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Pour conclure, on peut d’abord insister sur la formulation du problème de paysage. Il s’agit d’orienter l’évolution des deux territoires péri-urbains pour qu’ils ne deviennent pas banalisés, ce qui signifie apporter une attention à ce qu’ils pourraient devenir sous la pression urbaine. En effet les habitants se sentent inquiets pour des paysages qui pourraient perdre leur caractère local et pittoresque, mais au contraire rassurés par la production de paysages ayant ces caractères. Dans un seul des territoires étudiés, les coteaux de La Roche-Guyon, ils se sont même mobilisés pour déclencher la préservation des paysages (loi du 2 mai 1930) afin d’éviter les scénarios d’évolution rejetés. Au marais Vernier l’absence de mobilisation sociale ne veut pas dire que des problèmes ne sont pas identifiés mais simplement que le risque de voir une évolution indésirable n’a pas suscité d’organisation sociale paysagiste.

Sur les coteaux de La Roche-Guyon, comment a été produit (et par qui ?) le paysage admiré et admirable ? La mobilisation sociale, on l’a vu, s’est appuyée sur un texte juridique pour solliciter l’État par le classement de monument naturel en consacrant le site comme pittoresque et patrimonial. Les acteurs se sont franchement opposés à des projets

d’exploitation de sablière. Le classement et les chartes ont donc eu pour but de contrôler l’occupation du sol, et en l’occurrence de bloquer un processus industriel et urbain rejeté. Aboutissement de la mobilisation sociale, le classement a permis la stabilisation du territoire Les pratiques de l’inspecteur des sites montrent l’importance des notions de menace et de pression urbaine pour la préservation des paysages. La valeur pittoresque est traduite par une réalité juridique (motif du classement) mais aussi par l’histoire des représentations culturelles. Grâce au modèle du beau paysage, le territoire a été soustrait à une urbanisation et à une industrialisation que bien d’autres communes voisines ont connu.

Ce processus récent indique que le classement est une politique efficace pour protéger des points de vue. En effet un périmètre a été défini et a été cartographié. En revanche les chartes paysagères, qui cherchent aussi à contrôler l’occupation du sol, ont surtout, aux yeux des paysagistes, une mission didactique aux effets concrets pouvant être étalés à plus long terme. Au contraire pour les commanditaires de chartes de paysage, l’idée d’effectuer des zonages pour hiérarchiser les valeurs de l’espace rejoint celle de produire des effets rapides ou tout au moins cela rassure car ils pourraient ainsi être transcrits dans des documents d’urbanisme. En l’absence de modèles qui auraient permis l’acceptation de l’évolution des paysages vers plus d’urbanisme, les politiques cherchant à décourager ces dynamiques urbaines se sont donc multipliées. Entre encouragements et freinages, les paysagistes ont préféré ne pas céder à la commande des parcs naturels régionaux de découper le territoire en zones de valeurs paysagères différentes. Cela montre d’une part que les parcs naturels régionaux peuvent donc chercher à utiliser les chartes pour contrôler l’occupation du sol, mais que d’autre part la mobilisation sociale est capitale pour protéger rapidement les paysages sur la base d’un texte fort. Mais il est vrai également que la pensée conservatrice, fondée sur la défense de motifs de paysage visibles (points de vue, marais non urbanisé) semble s’intéresser plus aux effets visuels qu’à l’organisation des espaces ou à leurs usages sociaux. Ou, en d’autres termes, à respecter des paysages voulus immuables plutôt que de contribuer à produire de nouveaux espaces économiques et sociaux. Ces politiques publiques définissent alors ce qui ne doit pas voir le jour (urbanisation notamment) mais ne se prononcent pas sur les nouvelles possibilités ou les projets.

Dans les deux cas — classement qui bloque et chartes paysagères qui découragent — les images de paysages jouent deux rôles. En premier lieu elle montrent ce que sont devenus les territoires grâce aux politiques publiques. C’est le cas des clichés de Christian Broutin à La Roche-Guyon, qui peut alors construire des cadrages comparables à ceux des XVIIIe et XIXe siècle. C’est aussi le cas des paysages du marais Vernier où la charte paysagère (le Guide

des élus) décourage la banalisation en renforçant les caractères locaux ; au marais Vernier il

s’agit de maintenir l’habitat en pied de falaise, de favoriser l’architecture vernaculaire, de décourager l’implantation de peupleraies et le remblaiement. En second lieu et réciproquement, les images peuvent servir de modèles de ce que l’on veut produire, par soustraction de ce qui est rejeté : un paysage de chaumières sans maisons neuves, des coteaux pittoresques sans extension urbaine, etc. Inversement on n’observe pas de contre-modèles qui désigneraient par l’image ce qui doit disparaître. Le pittoresque des représentations culturelles joue un double rôle, entraînant à la fois le classement des coteaux de La Roche-Guyon et l’élaboration, dans les deux territoires, des chartes de paysage des parcs naturels régionaux. Les modèles sollicités pour répondre à l’aspiration sociale sont fondés sur la beauté des paysages, appréciation qui n’est pas indépendante des histoires culturelles et artistiques locales et rejette ici plus le monde urbain que le monde rural. Plus que les politiques publiques qui découragent, objet de cette partie du mémoire, ce sont plutôt les politiques encourageantes qui s’appuient sur des motifs de paysages emblématiques, comme dans le cas des chartes paysagères et des parcs naturels régionaux que j’étudierai sous cette optique dans la partie suivante.

Sur les coteaux de La Roche-Guyon, le classement fut la première politique publique importante, qui en entraîna d’autres. Au marais Vernier le phénomène inverse verra peut être le jour : alors que le parc naturel existe depuis 25 ans et la charte paysagère depuis 1994, on étudie la possibilité de classer le marais Vernier au titre de la loi du 2 mai 1930. Cette procédure est étudiée dans le cadre de la préservation de l’estuaire de Seine, vaste projet qui dépasse le cadre de cette recherche. Intéressons-nous donc, avant de les étudier dans la partie suivante, aux politiques publiques entraînées par la politique forte du classement. Sur la base de la délimitation d’un large périmètre protégé étendu sur l’ensemble des coteaux, la politique de classement a entraîné une dynamique de projets naturalistes. La politique publique est alors fondée sur le patrimoine naturel. Dans le cadre du programme européen Natura 2000, le projet de réserve naturelle, déjà ancien, tend à se mettre en place sur le même périmètre des coteaux.

Cinquième partie