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Les nouveaux ordres contemplatifs féminins

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 113-118)

Première partie : l’éclosion d’une vie religieuse municipale (fin XVI e siècle - début des années 1630)

B. Nancy, espace d’expérimentation de la Réforme catholique ?

4. Les nouveaux ordres contemplatifs féminins

Parmi les ordres religieux créés dans le cadre de la Réforme catholique, plusieurs ont voulu réaffirmer la vocation contemplative des religieuses, en luttant contre un supposé relâchement dans les ordres préexistants. D’autres avaient une vocation active que les exigences du Concile de Trente, attaché au principe de la clôture, n’ont pas toujours respecté. En toute logique, les monastères appartenant à de tels ordres sont les moins susceptibles d’apparaître dans des sources d’origine municipale : comme les religieuses ne sont pas censées pouvoir monter en chaire, les édiles ne peuvent faire appel à leur couvent pour les prédications municipales. Si la clôture est respectée et le couvent bien doté, les religieuses n’ont besoin ni de quêter dans les rues de la ville, ni de solliciter une aide financière de sa part.

La présence du couvent des Visitandines et de celui des Annonciades, à Nancy, ne peut donc être détectée que de façon indirecte dans les délibérations ou les comptes de la Ville, et

389 A.M.N., BB 3, f.° 131 r°-v°.

390 DU BOIS DE CENDRECOURT Louis, « Élisabeth de Ranfaing (1592-1649) … », op. cit.

l’histoire de leurs fondations est encore plus difficile à appréhender sans le recours à des sources complémentaires qui sont, elles-mêmes, tout aussi rares. Ainsi, le couvent des Annonciades de Nancy, dites « Annonciades célestes » en raison de leur manteau bleu, n’apparait qu’à deux reprises au cours du premier tiers du XVIIe siècle, et de façon indirecte. En 1617, le couvent des « Filles de l’Annonciat » est présenté comme étant l’exemple d’établissement religieux qui ne coûte rien à la collectivité dans la Réponse de la Ville aux propositions de Mme de Remiremont à l’hôpital pour l’installation des Capucines391, car largement doté. Mais cette affirmation n’est prouvée ni dans le document, ni par les études : les Annonciades de Nancy disposent en réalité de seulement 200 écus en 1616, ce qui ne suffit pas pour aménager la maison en couvent392. Soit les Annonciades ont exagéré leurs difficultés matérielles dans leurs lettres auprès des autres couvents, soit le Conseil de Ville de Nancy ignore ou veut ignorer leur situation financière393, d’autant plus qu’elles n’ont sollicité aucune aide de sa part. La seconde mention des Annonciades date du 1er septembre 1618394 : ce jour-là, le Conseil de Ville répartit les différentes églises de Nancy et les quartiers qui en dépendent entre les valets des pauvres, chargés de l’assistance envers les miséreux ; l’église des Annonciades est groupée avec celles du noviciat jésuite, du couvent des Capucins et du couvent des Carmélites. Toutes les occurrences ultérieures du couvent des Annonciades dans les registres des délibérations sont de cet ordre.

Au moment où les Annonciades apparaissent dans les sources municipales, leur couvent vient à peine d’être fondé (en 1616) et l’ordre lui-même n’est guère plus ancien. Sa fondation par Marie-Victoire de Fornari Strata, à Gênes, date de 1604. Il s’agit d’un ordre contemplatif (ce qui implique un risque qu’il soit jugé inutile par les autorités municipales), centré sur la dévotion mariale et christocentrique et l’adoration du Verbe incarné. Les Annonciades célestes ont établi très tôt des liens avec la dynastie ducale et la noblesse lorraine : quand, le 24 mai 1613, les Annonciades commencent à bâtir un nouveau couvent à Vesoul, c’est Catherine de Lorraine, abbesse de Remiremont et sœur d’Henri II qui en pose la première pierre. Marie-Élisabeth Henneau a relevé que l’implantation des couvents des Annonciades célestes suivait

391 A.M.N., GG 73.

392 PIRONT Julie, « Une architecture de frontières : les monastères des annonciades célestes dans les diocèses de Toul et de Verdun (XVIIe-XVIIIe siècles) », dans BOURDIEU-WEISS Catherine (dir.), Les Cahiers du CRULH.

