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La méthode d’appariement par score de propension (PSM)

Dans le document UNIVERSITÉ D ORLÉANS THÈSE (Page 176-182)

Adoption du ciblage d’inflation et politique budgétaire des économies émergentes

3.3. Adoption du ciblage d’inflation et mobilisation fiscale dans les pays émergents : une investigation empirique investigation empirique

3.3.1. La méthode d’appariement par score de propension (PSM)

Analyser l’impact de l’adoption d’une politique publique ou d’une réforme sur l’évolution de variables économiques constitue une démarche empirique relativement délicate. En effet, évaluer l’effet d’une politique publique sur les variables économiques suppose de savoir comment ces dernières auraient évolué en l’absence de l’adoption de la mesure. Dans le cadre de notre étude, cela revient donc à se demander comment auraient évolué les taux de prélèvement public au sein des pays émergents cibleurs d’inflation si ces derniers n’avaient pas fait le choix d’adopter cette stratégie de politique monétaire. Or, cette évolution est par définition inobservable. Inversement, nous ne pouvons observer ce qu’aurait été le taux de prélèvement public d’un pays non-cibleur d’inflation si ce dernier avait décidé d’adopter ce cadre de politique monétaire. Une solution simple pour évaluer cet effet causal consisterait à comparer les taux de prélèvement public au sein des pays cibleurs et non-cibleurs d’inflation et à analyser si, en moyenne, les pays émergents ayant adopté ce cadre de politique monétaire ont effectivement un niveau de recettes publiques supérieur et statistiquement différent de celui des pays non-cibleurs. Cette démarche statistique fait référence au modèle canonique de l’évaluation introduit par Rubin (1974). Néanmoins, cette démarche suppose que les deux échantillons de pays considérés, c’est-à-dire cibleurs et non-cibleurs, soient semblables. Or, comme nous le savons, il existe une hétérogénéité économique et institutionnelle relativement forte au sein des économies émergentes. En outre, l’absence de dominance budgétaire étant une des préconditions essentielles à l’adoption d’une politique de ciblage d’inflation, il est très probable que les pays cibleurs aient mis en œuvre des réformes budgétaires avant l’adoption de cette stratégie de politique monétaire, qui font que cette catégorie de pays présente des taux de prélèvement public supérieurs aux pays non-cibleurs. En termes économétriques, cela signifie que la variable latente de résultat (ici, le niveau des recettes publiques) n’est pas indépendante de la variable d’affectation au

163 traitement (ici, l’adoption du ciblage d’inflation). Dès lors, comparer directement les taux de prélèvement public de ces deux groupes de pays reviendrait à supposer l’adoption du ciblage d’inflation comme un processus aléatoire et non dépendant des caractéristiques économiques et institutionnelles des économies et, conduirait à produire des résultats entachés d’un “biais de sélection”.

Pour limiter les conséquences de ce biais de sélectivité, plusieurs méthodologies ont été développées dans la littérature économétrique à la suite du modèle causal de Rubin (1974).

Ces méthodologies, au départ destinées à l’évaluation des traitements dans le domaine biomédical, ont par la suite rencontré un large écho auprès des économistes et des décideurs publics afin d’évaluer l’efficacité des politiques économiques. Durant les dernières années, cette question de l’évaluation ex post des politiques publiques est en effet au centre d’une littérature économétrique foisonnante en avancées méthodologiques. En particulier, ces méthodes ont été fréquemment utilisées en micro-économétrie dans le but d’évaluer les résultats de réformes fiscales, de politiques de subvention, ou encore de programmes de formation ou d’aide sociale65. Plus récemment, un nombre croissant d’études macro-économétriques se sont appuyées sur ces méthodes pour tenter de quantifier au sein d’un échantillon relativement large de pays l’impact de l’adoption d’une politique économique commune au sein de certains d’entre eux. Il ne s’agit donc plus dans ce cadre d’étude d’évaluer l’effet d’une politique publique au sein d’un pays ou d’une région sur les individus à laquelle elle s’applique, mais d’évaluer dans quelle mesure l’adoption d’une politique économique a impacté l’évolution de certaines variables macroéconomiques au sein des économies l’ayant adopté, comparativement aux pays ayant fait le choix de ne pas l’adopter.

Par exemple, ces méthodologies ont été employées en commerce international, afin de mesurer l’effet de la signature d’accords commerciaux bilatéraux sur les flux commerciaux des pays concernés (voir, notamment, Baier et Bergstrand, 2009 ; Tobin et Busch, 2010).

