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Les origines théoriques du ciblage d’inflation

Dans le document UNIVERSITÉ D ORLÉANS THÈSE (Page 32-37)

1.2. Le ciblage d’inflation ou la convergence de l’ “art” et de la “science” de la politique monétaire monétaire

1.2.1. Les origines théoriques du ciblage d’inflation

Alors que nombre d’auteurs défendent fermement l’origine pragmatique du ciblage de l’inflation et voient dans cette stratégie le reflet de l’“art” des banquiers centraux dans la conduite de la politique monétaire, d’autres affirment au contraire que le ciblage d’inflation s’est construit sur la base des travaux académiques des années 1980-1990 consacrés à la problématique de la crédibilité de la politique monétaire et à ses solutions. Cette divergence de points de vue peut néanmoins s’expliquer par la trajectoire originale du ciblage d’inflation, qui a d’abord été adopté par certaines banques centrales avant même de faire l’objet de recherches académiques spécifiques4. Les premiers travaux sur le ciblage d’inflation apparaissent avec les articles de Svensson (1993) et Fischer (1993a), et les ouvrages de Haldane (1995) et Leiderman et Svensson (1995). Néanmoins, ces différentes contributions sont purement descriptives, dans le sens où elles rendent compte uniquement de l’expérience récente des pays cibleurs d’inflation mais ne fournissent aucune formalisation théorique de cette stratégie de politique monétaire. La première contribution académique cherchant à formaliser le ciblage d’inflation est l’article de Svensson (1997), soit près de sept ans après l’adoption de cette stratégie de politique monétaire par la Nouvelle-Zélande.

4 La Nouvelle-Zélande est considérée comme le premier pays à avoir officiellement adopté le ciblage d’inflation en mars 1990.

20 Cette thèse de quasi-absence de fondements théoriques à l’origine du ciblage d’inflation est toutefois contestée par tout un pan de la littérature, qui voit au contraire dans l’émergence du ciblage le résultat des évolutions intervenues au cours du demi-siècle dernier dans la conception et le rôle de la politique monétaire. Parmi les auteurs défendant ce point de vue, on retrouve en particulier Bernanke et al. (1999), mais également Truman (2003). Dans leur ouvrage de référence sur le ciblage d’inflation, Bernanke et al. (1999) défendent l’idée que la “naissance” du ciblage d’inflation serait à rechercher dans le tournant théorique opéré à la fin des années 1980 et au début des années 1990 avec la remise en cause de la verticalité de la courbe de Phillips, replaçant la politique monétaire au premier plan. Pour ces auteurs, ce regain d’intérêt pour la politique monétaire a également été conforté par l’abondante littérature empirique ayant mis en lumière les effets néfastes d’une forte inflation sur l’économie. Parmi ces effets, on retrouve par exemple les coûts liés aux ajustements de prix, aux transferts de revenus et de richesses entre agents, ou encore ceux liés au brouillage des signaux de prix et à l’incertitude qui y est liée. Bien qu’ambigus, les résultats de cette littérature empirique ont permis l’émergence au cours des années 1990 d’un large consensus sur la nécessité de lutter contre l’inflation et sur le rôle primordial de la politique monétaire dans cette mission de stabilité des prix5. Comme le soutiennent Bernanke et al. (1999), Truman (2003), et Freedman et Laxton (2009a), un tel consensus a sans doute plaidé en faveur du ciblage d’inflation, dont l’une des caractéristiques centrales est la reconnaissance d’une inflation basse et stable comme objectif prioritaire de long terme de la politique monétaire.

Au-delà de ces origines “intellectuelles”, pour reprendre l’expression de Truman (2003) et Freedman et Laxton (2009a), il semblerait que les travaux relatifs à l’incohérence temporelle initiés par l’article séminal de Kydland et Prescott (1977) aient également pu jouer un rôle majeur dans l’émergence du ciblage d’inflation. C’est notamment l’argument défendu par Chari et Kehoe (2006), qui voient dans cette littérature l’origine “scientifique” du ciblage d’inflation. Ce principe d’incohérence temporelle, qui a servi à montrer que l’arbitrage entre activité et inflation impliquait une dérive systématique des prix, a en effet donné lieu à une abondante littérature visant à rechercher des solutions au biais inflationniste. Suivant la théorie du banquier central conservateur de Rogoff (1985), l’une des branches de cette

5 Parmi l’abondante littérature empirique ayant étudié le lien entre inflation et croissance économique, voir notamment Fischer (1993b), Barro (1995), Bruno et Easterly (1996, 1998), Sarel (1996), Andrés et Hernando (1997), Ghosh et Phillips (1998), Judson et Orphanides (1999), Khan et Senhadji (2001), et Burdekin et al.