Les ordres religieux féminins dans les Trois-Évêchés : vocations, missions et cadres d’existence. Publications historiques de l’Est, 2018. Article aimablement communiqué par son auteure. La situation matérielle du couvent de Nancy est décrite auprès du couvent de San Cipriano.

393 L’argumentation municipale se fonde sur le fait que le couvent de Capucines projeté devra être largement doté pour que son implantation réussisse. Le couvent des Annonciades est donc choisi comme exemple de maison religieuse largement dotée, de façon à estimer le coût au plus élevé.

394 A.M.N., BB 3, f.° 11 v°.

la « dorsale catholique », formant « de véritables citadelles de prières face à la menace protestante », tout comme les Franciscains et les Jésuites et avec le soutien de ces derniers395. Un des premiers couvents d’Annonciades célestes parmi ceux fondés hors d’Italie est celui de Vesoul, où entre une femme issue de la noblesse lorraine, Marie-Catherine de Fresnel, en 1613396. Son frère François est le gouverneur de Clermont-en-Argonne. Selon Élisabeth Deloge, c’est lui qui aurait invité sa sœur à établir à Nancy la quatrième maison de l’ordre397. Mais les travaux de Marie-Élisabeth Henneau et de Julie Piront, dans le cadre de l’ANR-Lodocat, ont depuis mis en évidence le réseau que tissent les maisons annonciades entre elles.

La prieure de la communauté de Vesoul, Françoise de Caresmentrant, invite Marie-Catherine de Fresnel à contacter sa famille, ainsi que l’évêque de Toul, pour établir un nouveau couvent dans le diocèse de ce dernier. Le choix de Nancy, plutôt qu’une autre ville, s’explique facilement. Le statut de capitale implique la présence de la Cour, des organes de gouvernement et des élites sociales. L’ensemble promet un recrutement de filles relativement aisées dont les dots assureront des ressources financières au couvent, des dons pieux et le soutien des familles des religieuses en cas de difficulté398. Ce sont les dots des novices annonciades, et des dons venus de la famille ducale, qui permettent de louer puis acheter des maisons pour créer le couvent nancéien399, qui se situe dans la Ville Neuve, rue Saint-Dizier. Les Annonciades étendent ensuite leur propriété foncière en direction de la « rue de l’église »400 afin de contrôler l’ensemble de l’îlot urbain et de faire respecter la clôture du couvent401, mais la guerre interrompt ce programme avant qu’il ne soit achevé. C’est sur cette rue que s’ouvre leur église, consacrée en 1626 à la Sainte Croix402.

Bien que n’étant pas le couvent originel de l’ordre, celui de Nancy a joué un grand rôle dans la diffusion de l’ordre des Annonciades célestes, conjointement à celui de Pontarlier. Ils

395 HENNEAU Marie-Élisabeth, « De Gênes à Liège : implantation des annonciades célestes sur la Dorsale catholique », dans DEREGNAUCOURT Gilles, KRUMENACKER Yves, MARTIN Philippe et MEYER Frédéric (dir.), Dorsale catholique, jansénisme, dévotion. Mythe, réalité, actualité historiographique. Paris, éditions Riveneuve, 2014, pp. 355-367. Article aimablement communiqué par son auteure.

396 PIRONT Julie, « Une architecture de frontières… », op. cit.

397 DELOGE Élisabeth, Un ordre féminin en Lorraine à l’époque de la Contre-Réforme : les Annonciades aux XVIIe-XVIIIe siècles. Mémoire de maîtrise sous la direction de Louis CHÂTELLIER. Université de Nancy II, dactylographié, 1992, pp. 6-11.

398 PIRONT Julie, « Une architecture de frontières… », op. cit.

399 A.D.54, H 2364.

400 L’actuelle rue des Quatre-églises.

401 PIRONT Julie, « Une architecture de frontières… », op. cit.

402 PIRONT Julie, TRONQUART Martine, VAXELAIRE Yann, Notice de l’inventaire général du patrimoine Mérimée. Notice aimablement fournie par PIRONT Julie.

sont à l’origine des deux tiers des fondations de l’ordre403. Marie-Catherine de Fresnel, fondatrice de la maison de Nancy, a ainsi également fondé le couvent de Paris en 1622, et celui de Stenay en 1633 où elle meurt en 1647404. C’est également à partir du couvent de Nancy que sont fondés ceux d’Épinal, de Joinville en 1621, de Namur, Liège et Düsseldorf en 1639405. La fondation du couvent de Saint-Mihiel en 1619, sous la direction de la mère Marie-Gabrielle Voirin406, profite du même contexte local que Nancy : Saint-Mihiel est une ville parlementaire où on peut attendre de confortables dots407. Il ne s’agit pas là d’une stratégie délibérée de fondation dans des villes préalablement choisies, mais plutôt d’installations de circonstance.