Parmi ces méthodologies, deux ont tout particulièrement été privilégiées par les macroéconomistes pour évaluer l’impact de l’adoption du ciblage d’inflation sur les performances macroéconomiques des pays l’ayant adopté: la méthode des doubles différences et la méthode d’appariement par score de propension. L’estimateur des doubles différences, qui consiste à mesurer le différentiel d’évolution de variables macroéconomiques telles que

65 Voir par exemple Brodaty et al. (2007) et Fougère (2010) pour une présentation détaillée de ces méthodologies micro-économétriques d’évaluation et une revue de littérature non exhaustive des études ayant employé ces méthodes.

164 l’inflation et l’output gap entre pays cibleurs et non-cibleurs, a notamment été utilisé par Ball et Sheridan (2003) et Gonçalves et Salles (2008) à partir de données en coupe transversale.

Néanmoins, comme nous l’avons souligné dans le deuxième chapitre de cette thèse, une des principales limites de cet estimateur est de supposer qu’en l’absence de ciblage d’inflation, l’évolution des variables de résultat considérées aurait été la même en moyenne sur la période pour les pays cibleurs et non-cibleurs d’inflation. Dès lors, cette approche nécessite de retenir au sein du groupe de contrôle des économies semblables aux pays cibleurs, auquel cas l’effet de l’adoption du ciblage d’inflation risque d’être surestimé. Plus récemment, suite à l’étude pionnière de Vega et Winkelried (2005), certains travaux sur le ciblage d’inflation ont fait le choix de s’appuyer sur des méthodes non-paramétriques d’appariement par score de propension (voir, Lin et Ye, 2007, 2009, 2012 ; de Mendonça et de Guimarães e Souza, 2012). Cette méthodologie, relativement intuitive, consiste à apparier chaque pays cibleur d’inflation avec un pays “jumeau” non-cibleur, c’est-à-dire ayant des caractéristiques économiques et institutionnelles proches, et à considérer la variable de résultat de ce dernier comme le contrefactuel du résultat du pays cibleur. Ainsi, cet estimateur par appariement présente l’avantage de réduire le biais de sélectivité, en ce sens qu’il évite d’attribuer au ciblage d’inflation ce qui relève de caractéristiques intrinsèques des deux populations, cibleurs et non-cibleurs. C’est principalement pour cette raison que nous avons fait le choix de retenir cette méthodologie pour évaluer l’impact du ciblage d’inflation sur la mobilisation fiscale des économies émergentes.

Présentation de la méthodologie PSM

La méthode d’estimation par appariement a été initialement proposée par Rubin (1977) et développée plus récemment par Heckman et al. (1998). Afin de faciliter la compréhension de la méthodologie employée ici, commençons par définir les définitions et notations sur lesquelles nous nous appuierons dans le cadre de cette étude. Nous supposons que pour chacun des pays ݅ de notre échantillon de taille ܰ, nous observons l’ensemble des variables aléatoire suivantes. L’adoption du ciblage d’inflation est représentée par une variable binaire ܫܶ௜௧, également appelée variable de traitement, qui prend la valeur 1 si un pays ݅ poursuit une stratégie de ciblage de l’inflation à l’année ݐ, et 0 sinon. L’effet du traitement, c’est-à-dire du ciblage d’inflation, est mesuré au travers une variable de résultat notée ܻ, qui correspond dans le cadre de notre étude au taux de prélèvement public. Plus précisément, on distingue deux

165 variables latentes de résultat, notées respectivement ܻ௜௧ et ܻ௜௧ , selon que le pays considéré à la période ݐ soit “traité” (ܫܶ௜௧ ൌ ͳ), ou “non-traité” (ܫܶ௜௧ ൌ Ͳ). Ces variables correspondent alors aux résultats potentiels du traitement. Par définition, elles ne sont jamais simultanément observées à la même période pour un même pays, un pays ne pouvant naturellement pas être à la fois cibleur et non-cibleur d’inflation. Comme nous l’avons introduit ci-dessous, le principe de la méthode d’estimation par appariement consiste à apparier une observation traitée avec une observation non traitée dont les caractéristiques observables sont comparables, et de considérer le résultat ܻ௜௧ de cette dernière comme le contrefactuel de l’observation “traitée”, c’est-à-dire le résultat qui aurait été observé si le pays cibleur d’inflation à la période ݐ avait fait le choix de ne pas adopter cette stratégie de politique monétaire66. L’appariement se fait sur la base d’un score de propension, défini comme la probabilité individuelle d’être traité conditionnellement au vecteur ܺ des covariables observées. L’estimateur par appariement est alors égal à la moyenne des écarts entre les variables de résultat ܻ௜௧ et leur(s) contrefactuel(s)

ܻ௜௧ respectif(s)67.

