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politiques publiques

Conclusion 42 Les paysagistes définissent les rôles des chartes paysagères

L’objet de cette partie était de voir si la charte constitutive et la charte paysagère du parc naturel régional des boucles de la Seine normande pouvaient décourager des évolutions socio-économiques autrement que par des politiques publiques fondées sur des textes juridiques forts tels que la loi du 2 mai 1930 sur les monuments naturels. Au marais Vernier il s’avère en effet que l’inscription est insuffisante, mais parallèlement à l’occasion de la révision de sa charte, le parc naturel régional a vu adhérer les communes du marais qui n’avaient pas encore fait cette démarche. En changeant de nom le parc naturel affirmait en même temps sa volonté de protéger les zones humides. Pour cela le parc naturel des boucles de la Seine normande tentait, comme d’autres parcs naturels en France, de contrôler les occupations du sol par ses chartes (ce dont le juriste se méfie car une charte est avant tout un accord). Demandant à être consulté pour donner son avis favorable, le parc naturel a placé le marais Vernier en zone prioritaire à protéger, celle où les avis favorables sont les plus difficiles à obtenir. À une échelle nationale, Raphaël Romi et Guillaume Sainteny ont montré en 1992 et 1999 l’absence de politiques publiques en faveur des zones humides, et ont constaté comme l’a fait le Commissariat au plan en 1994, la poursuite des dégradations [267 ; 271] ; le marais Vernier en fait partie, son inscription étant jugée insuffisante. Mais le parc naturel qui redéfinit son territoire fondé sur sa nouvelle identité de vallée de Seine pourra sans doute devenir une base solide pour un début de politique protectrice du marais Vernier et de ses autres zones humides. Il s’agit concrètement d’actions incitatives déjà mises en place et étudiées en cinquième partie de ce mémoire.

Le rôle du paysagiste a été de définir une charte paysagère, mais celui-ci a refusé d’agir par zonage et hiérarchisation, pourtant souhaités par le parc naturel pour distinguer les espaces plus importants que d’autres. Concrètement cette distinction permet en effet de déterminer si les contraintes les plus fortes doivent s’appliquer ou non en fonction de la valeur des sous- espaces. Le paysagiste a ici agi plus en avocat du territoire défendant l’ensemble des paysages, sur la base de principes fermes tels que de ne pas construire dans le marais Vernier mais seulement en périphérie au pied du coteau. Cela signifie aussi que le paysagiste ne s’est pas tant placé en inspecteur des sites (comme si le territoire était classé) contrôlant les nouvelles occupations du sol, qu’en concepteur de nouveaux projets de paysage (appelant éventuellement des études paysagères complémentaires) ; il est vrai en effet que le parc naturel, qui n’a pas de chartes paysagères communales, souhaite atteindre une échelle d’intervention plus fine pour la préservation de ses paysages. Il a dans un premier temps confié l’étude paysagère des marais de la Seine non pas à un bureau d’études paysagiste mais à un historien. Le rôle du paysagiste n’est donc peut-être pas aussi défini et clair que dans le parc naturel régional du Vexin français, doté de nombreuses chartes paysagères communales. 43 Quelles possibilités de préservation des paysages vexinois par les chartes ?

Ce que ne dit pas le juriste Xavier Larrouy-Castera, c’est que toutes les chartes d’un parc naturel doivent être traduites en règlements juridiques ; ainsi, dans le parc naturel régional du Vexin français, trois niveaux de chartes peuvent s’appliquer pour chaque commune adhérente :

- la charte constitutive ;

- la charte paysagère générale ;

- les éventuelles chartes paysagères communales ou intercommunales.