Les Annonciades profitent de la présence de personnes bien disposées, d’une faible concurrence des autres maisons religieuses ou d’un soutien de la part des Jésuites pour créer de nouveaux couvents408, mais aussi et surtout du statut de la ville, donc de la présence d’élites aptes à doter les religieuses et le couvent409.

En comparaison, l’installation d’un couvent de Visitandines à Nancy est encore plus discrète, car le Conseil de Ville s’est contenté d’enregistrer les lettres patentes de Charles IV autorisant leur entrée à Nancy, datées du 13 décembre 1632410. Cette entrée se fait donc alors que Nancy et la Lorraine subissent la peste et que la guerre menace. Mais le document ne renseigne pas sur les démarches qui ont précédé cette installation, notamment le rôle d’Anne Vincent de Génicourt. Cette fille d’un président de la Chambre des Comptes du Barrois, est issue d’une famille bourgeoise anoblie dans la seconde moitié du XVIe siècle, et porte un nom connu dans le milieu dévot de Nancy : un Claude Génicourt est membre de la congrégation des artisans en 1607411 ; en 1625 c’est lui qui héberge le père tiercelin Vincent Mussart412 venu prêcher à Saint-Epvre et défendre les couvents tiercelins qu’il a contribué à fonder. Par son mariage avec Nicolas d’Haraucourt, Anne de Génicourt est rattachée à une ancienne famille de

403 HENNEAU Marie-Élisabeth, « De Gênes à Liège… », op. cit. Il n’existe aucune structure juridique ni aucune notion de filiation entre les maisons d’Annonciades célestes. La maison de Gênes a un rôle fédérateur vis-à-vis des autres couvents, notamment à propos de la tradition, mais elle ne leur donne pas d’ordres.

404 PIRONT Julie, « Une architecture de frontières… », op. cit.

405 HENNEAU Marie-Élisabeth, « Annonciades célestes », dans HUREL Daniel-Odon (dir), Guide pour l'histoire des ordres et des congrégations religieuses…, op. cit. ; et PFISTER Christian, Histoire de Nancy, op. cit., vol. 2, p. 921.

406 HENNEAU Marie-Élisabeth, « Récits historiques au cœur de la vie conventuelle féminine au XVIIe siècle : la fondation du monastère de l’Annonciade céleste de Saint-Mihiel », dans EL GAMMAL Jean et JALABERT Laurent (dir), Annales de l’Est. Récit & Histoire. Formes et épistémologie d’un outil historique. N° spécial 2012.

Saint-Nabord, éditions Deklic, 2012, pp. 217-231.

407 PIRONT Julie, « Une architecture de frontières… », op. cit.

408 HENNEAU Marie-Élisabeth, « De Gênes à Liège… », op. cit.

409 PIRONT Julie, « Une architecture de frontières… », op. cit.

410 A.M.N., GG 73.

411 A.D.54, H 2024.

412 A.M.N., CC 74. Mémoire des frais relatifs au séjour du père Vincent.

la noblesse lorraine413, également connue dans les réseaux pieux de la ville414. Veuve depuis 1623, elle a rencontré Jeanne de Chantal entre 1619 et 1622 lors d’un séjour à Paris, et conçoit le projet de fonder un couvent de Visitandines à Nancy. Elle s’adresse directement au duc de Lorraine, et non à la Ville. Mais le duc François II, sollicité au cours de son bref règne en 1625, fait valoir que les couvents sont déjà très nombreux dans la capitale, voire trop415. Le projet d’un couvent de Capucines a déjà été contesté par le Conseil de Ville416. Anne de Génicourt réussit à fonder un couvent de Visitandines à Pont-à-Mousson en 1626417. En 1632, l’administrateur de l’évêché de Toul fait appel à ce couvent pour prendre en charge la fondation des Madelonnettes, chargée des « filles repenties », autrement dit des prostituées. Cette œuvre, fondée en 1624 par Marguerite de Gonzague, veuve de Henri II, connait, comme beaucoup d’œuvres similaires, un manque d’organisation dû à l’absence de constitutions418, et des problèmes de discipline de la part de ses « repenties » qui ne le sont pas toujours. Quatre Visitandines de Pont-à-Mousson, dont la mère supérieure, se rendent alors à Nancy pour remettre de l’ordre dans la maison. La duchesse Nicole de Lorraine et Henriette de Phalsbourg-Lixheim, respectivement épouse et sœur de Charles IV reprennent l’idée de fonder un couvent à Nancy, ce que le duc accorde par lettres patentes.

