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Ce n'est que récemment, dans les années 1990, que l'on a commencé à s'intéresser aux processus qui contrôlent les minéralisations en Ta (Linnen et Williams-Jones 1993). En général, les minéralogistes du tantale se contentaient d'évaluer l'origine, magmatique ou hydrothermale, de leurs phases tantalifères, mais sans émettre de modèle métallogénique. Raimbault et al. (1995) décrivent pour la première fois en détail le modèle génétique d'un gisement (celui du granite à Ta-Sn-Li de Beauvoir) en terme de genèse métallogénique, et concluent à une origine entièrement magmatique pour ces minéralisations.

Tindle et al. (1998) rapportent une forte corrélation entre l'albitisation des pegmatites de Separation Lake au Canada et la cristallisation des MGW; bien que l'albitisation soit d'origine secondaire, ils l'interprètent comme le résultat de la cristallisation d'un magma pegmatitique progressivement enrichi en F et Na, et rejettent l'hypothèse de la concentration des éléments rares par un phénomène métasomatique lié à des fluides. La présence de MGW indiquerait alors un fractionnement magmatique avancé plutôt qu'une activité post-magmatique; par contre, ils interprètent les MGW particulièrement enrichis en Fe et Ti comme du remplacement des MGW plus précoces, qui aurait précipité par apport de Fe et Ti par des fluides contaminés par l'encaissant.

Il existe deux manières de concentrer les éléments rares dans un granite ou une pegmatite à éléments rares: (1) par simple fractionnement du magma, qui conduit à son enrichissement en métaux (processus magmatiques); (2) par mouvement de fluides qui piègent les métaux et les concentrent localement dans le pluton (processus hydrothermaux). Ces fluides peuvent être soit pegmatitique (orthomagmatique), soit extérieur à la pegmatite, ces derniers pouvant agir soit au cours de la consolidation du magma, soit au cours d'un épisode d'altération post-magmatique.

Dans la littérature, les conclusions des études les plus complètes tendent plutôt vers une origine magmatique des minéralisations en tantale, bien que certains auteurs envisagent également une origine hydrothermale pour une partie de ces minéralisations (e.g., Grice et al. 1972, Marignac et al. 2001). En effet, il est rare de trouver des oxydes de Ta distribués le long de veines, ou encore associés à des inclusions fluides, ce qui serait la preuve irréfutable de leur précipitation à partir de fluides. C'est le cas décrit par Uher et al. (1998a&b) dans des pegmatites de Slovaquie. Ces derniers décrivent des textures complexes illustrant le remplacement de phases tantalifères primaires par des phases tantalifères secondaires tardives,

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(remplacement le long de fractures ou en bordure de grain, pseudomorphisme, remplissage de fissures). Pour les auteurs, le remplacement est, sans ambiguïté, dû à des fluides hydrothermaux externes à la pegmatite. A Tanco, de telles évidences sont extrêmement rares, et si des processus minéralisateurs liés à des fluides ont eu lieu, ils doivent être décelés par d'autres moyens. Par exemple, la chimie peut être un outil pour déceler les processus métasomatiques. Dans les pegmatites du Moldanubicum (Novak et Černý 1998), la chimie des phases secondaires diffère considérablement de celle des phases primaires de même nature, et elles montrent une évolution inverse avec un enrichissement en Fe dans les stades tardifs; Novak et Černý (1998) s'appuient sur cette dernière observation pour conclure à une origine hydrothermale.

Le transport des métaux rares dans un fluide aqueux exsolvé du magma a longtemps été évoqué dans les processus de minéralisation (Jahns 1982, Černý et al. 1985), avant que les expériences de London sur les pegmatites à éléments rares ne viennent le remettre en cause (London 1986, voir discussion des modèles génétiques Chapitre 1, Partie II). Bien que Thomas et al. (1988) aient montré que des fluides supercritiques pouvaient coexister en petite quantité avec le magma granitique, les éléments rares lithophiles tendent à se concentrer dans le magma: London et al. (1988) ont déterminé le coefficient de partage du Nb entre un fluide aqueux et le verre de Macusani et ont trouvé une forte partition de cet élément dans le magma; Keppler (1996) a tenté de mesurer les coefficients de partage de Nb et Ta entre un magma andésitique et des fluides, mais les concentrations en Nb-Ta des fluides étaient en-dessous des limites de détection, ce qui signifie que les coefficients de partage sont très en faveur du magma. Plus récemment, Chevychelov et al. (2004) ont mesuré un coefficient de partage fluide/magma pour le Ta de 0,08 au maximum, dans un magma peralcalin. La formation de minéraux de Nb-Ta à partir des fluides semble donc peu probable. L'étude des inclusions fluides de London (1986) a montré que les magmas pegmatitiques sont homogènes au moment de la précipitation des minéraux de Nb-Ta, et que c'est la seule présence des volatils (B, F, Li) et alcalins qui favorisent la concentration en éléments rares. En effet, les expériences de Keppler (1993) et Linnen (1998) ont par la suite démontré que l'enrichissement en Ta (et en HFSE en général) dans un magma granitique est dû à la présence de F et de Li (et probablement aussi de P). Il faut noter enfin que si les métaux rares étaient transportés dans un fluide, ils le seraient probablement par des complexes fluorés (Wood, 2004). Or, London et al. (1988) ont montré que F se partage préférentiellement dans le magma. De plus, Cuney et al. (1992) montrent, à partir d'un sondage à travers la limite granite-encaissant du granite de Beauvoir, que Ta ne diffuse pas dans l'encaissant, même à

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l'échelle de quelques centimètres, alors que F y est très largement diffusé. Par contre, d'autres complexants comme les chlorures (les fluides magmatiques étant des saumures très chlorurées) pourraient jouer un rôle déterminant dans la mise en solution et le transport de Nb-Ta.

