. 1986, Baldwin 1989, Wise et Černý 1990, Ohnenstetter et Piantone 1992, Tindle et al. 1998, Tindle et Breaks 1998). Le plus souvent, il est interprété comme le résultat d'une activité métasomatique tardive (e.g.,

Chapitre 2: Données minéralogiques et texturales sur les minéralisations en Ta de Tanco Wise et Černý 1990, Ohnenstetter et Piantone 1992). Tindle et Breaks (1998) proposent les réactions suivantes pour le remplacement de MGW et de MGC par le microlite: