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La vie religieuse dans les nouvelles paroisses

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 73-76)

Première partie : l’éclosion d’une vie religieuse municipale (fin XVI e siècle - début des années 1630)

C. La Ville Neuve et le Concordat de 1593

3. La vie religieuse dans les nouvelles paroisses

Il devient nécessaire, en créant deux nouvelles paroisses dont une par scission de celle de Saint-Epvre, de créer les fabriques qui prennent en charge les aspects matériels de la vie religieuse. La fabrique de la paroisse Notre-Dame tient ses comptes à partir de 1594, celle de la paroisse Saint-Sébastien à partir de 1598. Ces registres attestent que la paroisse Notre-Dame a copié l’usage en vigueur à Saint-Epvre de faire « monter Dieu au ciel » lors de l’Ascension, au-dessus d’un autel paré de fleurs et de « mais », c'est-à-dire de la verdure, des branchages, qui servent à décorer l’église pour la circonstance181. On voit également que les deux nouvelles paroisses de Nancy célèbrent la Fête-Dieu immédiatement après leur création. La Fête-Dieu est, à l’origine, une cérémonie instituée en 1246 à Liège et généralisée en 1311 à l’Église universelle. Elle célèbre la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, et a pris toute son importance avec la Réforme catholique, afin de souligner la différence avec les protestants qui

177 A.M.N., BB 1, f.° 67 r° et v° (décision du Conseil de Ville) et 68 r° (copie de la requête auprès de Charles III).

178 A.M.N., CC 13, f.° 109 v°.

179 A.M.N., CC 15, f.° 87 r°.

180 A.M.N., CC 16.

181 A.M.N., GG 13.

nient la présence réelle. L’élément essentiel de la Fête-Dieu est la procession qui parcourt l’espace urbain ou villageois182. Toutefois étudier la Fête-Dieu à Nancy pose un problème, car dans les sources, en particulier dans les factures, le terme « Fête-Dieu » peut désigner la grande Fête-Dieu, qui a lieu le jeudi soixante jours après Pâques, la petite Fête-Dieu (ou « octave de la Fête-Dieu »), qui a lieu une semaine après la grande Fête-Dieu, voire parfois la procession qui a lieu le dimanche entre les deux Fête-Dieu et qui est celle organisée par la confrérie du Saint Sacrement183. Le vocabulaire est rarement assez précis pour qu’on fasse la différence, si différence est faite (il est possible qu’un paiement concernant la Fête-Dieu concerne les deux cérémonies à la fois). À Nancy au début du XVIIe siècle, dans la paroisse Notre-Dame, les frais relatifs à cette procession sont pris en charge par la fabrique qui paie des fleurs (des glaïeuls, précise-t-on en 1603) et surtout des mais. À partir de 1603, des tapisseries sont empruntées dans toute la ville pour compléter la décoration ; on les tend sur des cadres et des cordes. Un « autel » provisoire (c'est-à-dire un reposoir) est dressé devant l’église et paré d’herbes aromatiques.

Tous ces éléments décoratifs n’ont rien d’original : on trouve les mêmes, par exemple, dans les villes des Pays-Bas bourguignons au XVe siècle184. Les Cordeliers reçoivent également une indemnité d’1 franc barrois pour avoir assisté à la procession de l’octave de la Fête-Dieu185. Un sonneur (ou « réveilleur », peut-être le veilleur de nuit) précède cette procession à partir de 1612, et touche, pour sa part 6 gros d’indemnité ; la fabrique achète même une « sonnette à précéder la procession de l'octave de la Fête-Dieu »186 pour 18 gros. Par contre, aucune indemnité relative à la procession de la grande Fête-Dieu n’est citée et les deux processions ne sont clairement distinguées qu’à partir de 1617, et pas toujours régulièrement187. Mais on ne dispose d’aucune information sur le trajet alors suivi par l’une ou l’autre procession. La fabrique de la paroisse Saint-Sébastien fait les mêmes dépenses de mais et de fleurs (des violettes en 1600) pour la Fête-Dieu, le sonneur en moins188, alors que la fabrique de Saint-Epvre n’en effectue quasiment jamais aucune, sauf 1 franc 12 gros pour des fleurs en 1607189, et des mais

182 MARTIN Philippe, Les chemins du sacré… op. cit., p. 172.

183 SIMIZ Stefano, « Une grande cérémonie civique et dévote : la Fête-Dieu aux XVIIe et XVIIIe siècles », dans DOMPNIER Bernard, Les cérémonies extraordinaires du catholicisme baroque. Actes du colloque du Puy-en-Velay, 2005. Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2005, pp. 47-62.