Il faut rappeler que le parc naturel régional des boucles de la Seine normande, fort de son ancienneté et de son expérience en terme de « coupure verte », a invité une délégation de chargés de mission pour la création du futur parc naturel régional du Vexin français ; il semble donc normal que certains principes de la charte constitutive du premier soient imités dans le second. En l’occurrence en terme d’occupation du sol — et donc pour favoriser un contrôle —

la charte prévoit que les projets seront soumis à l’avis du bureau du parc naturel. Comme son voisin normand, le parc naturel régional du Vexin français a défini une carte des zones à protections maximales. En réalité, étant donné que les coteaux de La Roche-Guyon sont déjà classés en tant que monuments naturels, il figurent comme enjeu essentiel dans la charte du parc naturel. On observe deux limites à cette protection déjà officielle : d’une part, certains territoires qui ont échappé à la protection des coteaux de La Roche-Guyon figurent parmi les nouvelles revendications d’habitants qui ne comprennent pas ces « trous » dans le périmètre protégé ; d’autre part, la procédure de classement n’introduit pas la gestion des coteaux de La Roche-Guyon, dont le patrimoine naturel ne peut se maintenir seul.

Les projets de chartes paysagères dans le parc naturel régional du Vexin français

La politique paysagère du parc naturel régional du Vexin français se décline en quatre axes forts sur le plan de la préservation et des projets pour les paysages, ce qui n’est pas le cas dans le parc naturel régional des boucles de la Seine normande, qui n’a jusqu’à présent élaboré qu’une première charte paysagère générale :

- l’élaboration d’une charte paysagère du Vexin français (1), évoquée précisément dans l’article 11 de la charte constitutive ; cette dernière est un document écrit et cartographique de 103 pages, qui définit sa politique générale pour 10 ans [parc naturel régional du Vexin français 235] ; - l’élaboration de chartes paysagères communales (2), dont la réalisation est confiée à des bureaux d’études privés (architectes, paysagistes, urbanistes) agréés par le parc naturel régional du Vexin français (une quinzaine d’équipes) ;

- la mise en place d’un comité de suivi du paysage, actuellement présidé par le paysagiste- inspecteur des sites Yves Périllon ;

- la création d’un poste à plein temps de paysagiste, chargé(e) notamment d’établir les relations entre les communes et les bureaux d’études paysagistes dans le cadre de l’élaboration des chartes paysagères communales.

À l’origine de la commande de charte, le parc naturel régional du Vexin français n’avait retenu qu’une vallée méritant une étude paysagère adressée à l’École nationale supérieure du paysage de Versailles : la vallée de l’Epte en limite ouest. Mais de cette manière le diagnostic paysager était restreint, c’est alors que l’École nationale supérieure du paysage de Versailles (son laboratoire de recherches) a reformulé la commande en réduisant l’échelle à l’ensemble du territoire vexinois ; apparaissait ainsi le souci de faire une véritable charte paysagère et pas seulement une étude partielle, alors que l’enjeu était : « la définition des

orientations de la politique paysagères du parc. » [Giampiero Faccioli 128 p. 22]

Très illustré (nombreuses photographies grand format), le projet de charte paysagère générale (1) se basait sur une « reconnaissance sensible » du Vexin français, autrement dit, la recherche de ce qui en fait sa singularité, en vue d’anticiper de nouveaux projets : « on plonge

dans le Vexin français, on le ressent, on le chemine, on va à sa découverte, à la rencontre de ses habitants qui le vivent […] On est surpris par ses effets d’horizons, de perspectives, de cadrages, par la présence de marques, de signes, qui renvoient à des organisations, des savoir- faire. » [François Adam, Philippe Herlin 1 p. 3] Dans les principes, lesquels prévoient que « des adaptations à une conjoncture sans cesse changeante seront nécessaires » [1 p. 2], figure

la conservation des ambiances de bourgs de village, par choix favorable des implantations (zones d’activité), plantations de mails, reconversion des hangars agricoles, conservation des repères du paysage ouvert (villages, cimetière, châteaux d’eau). L’ensemble du projet a fait l’objet d’une grande « carte sensible », un document à l’échelle du périmètre du parc naturel, qui a pour but de devenir une image de paysage plus personnalisée que la carte géographique

habituelle, notamment en communiquant une expérience personnelle du territoire et une reconnaissance sensible par le paysagiste.