(2004).

21 littérature a tout d’abord réfuté tout arbitrage possible entre crédibilité et flexibilité de la politique monétaire, et mis en avant la nécessité de rendre indépendante la banque centrale du pouvoir politique. Or, comme nous le verrons de manière plus approfondie dans la suite de ce chapitre, l’indépendance de l’autorité monétaire est considérée dans la littérature comme un des aspects fondamental du ciblage d’inflation. Même s’il est vrai que toute stratégie de politique monétaire, pour être crédible et lutter durablement et efficacement contre l’inflation, ne doit pas subir les pressions du gouvernement. Par conséquent, il semble indéniable que la littérature relative au “design institutionnel” de la politique monétaire (voir notamment, Persson et Tabellini, 1993) ait pu jouer un rôle dans l’émergence du ciblage d’inflation tel que nous le concevons aujourd’hui. Ce point de vue est partagé par Reddell (1999), Sherwin (1999), et Bollard et Karagedikli (2006), qui soutiennent que dans le cas de la Nouvelle-Zélande, l’adoption du ciblage d’inflation aurait été en grande partie influencée par la littérature académique dominante de l’époque, à savoir les travaux relatifs à la crédibilité et à l’indépendance de la banque centrale.

Le débat a par la suite pris un tournant décisif avec la publication de l’article fondateur de Taylor (1993) et la multiplication des travaux autour de la question des règles monétaires actives (ou contingentes). En effet, ces travaux sur les règles monétaires vont arriver à deux conclusions novatrices. La première est que, contrairement à l’argument défendu par Sargent et Wallace (1975), la fixation du taux d’intérêt est compatible avec la détermination des prix.

Ainsi, il est possible d’assurer un ancrage nominal par le contrôle des taux d’intérêt. La seconde est qu’il est possible, contrairement au dilemme inflation/activité avancé par Barro et Gordon (1983) et Rogoff (1985), de concilier cet ancrage nominal avec la régulation conjoncturelle de l’économie. En d’autres termes, il est possible pour une banque centrale d’être crédible aux yeux des agents économiques dans sa politique de stabilisation de l’inflation, tout en conservant une certaine marge de manœuvre afin de répondre aux chocs temporaires subis par l’économie. Cette possibilité pour une banque centrale de concilier crédibilité et flexibilité de la politique monétaire est précisément l’un des principaux avantages mis en avant par les défenseurs du ciblage d’inflation. D’où le terme de “discrétion contrainte” imaginé par Bernanke et Miskin (1997) pour caractériser le ciblage d’inflation, la contrainte n’étant plus ici représentée par la règle de politique monétaire que la banque centrale s’est fixée, mais simplement par la cible d’inflation qu’elle s’est engagée à atteindre à un horizon prédéterminé.

22 La littérature distingue cependant deux types de règles contingentes : la règle d’instrument et la règle d’objectif. Une règle d’instrument, dont l’exemple le plus connu est celui de la “règle de Taylor”, consiste pour une banque centrale à ajuster son instrument en réponse à certaines variables macroéconomiques passées, présentes ou anticipées. Une règle d’objectif consiste à l’inverse à fixer des objectifs et une pondération précise de ces objectifs à la banque centrale, tout en permettant à cette dernière de conduire librement sa politique monétaire sur la base des informations et prévisions dont elle dispose. Cette opposition entre règle d’instrument et règle d’objectif fait l’objet d’un intense débat dans la littérature depuis plusieurs années, du fait des avantages et des limites qui caractérisent chacune de ces règles.

Au cœur de ce débat réside notamment la question de la simplicité des règles d’instrument, certains auteurs comme McCallum et Nelson (2004) voyant dans cette simplicité un avantage du fait d’une plus grande lisibilité et transparence de la politique monétaire. D’autres au contraire, dont le plus âpre défenseur de la règle d’objectif qu’est Svensson (2002, 2003), mettent en avant le fait que la simplicité des règles d’instrument ne permet pas de modéliser efficacement la politique monétaire telle qu’elle est conduite aujourd’hui par les banques centrales. Toutefois, en permettant à l’autorité monétaire de mobiliser un grand nombre de variables et d’informations dans la conduite de sa politique, la règle d’objectif peut vite se révéler très opaque, les décisions de la banque centrale devenant dès lors très difficiles à évaluer et à contrôler.