184 LECUPPRE-DESJARDIN Élodie, Urban History 4 (1100-1800). La ville des cérémonies. Essai sur la communication politique dans les anciens Pays-Bas bourguignons. Turnhout, éditions Brepols, 2004, pp. 115-119.

185 A.M.N., GG 13.

186 A.M.N., GG 14.

187 A.M.N., GG 14.

188 A.M.N., GG 20.

189 A.M.N., GG 5. La formulation est étrange dans la mesure où 12 gros valent 1 franc barrois, mais elle est d’origine.

en 1612190. En effet, la paroisse Saint-Epvre ne prend pas en charge les dépenses de la Fête-Dieu : les comptes de l’année 1611 précisent que celles-ci sont prises en charge par la confrérie du Saint Sacrement191. Cette confrérie porte en réalité le nom de « confrérie du très auguste et très saint sacrement de l’autel » et a été fondée en 1580 par le cardinal de Vaudémont, Charles de Lorraine (1561-1587), cousin de Charles III. La famille ducale en faisait partie, les ducs de Lorraine étant les rois de l’association. La confrérie avait sa propre procession de la Fête-Dieu qui avait lieu le dimanche entre la grande et la petite Fête-Dieu, mais dont le trajet se limite, très logiquement, à la Ville Vieille puisque lors de la fondation de cette confrérie, la Ville Neuve n’existait pas. En raison de la participation des membres de la Maison de Lorraine, on surnommait ce cortège « procession des princes » ; mais tout le clergé des deux villes y assiste également une fois la Ville Neuve fondée192. L’église Saint-Epvre abritait plusieurs autres confréries, certaines liées à un métier comme celle de Saint-Côme-et-saint-Damien, pour les médecins et les chirurgiens, et d’autres qui sont davantage liées à la dévotion, comme la confrérie de la Conception Notre-Dame. La paroisse Notre-Dame, pour sa part, semble n’abriter que la seule confrérie de l’Assomption ; pour la toute nouvelle paroisse Saint-Sébastien, tout reste évidemment à mettre en place.

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Nancy entre donc dans le XVIIe siècle avec une configuration géographique bipartite : d’une part la Ville Vieille, un espace déjà largement dominé par les souvenirs de la dynastie ducale de Lorraine, où le maillage religieux, déjà important, vient d’être renforcé par la division de la paroisse originelle en deux ; et d’autre part la Ville Neuve, un espace où les membres de la famille ducale et des familles nobles du duché peuvent apposer leur propre marque par des fondations propres à montrer à la fois leur piété et leur puissance. Alors que la Ville Vieille était en somme saturée, le nouveau quartier offre une opportunité particulièrement vaste de créer une cité idéale, conçue selon les plans de Girolamo Citoni sur un plan régulier de rues droites et surtout vierge de tout couvent. Or l’époque de la Réforme catholique est celui de la multiplication des ordres religieux, chargés de porter les idéaux de contemplation, de dévotion,

190 A.M.N., GG 10. Les mais sont signalés mais pas payés.

191 A.M.N., GG 5.

192 LEPAGE Henri, Les archives de Nancy…, op. cit., vol. 1, p. 131.

de prédication, d’éducation, … et les ducs de Lorraine se présentent comme champions de la Réforme catholique. Tous les facteurs convergent pour faire de « Nancy la neuve » un terrain expérimental pour édifier une cité sainte en plus d’être une capitale digne des ambitions européennes de ses souverains. La Ville Neuve plus que la Ville Vieille constituent, de plus, un territoire où le pouvoir doit s’exercer, se montrer et se mettre en scène. Or le palais ducal, symbole du pouvoir étatique, demeure dans la Ville Vieille : il existe donc une place à prendre à côté de lui et une influence à construire, dans la Ville Neuve, en lui restant évidemment soumis.

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