Pourtant, la vocation initiale des Visitandines, ordre fondé par Jeanne de Chantal en 1610 à Annecy, est de visiter et assister les pauvres et les malades. À Nancy, ce rôle est déjà celui des « sœurs grises », et surtout le concept de religieuses se déplaçant quotidiennement dans les rues contrevient au principe de clôture des ordres féminins que le Concile de Trente veut imposer à tous. Les Constitutions de l’ordre, rédigées par François de Sales et approuvées par le Pape en 1618, font donc des Visitandines un ordre cloîtré, voué à la contemplation. Mais les ressources de tels couvents ne peuvent venir que des biens acquis, d’autant plus dans le cas nancéien : en confirmant la fondation le 27 janvier 1633, le vicaire général de Toul, Mr de Gournay, leur interdisait de sortir quêter. Jeanne de Chantal dut admettre la perspective d’accueillir des élèves pensionnaires afin que les couvents de Visitandines puissent subvenir à leurs propres besoins. Les dots des religieuses et des postulantes, dont la fille d’Élisée

413 A.M.A.E., 28 MD/5, Liste de Messieurs de l’ancienne chevalerie de Lorraine, f.° 67 r° ; et GÉRARD Pierre-Charles, « La Visitation en Lorraine (1626-1632) », dans TAVENEAUX René, L’université de Pont-à-Mousson et les problèmes de son temps…, op. cit., pp. 195-207.

414 Par exemple, Élisée d’Haraucourt, gouverneur de Nancy, fils de protestant et converti au catholicisme, est un des donateurs du couvent des Carmes de Nancy.

415 LEMONIER Anne-Laure, Le monastère de la Visitation à Nancy. Un ordre féminin de la Contre-Réforme (1632-1792). Mémoire de maîtrise sous la direction de Louis CHÂTELLIER. Université de Nancy II, dactylographié, 1991, p. 28.

416 A.M.N., GG 73. Voir également p. 147.

417 GÉRARD Pierre-Charles, « La Visitation en Lorraine (1626-1632) », op. cit.

418 SAY Hélène, « Filles abandonnées, perdues ou repenties… op. cit.

d’Haraucourt, gouverneur de Nancy, sont utilisées pour acquérir un hôtel situé rue des Ponts, en Ville Neuve, avant même que Charles IV n’accorde l’autorisation de fonder le couvent nancéien. Leur arrivée se fait toutefois à la veille de l’occupation de Nancy par la France : elles n’ont pas le temps de se constituer les rentes qui leur permettent de vivre et la guerre, le repli des familles nobles (et de leurs dons) sur leurs terres, mettent le couvent en difficulté financière.

La Ville Neuve de Nancy accueille donc un nombre conséquent de monastères, souvent d’ordres religieux nouveaux ou réformés, bien qu’elle ne soit pas toujours consultée ouvertement et officiellement dans de nombreux cas. En effet, l’accord du Conseil de Ville n’est alors pas indispensable pour les fondations conventuelles. L’autorité suprême est détenue par le duc de Lorraine, qui est présent à Nancy même. Son accord peut être obtenu de façon directe, par une sollicitation ou par l’intercession de la noblesse. Obtenir une autorisation ou même seulement l’avis de la municipalité est donc secondaire en comparaison. Le Conseil de Ville semble donc encore difficilement trouver sa place et déterminer quel rôle il peut jouer dans les fondations.

Mais si les fondations intra-muros sont multiples, notamment en raison des opportunités qu’offre la création d’un espace urbain nouveau et protégé, l’extérieur n’est pas oublié, d’autant plus que de nouveaux faubourgs sont rapidement reconstruits. Quelques établissements religieux, qui n’ont pas pu ou pas souhaité entrer dans Nancy pour diverses raisons, font leur apparition en périphérie de la capitale ducale.

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