Formellement, l’effet moyen du traitement sur les traités peut s’écrire comme suit :

ο෠஺்்௉ௌெൌ ܧ௣ሺ௑೔೟ሻȁூ்೔೟ୀଵሼܧሾܻ௜௧หܫܶ௜௧ ൌ ͳǡ ܲሺܺ௜௧ሻሿ െ ܧൣܻ௜௧หܫܶ௜௧ ൌ Ͳǡ ܲሺܺ௜௧ሻ൧ሺ͵Ǥͳሻ où ܻ௜௧ȁܫܶ௜௧ ൌ ͳ représente le taux de prélèvement public observé à la période ݐ au sein d’un pays ݅ poursuivant une stratégie de ciblage d’inflation, et ܻ௜௧ȁܫܶ௜௧ ൌ Ͳ le taux observé pour le contrefactuel. ܲሺܺ௜௧ሻ correspond quant à lui au score de propension, c’est-à-dire dans le cadre de notre étude à la probabilité pour un pays ݅ d’adopter et/ou de poursuivre à l’année ݐ une stratégie de ciblage de l’inflation, conditionnellement aux covariables observables ܺ௜௧. Le score de propension peut donc être noté :

ܲሺܺ௜௧ሻ ൌ ”ሺܫܶ௜௧ ൌ ͳȁܺ௜௧ሻሺ͵Ǥʹሻ Le score de propension est estimé à l’aide d’un modèle à choix qualitatif binaire (probit ou logit) dans lequel est introduit l’ensemble des variables ܺ௜௧ constituant théoriquement des déterminants de l’adoption du ciblage d’inflation au sein des économies

66 Nous employons ici le terme “observation” et non le terme “pays” du fait que nous conduisons notre étude sur données de panel et que, par conséquent, sur l’ensemble de période considérée un pays peut être non-cibleur d’inflation avant de faire le choix d’adopter cette stratégie de politique monétaire.

67 Comme nous le verrons dans la sous-section suivante, plusieurs algorithmes d’appariement ont été développés par la littérature économétrique et certains d’entre eux suggèrent de retenir plusieurs observations contrefactuelles pour chaque observation traitée.

166 émergentes. Dès lors, comme pour toute méthodologie en plusieurs étapes, nos résultats finaux sont fortement conditionnés par la “qualité” des estimations des scores de propension.

Nous testerons par conséquent la sensibilité de nos résultats à la spécification du modèle de probabilité retenue, c’est-à-dire au choix des variables explicatives considérées.

Hypothèses de l’estimateur PSM

La validité empirique de l’appariement par score de propension repose sur deux hypothèses fondamentales, dont les implications pratiques doivent être prises en considération dans la conduite de notre étude. La première est l’hypothèse d’indépendance conditionnelle qui suppose que, conditionnellement à un ensemble de caractéristiques observables ܺ௜௧ qui ne sont pas affectées par le traitement, les variables de résultat ܻ௜௧ et ܻ௜௧ sont indépendantes de la variable de traitement ܫܶ௜௧. L’hypothèse d’indépendance conditionnelle s’exprime de la manière suivante :

൫ܻ௜௧ǡ ܻ௜௧൯חܫܶ௜௧ȁܺ௜௧ሺ͵Ǥ͵ሻ Cette hypothèse d’indépendance conditionnelle est une hypothèse relativement forte puisqu’elle signifie que l’assignation au traitement, ici l’adoption du ciblage d’inflation, est seulement basée sur des caractéristiques observables. Cette hypothèse peut néanmoins être sensiblement assouplie lorsque l’on cherche à estimer l’effet moyen du traitement sur les traités et non l’effet moyen du traitement sur l’échantillon total. Dans ce cas, il suffit en effet que les variables aléatoires ܻ௜௧ et ܫܶ௜௧ soient indépendantes, soit :

ܻ௜௧חܫܶ௜௧ȁܺ௜௧ሺ͵ǤͶሻ Comme le montre le théorème de Rosenbaum et Rubin (1983), le respect de

l’hypothèse d’indépendance conditionnelle est essentiel puisqu’il permet d’apparier les observations traitées et non traitées sur la base de leur score de propension ܲሺܺ௜௧ሻ, et non plus sur l’ensemble des variables de conditionnement comme c’était le cas avec la méthode d’appariement précédemment développée par Rubin (1977). Le théorème de Rosenbaum et Rubin (1983) signifie donc que :

ܻ௜௧חܫܶ௜௧ȁܺ௜௧ ֜ ܻ௜௧חܫܶ௜௧ȁܲሺܺ௜௧ሻሺ͵Ǥͷሻ

167 Le score de propension constitue alors un résumé unidimensionnel du vecteur ܺ, qui permet de s’affranchir des difficultés pratiques lorsqu’il s’agit d’apparier les observations traitées et non-traitées sur la base d’un nombre important de variables de conditionnement.