On se rend compte à présent de l'importance des données expérimentales dans l'évaluation des contributions magmatique et métasomatique à l'origine des minéralisations en éléments rares des granites et pegmatites. Il est nécessaire de connaître pour ces différents éléments: (1) leurs coefficients de partage minéral-magma (pour évaluer les degrés de fusion partielle ou de cristallisation fractionnée nécessaires à la production de forts degrés d'enrichissement en éléments rares); (2) leurs solubilités (pour évaluer le contrôle magmatique sur la précipitation des phases minérales); (3) les coefficients de partage fluide-magma (pour évaluer le rôle des fluides magmatiques et/ou hydrothermaux dans les minéralisations). Les données expérimentales sur le niobium et le tantale sont rares, et à ce jour insuffisantes pour contraindre les processus de minéralisation, bien que certains auteurs se penchent sérieusement sur la question (Linnen et Cuney 2005). Cette lacune tient essentiellement au fait que les valeurs expérimentales (coefficients de partage, solubilités, diffusivités etc) varient très fortement en fonction des conditions d'expérimentation (P, T, composition...), et il est difficile de rapprocher les conditions expérimentales des conditions naturelles, surtout dans le cas des pegmatites qui présentent plus de cas particuliers que de cas généraux.

On a vu également qu'un des mécanismes d'enrichissement en Ta est le fractionnement de Nb par rapport à Ta. Ce fractionnement dépend des coefficients de partage et des solubilités relatives de Nb et Ta, qui dépendent eux-mêmes de la composition du magma. La plupart des coefficients de partage minéral-magma ont été déterminés à partir de systèmes basaltiques, et ne peuvent donc pas être appliqués aux systèmes granitiques. En voici quelques-uns, compilés à partir de Linnen et Cuney (2005):

T P composition du magma minéral référence 1072°C 0,1 MPa dacite clinopyroxène (1) 800-900°C 1 GPa tonalite amphibole (2) granite rutile (3) andésite rutile (4) 1000°C 400 MPa andésite ilménite (4) rhyolite ilménite (5) 950-1000°C 400-750 MPa andésite-trachyte titanite (4) rhyolite muscovite (6) DNb DTa 0,065 0,261 0,30,4 49001900 26,544 4,66,6 51-7164-85 10,6-19,63,5-7,6 0,423,5 Tableau 4: Compilation de quelques coefficients de partage minéral-magma établis pour Nb et Ta

(1) Forsythe et al. 1994, (2) Klein et al. 1997, (3) Linnen et Keppler 1997, (4) Green et Pearson 1987, (5) Stimac et Hickmott 1994, (6) Raimbault et Burnol 1998.

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On peut noter que le rapport des coefficients de partage de Nb et Ta pour un minéral donné est tantôt supérieur, tantôt inférieur à 1 en fonction de la nature du magma. Par exemple, le rutile préfère Nb à Ta dans un magma granitique, mais il préfère Ta à Nb dans un magma andésitique. On remarquera aussi que le rutile, l'ilménite et la titanite, qui sont des minéraux accessoires communs des roches magmatiques, concentrent très fortement Nb et Ta par rapport au magma, surtout pour des magmas alcalins5.

Quant aux solubilités, elles ne sont pas encore déterminées, excepté pour les MGC (Keppler 1993, London 1995, Horng et Hess 1995, Linnen et Keppler 1997, Linnen 1998, Linnen 2005). Ces résultats permettent d'expliquer l'évolution naturelle vers une diminution de Nb/Ta dans les MGC, car la solubilité de la manganotantalite est plus élevée que celle de la manganocolombite (voir paragraphe ci-dessus sur les processus de fractionnement).

Enfin, les conditions P et T dans lesquelles se forment les minéralisations en métaux rares sont très mal connues (Linnen et Cuney 2005). Partington et al. (1995) reportent une température de cristallisation de la tantalite de 750°C à 500 MPa, ce qui est la plus forte température connue. A Tanco, London (1986) et Thomas et al. (1988) estiment le domaine de la minéralisation en Ta entre 600 et 400°C autour de 300 MPa, ce qui est le plus bas reporté dans la littérature. Les quelques données expérimentales établies permettent déjà de supposer que le minerai de Ta précipite essentiellement à partir du magma, dans les stades tardifs de son évolution. Il s'agit maintenant d'évaluer cela, et de vérifier si des fluides n'ont pas pu jouer un rôle, même secondaire, dans le développement de fortes concentrations en Ta.