L’autre versant du débat entre règle d’instrument et règle d’objectif s’est quant à lui concentré sur le caractère plus ou moins mécanique de ces deux catégories de règles, c’est-à-dire en d’autres termes la marge de manœuvre discrétionnaire qu’elles accordent aux banques centrales. L’un des inconvénients couramment avancés à l’encontre des règles d’instrument est qu’elles modélisent une réaction automatique, et souvent linéaire, aux variations des variables macroéconomiques considérées. Ainsi, en théorie, la marge de manœuvre des autorités monétaires formulant leur politique monétaire sur la base d’une règle d’instrument serait nulle. Dans la pratique toutefois, cette automaticité des règles d’instrument doit être relativisée, ces dernières étant plus un guide pour les banques centrales qu’une règle stricte qu’elles s’attacheraient à suivre de manière systématique. A l’opposé, les règles d’objectif apparaissent d’une grande souplesse, en laissant une place importante au jugement de la banque centrale dans la conduite de sa politique monétaire.

23 En définitive, comme le défend Pollin (2005), la politique de ciblage d’inflation apparaît comme un bon compromis entre ces deux catégories de règles contingentes. La stratégie de ciblage d’inflation consiste à fixer à la banque centrale un objectif public d’inflation, tout en précisant l’horizon temporel pour la réalisation de cet objectif. La mission de l’autorité monétaire consiste alors à déterminer aujourd’hui son taux directeur de telle sorte que le taux d’inflation anticipé soit égal à l’objectif d’inflation annoncé à un horizon donné (Heikensten, 1999 ; Goodhart, 2001). Une telle stratégie combine en effet l’avantage de lisibilité de la règle d’instrument, de par la clarté et la transparence de son point d’ancrage nominal, tout en laissant comme pour la règle d’objectif, une relative souplesse à la banque centrale dans la conduite de sa politique monétaire afin de lui permettre de répondre à d’éventuels chocs temporaires. Néanmoins, bien que de nombreuses banques centrales soient dotées d’une cible d’inflation, leur politique monétaire ne s’inscrit pas nécessairement dans un cadre de ciblage d’inflation. Le dispositif d’ensemble qu’exige ce cadre d’application de la politique monétaire va en effet au-delà de la simple annonce d’un objectif officiel d’inflation.

Tout d’abord, pour être efficace, c’est-à-dire pour ancrer efficacement les anticipations d’inflation sur la cible annoncée, une telle stratégie nécessite en amont un effort accru de communication de la part de la banque centrale. Cette dernière doit notamment publier ses prévisions d’inflation et d’activité, ainsi que les modèles employés pour effectuer ces prévisions, et expliciter clairement aux marchés les raisons des ajustements de taux et les effets attendus de ces derniers sur l’inflation future. En outre, la stratégie de ciblage d’inflation requiert que la banque centrale soit responsable de l’objectif d’inflation qui lui a été fixé, en ce sens qu’elle est tenue de rendre des comptes aux citoyens par l’entremise de leurs représentants sur la façon dont elle exerce ses pouvoirs, mais surtout sur la réalisation de ses objectifs. En cas de non-réalisation de l’objectif d’inflation qui lui a été assigné, la banque centrale se doit alors d’expliquer publiquement les raisons qui ont conduit à cet “échec”, ainsi que les remèdes envisagés pour y pallier (Freedman et Laxton, 2009b). Le degré de responsabilité démocratique de la banque centrale est théoriquement maximal dans un cadre de ciblage de l’inflation, car le point d’ancrage nominal est clair et transparent, ce qui permet au public d’évaluer facilement la réalisation des objectifs assignés à l’autorité monétaire. Pour Mishkin (2000), ce contrôle exercé par le public sur la conduite de la politique monétaire renforce l’incitation des instances de décision de la banque centrale à remplir leur mandat de manière optimale, ce qui limite par conséquent le risque d’incohérence temporelle. Il semble dès lors, que comparativement aux autres formes de règles contingentes, le ciblage d’inflation

24 présente un certain nombre d’avantages, qui pourraient expliquer l’engouement croissant d’un certain nombre de banques centrales pour cette stratégie de politique monétaire.

1.2.2. L’adoption du ciblage d’inflation au sein des économies émergentes, résultat du

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