Selon Rubin (2007), le fait que le score de propension soit indépendant de la variable de résultat constitue le principal avantage des estimateurs par appariement comparativement aux autres méthodologies non-expérimentales, telles que la régression avec discontinuité ou la méthode des doubles différences. En pratique, le respect de l’hypothèse d’indépendance conditionnelle implique de prendre en considération dans le modèle probit ou logit l’ensemble des variables affectant à la fois la variable de résultat et la variable de traitement.

La seconde hypothèse est la condition de support commun des scores de propension, dont l’importance a été soulignée par Heckman et al. (1998). L’estimateur par appariement sur le score de propension suppose en effet que l’on dispose pour chaque observation traitée d’observations non traitées dont les scores de propension estimés ont des valeurs proches du score de propension de l’observation traitée. En d’autres termes, cette condition assure de pouvoir construire pour chaque observation traitée de score ܲun contrefactuel à partir de l’échantillon des observations non traitées, c’est-à-dire de pouvoir estimer ܧሾܻ௜௧ȁܲሺܺ௜௧ሻ ൌ ܲǡ ܫܶ௜௧ ൌ Ͳሿ afin de déterminer l’effet causal du traitement sur les traités.

Formellement, la condition de support commun peut s’écrire ainsi :

Ͳ ൏ ܲݎሺܫܶ௜௧ ൌ ͳȁܺ௜௧ሻ ൏ ͳሺ͵Ǥ͸ሻ Cette condition de support commun exclut donc le phénomène de prédictibilité parfaite de la variable de traitement et, paradoxalement implique que le modèle de probabilité non linéaire servant à l’estimation des scores de propension ne soit pas trop “bon”, pour reprendre le terme employé par Brodaty et al. (2007) et Fougère (2010). En effet, on ne peut construire de contrefactuel que pour les observations dont le score de propension appartient à l’intersection des supports des distributions des scores des deux groupes d’observations, traitées et non traitées. Dès lors, retenir un modèle de probabilité dont le pouvoir prédictif serait trop important risquerait de disjoindre les supports des distributions des scores de propension, rendant tout appariement impossible, les scores de propension des observations traitées et non traitées tendant respectivement vers 1 et 0. La condition de support commun suggère par conséquent un arbitrage dans le choix des variables de conditionnement, du fait qu’introduire un grand nombre de variables risque de restreindre les possibilités

168 d’appariement et, au final de ne conduire l’évaluation que sur une faible proportion des observations traitées.

Comme toute méthodologie économétrique, la méthode d’appariement par score de propension comporte des limites. Une de ces limites, largement discutée dans la littérature, est l’hypothèse selon laquelle la sélectivité (c’est-à-dire ici la probabilité pour un pays d’adopter le ciblage de l’inflation) opère uniquement sur la base de caractéristiques observables. Dans notre cas, cette hypothèse dite de “sélection sur les observables”, ne peut raisonnablement être posée que si de nombreuses caractéristiques économiques et institutionnelles potentiellement liées à l’adoption d’une stratégie du ciblage d’inflation sont effectivement observables et mesurables. Une seconde limite se réfère plus particulièrement à notre cadre d’étude. En effet, analyser l’impact de l’adoption du ciblage d’inflation sur la conduite de la politique budgétaire des pays émergents suppose implicitement de considérer cette stratégie de politique monétaire comme commune à l’ensemble des économies. Or, comme l’a récemment montré Hammond (2012), l’architecture institutionnelle et le cadre d’application de la politique monétaire est sensiblement différent suivant les pays cibleurs d’inflation considérés.

Cette critique reste cependant valable pour la majeure partie des analyses empiriques ayant défini la poursuite d’une stratégie de ciblage de l’inflation à l’aide d’une variable muette.

Toutefois, comme nous le verrons ci-dessous, nous chercherons à prendre en considération cette seconde limite en retenant deux dates d’adoption du ciblage d’inflation, une correspondant à une adoption partielle du ciblage d’inflation et une autre correspondant à une adoption qualifiée d’aboutie.

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