Les chartes paysagères communales (2) présentent un avantage par rapport aux parcs naturels régionaux qui n’en élaborent pas : elles permettent de gérer le territoire à une échelle fine qui offre la possibilité de mieux s’opposer à des petits projets, à l’échelle de la parcelle en friche, de la maison individuelle ou du verger à préserver (logique de contrôle) ; mais aussi bien sûr, de proposer de nouveaux projets de paysage (logique incitative). Ainsi ces documents hésitent constamment entre volonté de préservation et volonté de devenir néanmoins des forces de propositions : « S’il faut essayer de conserver certains paysages bien identifiés, il

ne faut pas pour autant refuser l’évolution des paysages actuels, ni même la création p a y s a g è re contemporaine, source souvent d’amélioration de la qualité de vie sur le territoire. » [279 p. 21] Dans l’avant-projet de charte constitutive rédigé deux ans avant la

création du parc naturel, une tentative d’envisager la « création paysagère contemporaine » était donc proposée. En réalité cette phrase était issue d’une note d’orientation de la Fédération des parcs naturels régionaux de France : « ce projet global prend bien sûr en compte la

conservation de certains paysages […] mais ne refuse pas pour autant l’évolution des paysages actuels, ni même la création paysagère contemporaine, source d’amélioration de la qualité de la vie. » [Didier Bouillon 37 p. 6] Mais ce projet de texte a définitivement disparu

de la charte constitutive actuelle, remplacée par la notion de conservation des paysages :

« Comme pour le patrimoine naturel, il faut préserver, voire accroître la diversité des paysages. […] Il faut éviter sa “ rurbanisation ”, c’est-à-dire la banalisation et la perte d’identité des paysages ruraux consécutives à l’implantation des grandes infrastructures, aux urbanisations tentaculaires induites par ces infrastructures, aux extensions urbaines mal maîtrisées, au mitage des espaces naturels, au fractionnement et à l’aliénation des grands domaines. » [parc naturel régional du Vexin français 235 p. 34]

Dans le quotidien Libération annonçant en 1995 la création du parc naturel régional du Vexin français, le journaliste se montrait fort surpris par la rédaction de la charte constitutive :

« Des extractions peu étendues et de durée limitée sont envisageables après avis du Parc. Les projets d’exploitation devront prendre en compte la sensibilité du milieu et du paysage et n’avoir qu’un impact visuel limité. L’avis du Syndicat Mixte sera recueilli dans le cas de procédures d’autorisation tant sur les modalités d’exploitation que sur la réhabilitation. »

[235 p. 49] En effet, la charte du parc naturel régional prévoie la possibilité de quelques activités industrielles, étrangères à la volonté des associations. Mais l’avocat Xavier Larrouy- Castera nous a montré que ce cas existe déjà sans être jugé incompatible.

Ici apparaissent les principes inspirés de l’autre parc naturel régional (boucles de la Seine normande) : des zones d’intérêt primordial et majeur (fondés sur les protections existantes, par exemple les classements de monuments naturels) et d’intérêt écologique sont celles où le bureau du parc naturel donne le moins facilement son avis favorable. Il est vrai que le parc naturel régional est l’aboutissement de politiques de préservation des paysages et de lutte contre l’urbanisation, il s’inscrit donc dans une continuité : inscription du Vexin français, classements de monuments naturels au titre de la loi du 2 mai 1930, etc. Le préambule de la charte constitutive insiste sur le fait qu’il s’agit d’un parc naturel régional particulier, car situé en Île-de-France. Il s’agit surtout de dire que l’Île-de-France induit une volonté de contrôler l’urbanisation.

Malgré le classement et les chartes paysagères communales ou intercommunales, la vigilance des associations est maintenue

Deux exemples de volonté de préservation sont observables en vallée de Seine. Le premier, évident, est le fait que les associations ne relâchent aucunement leur vigilance, elles sont prêtes à anticiper sur des futurs projets qu’elles rejetteraient, prouvant ainsi que certaines thématiques continuent d’inquiéter, notamment les exploitations de carrières et de sablières.

« Depuis quelques mois resurgissent de nombreux projets d’exploitation de carrières dans les Yvelines, le Val-d’Oise et l’Oise. Si la nécessité économique de fournir les 40 millions de tonnes de granulats que consomme l’Île-de-France ne nous échappe pas, cela ne justifie aucunement à nos yeux certaines atteintes à l’environnement. Si d’indiscutables efforts ont été entrepris par les exploitants pour valoriser leur profession, cette activité, s’appliquant à des milieux sensibles, doit être examinée avec attention. Chaque projet est un cas particulier et les Amis du Vexin seront très vigilants sur chacun de ces dossiers, où une réponse globale ne peut être apportée. » (A.G. du 8 mai 1993) [13 n°32 p. 10]

Le second est particulièrement intéressant, non seulement parce qu’il voit le jour dans les coteaux de La Roche-Guyon, mais aussi parce qu’il manifeste la mobilisation sociale d’une société locale en prouvant ses préoccupations paysagères dues à l’identité pittoresque du territoire. C’est un résident secondaire qui a alerté associations et pouvoirs publics de ce qu’il jugeait comme un problème important de paysage, étant lui-même professionnel de l’espace (architecte, ayant son domicile principal près de Versailles). L’affaire concerne le coteau des Noues, c’est-à-dire l’est du méandre de Moisson sur la commune de Vétheuil. Pour lui, habitant regrettant maintenant d’avoir bâti sa propre maison sur ce coteau sensible, la procédure de classement s’avère insuffisante, étant donné que de nouvelles maisons individuelles prennent place aux côtés de sa propriété, menaçant alors les perspectives monumentales vers le donjon de La Roche-Guyon. Appuyé sur les associations locales, l’habitant n’a pas hésité à solliciter la visite des personnalités compétentes (par exemple l’inspecteur des sites) et à fournir lui-même des documents graphiques convaincants en terme de dégradation des paysages, affichés en mairie. Cette démarche prouve plusieurs choses en terme de préservation des paysages considérée par un habitant :

- le caractère pittoresque des coteaux ayant été affirmé par le classement du site, l’habitant ne voit pas pourquoi ces parcelles là ont été exclues du périmètre protégé ;

- le paysage est ici considéré comme un espace public d’intérêt général, supérieur à l’intérêt individuel des propriétaires ;

- les associations sont perçues comme des acteurs ayant la possibilité de déclenchement de politiques de préservation ou tout au moins de sollicitations des pouvoirs publics ;

- l’élaboration de la charte paysagère intercommunale comprenant Vétheuil a été vécue par ce militant comme une chance à saisir pour poursuivre la logique de préservation de ce territoire ; - l’habitant milite en terme de préservation de perspectives monumentales, qui est une notion prévue dans le code de l’urbanisme : « Le permis de construire peut être refusé ou n’être

accordé que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales. » (Article R 111-21)

Ces types de questions de paysages ont été étudiées précisément dans le cadre d’un mémoire de Diplôme d’études approfondies (Dea) d’un juriste ; François Ribard clarifie plusieurs notions importantes. Dans son chapitre deux, L’atteinte au paysage : une notion

imprécise et restreinte [263], il engage une réflexion en terme de troubles de voisinages

(à l’origine une notion qui concernait les troubles d’ensoleillement) et de vues paysagères.

« Où se situe la norme, en matière paysagère, dans les rapports de voisinage ? […] Le Droit semble pourtant procéder à une distinction entre le paysage de proximité, la vue sur les espaces voisins, et le paysage “ panoramique ”, sur les territoires lointains. […] Si à titre anecdotique, un vieil arrêt de la Cour de cassation a admis la réclamation d’un

propriétaire d’une villa, privé par l’avancée d’un casino sur le domaine public de la possibilité de regarder le soleil couchant ainsi que le port et l’agglomération de Palavas, l’ensemble de la jurisprudence récente rejette l’anormalité d’un trouble au panorama. […] L’affirmation d’une possibilité de trouble à l’esthétique du paysage apprécié comme anormal par la jurisprudence civile se manifeste dans un arrêt de la deuxième chambre civile de 1995. Il s’agissait de l’entrée en activité d’une carrière qui avait altéré l’esthétique du paysage pour les propriétaires d’une résidence secondaire voisine. […] Intégrer l’esthétique du paysage est louable, mais qui est à même d’apprécier la beauté du paysage ? La victime est le propriétaire voisin, or c’est le juge qui détermine le caractère anormal de l’atteinte à l’esthétique (sur quels critères ?). Il convient d’attendre les futures décisions en la matière afin de pouvoir préciser les contours de cette extension. » [263]

Conclusion 43 Les effets des multiplications de chartes paysagères (communales) : plus